Le juge d'instruction Jean-Michel Gentil est-il un amateur de coups de théâtre ou a-t-il attendu patiemment de recueillir le plus d’éléments à charge pour décider in extremis de mettre Nicolas Sarkozy en examen, jeudi 21 mars? Cette annonce a en tout cas été décrite comme une «surprise» par Fabrice Lhomme du Monde, un des journalistes qui a couvert le dossier pour Mediapart.
Le 13 mars, l’AFP évoque la clôture prochaine du dossier dans ce troisième et dernier volet de l’affaire tentaculaire Woerth-Bettencourt. Si le photographe et ami de Liliane Bettencourt François-Marie Banier, son gestionnaire de fortune Patrice de Maistre, l’ancien trésorier de campagne de Sarkozy Eric Woerth et l’entrepreneur Stéphane Courbit sont mis en examen, l'ex-président semble alors avoir des chances de passer entre les mailles du filet, selon une source citée par l'agence:
«Le juge semble avoir une conviction, mais trouver des preuves dans ce qui serait des malversations en argent liquide, ce n’est pas facile.»
A l’issue d’une audition de douze heures, le 22 novembre dernier, Nicolas Sarkozy était ressorti du bureau du juge avec le statut de témoin assisté, moins plombant juridiquement et symboliquement que celui de mis en examen. Mais potentiellement trompeur: en juillet 2007, Jacques Chirac avait été entendu comme témoin assisté dans l'affaire des emplois fictifs de la mairie de Paris et du RPR, ce qui ne l'a pas empêché ensuite d'être mis en examen puis condamné dans ces affaires.
L'avocat de Nicolas Sarkozy, Thierry Herzog, affirmait après cette première audition qu’il n’y aurait pas de prochaine convocation. Il semblait s'autoconvaincre que le plus dur était passé, et déclarait à la presse que c'est «une affaire qui n'existait pas et qui n'existe plus».
En réalité, les choses sont un peu plus compliquées: pour la seconde convocation, le juge Gentil, assisté des juges Ramonatxo et Noël, a été plus malin que les journalistes et a décidé d'opter pour la discrétion. Comme déjà, racontait l'AFP à propos du siège du palais de justice de Bordeaux en novembre, il avait mystifié la presse qui faisait le pied de grue devant le palais pour une photo:
«Le jour-même de l'audition, a raconté le quotidien Sud-Ouest, [le juge Gentil] est passé en scooter à 7h45 au milieu des appareils photo et des caméras, ni vu ni connu. Il a dû bien rire.»
Cette fois-ci, il a réussi à convoquer Nicolas Sarkozy pour une confrontation avec les anciens employés de Liliane Bettencourt sans que l'information ne sorte dans l'AFP avant que l'audition soit commencée, jeudi vers 16h30 (la précédente audition avait été annoncée trois jours avant dans la presse). Selon Sud-Ouest, «après l'incroyable attente des journalistes pendant trois semaines sur le trottoir du Palais de Justice et la cohue de cette journée-là, "le juge avait toujours dit qu'en cas de nouvelle audition personne n'en saurait rien", rappelait malicieusement jeudi un connaisseur du dossier».