France

DSK, Cahuzac: cherchez le consultant d'Euro RSCG

Temps de lecture : 5 min

L'agence de communication accumule les ratés monumentaux dans le domaine de la communication politique et de crise depuis la campagne de Jospin en 2002 en passant par l'affaire du Sofitel et, aujourd'hui, le scandale Cahuzac. A qui le tour?

Manuel Valls et Jérôme Cahuzac (tous deux proches d'Euro RSCG) à l'Assemblée nationale le 19 mars 2013. REUTERS/Charles Platiau
Manuel Valls et Jérôme Cahuzac (tous deux proches d'Euro RSCG) à l'Assemblée nationale le 19 mars 2013. REUTERS/Charles Platiau

Article modifié le 5 avril à 19h: une citation de Stéphane Fouks a été attribuée à tort à Gilles Finchelstein, qui est par ailleurs directeur général de la Fondation Jean-Jaurès et non président comme indiqué dans la première version de l'article.

Cherchez la femme, disent les mauvaises langues à propos des gros soucis de Jérôme Cahuzac, en référence à son divorce en cours. Cherchez le consultant Euro RSCG, pourrait-on leur rétorquer.

Car depuis les aveux de Jérôme Cahuzac, une cible revient plus particulièrement, pointée comme responsable du naufrage politique que constitue cette affaire.

Cette cible, elle s’appelle Euro RSCG, l’agence de communication du groupe Havas, cofondée par le célèbre Jacques Séguéla (c’est le «S» de RSCG) dans les années 1970. Avec Publicis, fondée par Marcel Bleustein-Blanchet dans les années 1920, et dont l’héritière n’est autre qu’Elisabeth Badinter, Euro RSCG se confond avec l’histoire de la communication de masse française, du spot télé de marque de grande consommation aux grands événements en passant par les slogans des candidats aux élections présidentielles («La force tranquille», 1981!)

Le jour où Dominique Strauss-Kahn, qu’on s’habituera à voir mal rasé, apparaît menotté à la télévision en sortant du tribunal de Manhattan, les Français savent déjà qu’il ne sera pas président. Ils ignorent en revanche que grâce à cet événement malencontreux, ils ont évité de justesse de voir les consultants d’Euro RSCG débarquer à l’Elysée avec leur chouchou. Car la chute du patron du FMI signifiera aussi celle de la cote du cabinet parisien, pourtant très proche du Parti socialiste. Enfin, en façade du moins.

Derrière DSK, il y avait Euro RSCG (renommé Havas Worldwide depuis septembre 2012). Et Stéphane Fouks, son co-président exécutif, très investi dans la pré-campagne de ce dernier. Fouks est aussi l’homme qui a conseillé Lionel Jospin pour sa présidentielle de 2002, ce qui lui a valu d’être très critiqué et rendu responsable de l’échec du candidat du PS, qui ne passera pas la barre du premier tour…

Depuis cette blessure intime à gauche, souvenir traumatisant d’un Le Pen face à Chirac au second tour, qu’est venue raviver la chute vertigineuse de DSK, François Hollande assurait que l’agence était blacklistée à l’Elysée. Pourtant, écrivait Marianne dès septembre 2012, «chassé, en mai 2011, par la porte d'un cinq-étoiles new-yorkais, Euro RSCG tente toutefois de revenir par la fenêtre... des ministères».

Car c'est le même Fouks qui a pris en charge la communication de crise de Cahuzac quand l’affaire a commencé à chauffer. Venu en renfort, puisque le ministre avait, dès son arrivée à Bercy, déjà deux conseillers en communication passés par Euro RSCG. Marion Bougeard est une ancienne directrice associée de l’agence. Elle conseillait auparavant Liliane Bettencourt pendant l'affaire Woerth et, selon Mediapart, son client le plus proche est le banquier de Lazard Matthieu Pigasse. Un ancien directeur conseil de l'agence, Benjamin Perret, avait aussi été recruté pour assurer les relations presse du ministre, écrit la Lettre A.

D'où une certaine similitude entre les méthodes employées dans les cas DSK et Cahuzac, écrit Ariane Chemin dans Le Monde:

«Stéphane Fouks est enfin un adepte –quand l'affaire n'est plus tenable– des aveux et confessions soigneusement mis en forme. DSK avait parlé sur TF1 de "faute morale" à propos de sa relation avec Nafissatou Diallo. Jérôme Cahuzac, dans un communiqué publié sur son blog, mardi 2 avril à 15 heures 52: "Je demande pardon."»

Blacklisté par Hollande, vraiment?

Euro RSCG, c'est un peu le Goldman Sachs de la com': même placement de consultants dans l'appareil d'Etat, même mélange des genres entre réseautage, politique et intérêts érigé au rang de stratégie d'entreprise. Dans un livre sur les spin doctors français, Les Gourous de la com’, d'Aurore Gorius et Michaël Moreau, Stéphane Fouks affirme:

«Douze personnes de l'agence travaillent aujourd'hui à l'Eysée ou dans les ministères. Rien qu'à la présidence de la République, ils sont cinq!»

Nathalie Mercier, ancienne d'Euro RSCG, est ainsi passée de la communication de Valls à celle de Valérie Trierweiler. La plume de Hollande et ancien directeur de la campagne à la primaire d'Arnaud Montebourg, Aquilino Morelle, est passé par Euro RSCG. Tout comme «Sacha Mandel, conseiller en communication du ministre de la Défense, Jean-Yves Le Drian, ou Viviane Nardon, son alter ego auprès du président de l'Assemblée, Claude Bartolone», poursuit Le Monde. Pour une agence blacklistée, cela commence à faire beaucoup...

Mais c’est tout sauf étonnant, tant les liens entre Euro RSCG et le Parti socialiste sont connus, et intéressés, comme l’écrivait Challenges dans un article sur l’influence politique du patron, Stéphane Fouks:

«Les recrues doivent surtout leur poste à leur engagement dans la campagne. Un militantisme politique toléré, voire apprécié à Havas, qui bénéficie ensuite d'oreilles attentives quand les consultants suivent leur poulain dans les ministères.»

«Comme il le fait avec Manuel Valls, Stéphane Fouks incite chaque consultant à conseiller l'élu de son coeur, en dehors des heures de bureau», écrivait Le Point en 2009, quand le président d'Euro RSCG se faisait remettre la légion d'honneur... sous la droite, par Xavier Bertrand. Et «lors des appels d'offres (Publicis ou TBWA jouent aussi sur ce registre), la différence ne se fait pas seulement sur le slogan inventé par quelques “créatifs”; elle se joue aussi entre ceux qui ont des amis bien placés et les autres».

Tout ce petit monde du lobbying entourait donc Jérôme Cahuzac, ce qui aurait dû nous mettre la puce à l’oreille... «Stéphane Fouks l'a "aidé à assumer son positionnement au sein du PS" ; Gilles Finchelstein, de la Fondation Jean-Jaurès, l'a coaché avant son débat avec Jean-Luc Mélenchon», croit savoir Le Nouvel Obs.

Gilles Finchelstein, directeur des études de Havas Worldwide et directeur général de la Fondation Jean-Jaurès «est lui aussi un ancien du cabinet “DSK” et qui y a, à l’époque, côtoyé Matthieu Pigasse, a posé ses valises dans le cabinet de Pierre Moscovici», rappelait pour sa part Mediapart en septembre 2012. La Lettre A écrivait par ailleurs à la même époque, que «l'éminence grise de la "bande" à Stéphane Fouks s'[était] trouvé un nouveau champion en la personne de Pierre Moscovici, strauss-kahnien lui aussi, devenu ministre de l'économie». Dans son récit de la campagne de François Hollande Rien ne se passe comme prévu, l'écrivain Laurent Binet raconte même qu'à l'époque où Mosco était directeur de campagne d'Hollande, il lui avait proposé un discours de Finchelstein pour le Bourget, de sorte que «20% du discours du Bourget fut signé» par ce dernier.

Etrange, donc, que le même Moscovici, relate l'article du Monde, voit dans l'article du Journal du Dimanche du 10 février, «Les Suisses blanchissent Jérôme Cahuzac», «la main de l'équipe de com' de M. Cahuzac, Havas Worldwide (ex-EuroRSCG).»

Je serais Pierre Moscovici, Manuel Valls, ami de trente ans de Fouks et pur produit strauss-kahnien ou encore NKM, candidate à la Mairie de Paris qui recourrait aussi aux services de l’agence, je me méfierais... A moins qu’on n’insinue, comme cet anonyme cité dans Le Monde, que Fouks roule pour les ennemis de ses clients, il faudra bien un jour ou l’autre reconnaître qu’il porte sacrément la poisse. Ou que ses clients sont franchement peu recommandables, l'un n'excluant bien sûr pas l'autre, bien au contraire.

J.-L. C.

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