Sports

JO: comment la France est devenue championne de natation

Temps de lecture : 7 min

Une victoire aux JO est bien souvent le fruit d’un travail en amont d’au moins 10 ans. Quelle est la recette d'une bonne politique sportive?

Clement Lefert, Fabien Gilot et Amaury Leveaux, le 29 juillet 2012. REUTERS/Michael Dalder
Clement Lefert, Fabien Gilot et Amaury Leveaux, le 29 juillet 2012. REUTERS/Michael Dalder

A chaque olympiade, on remarque la même chose. Certains pays sont vraiment spécialistes d’un domaine. Par exemple la moitié des 18 médailles olympiques de la Géorgie viennent de la lutte. En France, on pourrait citer l’escrime, le judo, le cyclisme sur piste ou encore le tir.

D’autres parts, certains pays sont capables de développer très rapidement une discipline dans laquelle ils ne brillaient pas spécialement. Les pays hôtes font partie de cette catégorie. La France, en natation, est également un bel exemple de mise en place d’une politique sportive dans une discipline en friche: de zéro médaille aux JO de 1996, on est passé à une en 2000 et six en 2004 et en 2008. Comment naissent ces politiques sportives?

L’importance du sport dans l’échiquier politique mondial est tel que les gouvernements ont forcément leur mot à dire dans l’attribution des ressources aux différentes disciplines et la mise en place des stratégies de moyen et long terme. «En Géorgie, nous glisse-t-on au ministère des Sports, un choix est clairement fait sur deux ou trois sports comme la lutte et l’haltérophilie au détriment des autres activités.»

La logique est simple, il s’agit de renforcer ses points forts. Une logique anglaise, si l’on en croit Claude Fauquet, directeur général adjoint de l’Insep:

«Le Royaume-Uni a une liste de disciplines à amener au plus haut niveau et sur lesquelles il mise. Le cyclisme, la voile, la natation, l’aviron… Si les résultats ne sont pas au rendez-vous, la liste peut changer.»

La France adepte du bottom-up

En France, la politique est différente, bien que «le débat ait été lancé, notamment après Pékin», explique un conseiller de la ministre des Sports. Le ministère n’a jamais réellement imposé de politique sportive centralisée. Les projets de développement sont à l’initiative des fédérations.

Elles présentent un plan sur 4 à 10 ans après chaque olympiade à la commission nationale du sport de haut niveau qui attribue ensuite les fonds en fonction de la qualité du projet. L’Insep peut être amené à jouer un rôle d’expert pour valider le projet.

Penchons-nous sur 3 cas emblématiques pour savoir comment faire naître une politique sportive visant l’excellence dans une discipline en berne:

  • Le handball, passé du championnat du monde de deuxième division à la fin des années 80 aux fameux experts champions du monde, d’Europe et olympiques à la fin des années 2000.
  • La natation, passée de 0 médailles aux JO de 1996 à 6 en 2004 et 2008 avec un relai 4x100 mètres messieurs capable de concurrencer les Etats-Unis. La natation française ne partait pas de nul part, puisque des champions émergeaient régulièrement mais la génération actuelle et la densité de niveau du championnat de France est vraiment nouvelle.
  • Le tennis de table. Une discipline en devenir. Le ministère nous a conseillé de nous pencher sur son cas. Le tennis de table ne va pas briller tout de suite mais les juniors actuels écrasent la concurrence européenne. Souvenez-vous de ces lignes dans 4 ans, si un Français est en finale aux JO!

Voici les quatre principes nécessaires pour faire émerger une discipline au plan international. Chose intéressante, leur application diverge en fonction des disciplines.

1.Prendre conscience de l’exigence du plus haut niveau

Tout commence toujours par là. C’est la première étape, primordiale et parfois douloureuse. Il est nécessaire de mesurer l’écart entre le haut niveau français et l’élite mondiale. Michel Gadal, Directeur technique national (DTN) de la Fédération française de tennis de table (FFTT), a deux chiffres en tête:

«Le tennis de table est un sport d’habileté. Il n’y a pas de secret, il faut 10 ans et 10.000 heures de travail pour arriver au plus haut niveau.»

Avec des contraintes pareilles, le système d’organisation s’impose quasiment de lui-même. «Nos jeunes s’entrainaient moins de 6 heures par semaine alors qu’il fallait passer à plus de 12 heures» précise-t-il.

Le cheminement était le même en natation. Claude Fauquet, DTN des époques de vaches maigres dans les années 90, décide restructurer son sport :

«Il fallait réduire l’écart après Atlanta. Un de nos premiers problèmes est que nous n’arrivions pas à reproduire en compétition nos meilleures performances de la saison. Le calendrier de nos épreuves nationales ne nous permettait pas d’être au top aux mondiaux.»

Il se lance dans une vaste restructuration de l’élite de la natation. Aujourd’hui, pour être en équipe nationale, il faut réaliser les minima de la finale des championnats du monde, rien de moins, et il n’y a pas de passe-droit pour les anciens champions.

2.Accompagner les graines de champions

Si la nécessité d’accompagner les jeunes champions va de soi, il n’y a pas vraiment de potion magique. Chacun organise le système qu’il souhaite. Toutefois, deux éléments semblent être communs à tous les dispositifs: la formation des cadres et le soutien des clubs.

Une bonne politique ne se fait pas sans les clubs. Ce sont les acteurs de terrain des décisions fédérales. Ils sont au contact permanent des athlètes, leur soutien est nécessaire à la fédération. En handball, la fédération a accompagné les clubs dans leur professionnalisation, notamment au sujet des centres de formation.

En natation, la fédération a décidé de s’appuyer sur le savoir-faire des clubs bien implantés pour créer des groupes de haut-niveau plutôt que sur d’artificiels pôles espoirs fédéraux. La réussite du cercle des nageurs de Marseille (Lacourt, Gilot, Bousquet) est la meilleure récompense pour cette politique.

Pour les mêmes raisons, la formation des éducateurs est primordiale. Ceux-ci doivent former les jeunes, détecter les champions, les mettre dans une démarche performance… Un travail de titan.

Au tennis de table, le suivi des jeunes prometteurs est individualisé. Lorsqu’ils sont appelés en équipe de France, les responsables nationaux s’intéressent également à leur entraineur, leurs parents et leur école afin de maitriser complètement l’environnement du jeune champion.

3.Agrandir sa base de licenciés

La logique est mécanique, plus vous avez de licenciés, plus vous avez de chance d’avoir des champions. La première manière d’attirer de nouveaux adhérents dans les clubs reste d’avoir de bons résultats. Mais cela ne fait pas tout.

Le handball, par exemple, est entré dans une logique d’évènements internationaux. Le tournoi de Bercy a peu à peu accueilli un plateau de plus en plus relevé. La France a également obtenu l’organisation des championnats du monde masculins en 2001 et féminins en 2007. Il faut également savoir fidéliser les adhérents après leur première année et s’attirer les adhérents plus jeunes possibles.

La Fédération française de handball (FFHB) est passée de 220.000 licenciés en 1995 à 470.000 aujourd’hui. Philippe Bana, le DTN, témoigne:

«Nous n’avions pas d’offre pour les moins de 13 ans. Petit à petit, nous avons mis en place des structures adaptées aux 9 ans puis aux 6 ans. Nous avons orienté notre politique à destination des enfants et des femmes dès 1996.»

Pour diffuser, il faut multiplier les pratiquants, quels que soient le cadre. «Nous avons passé des accords avec l’UNSS, et l’éducation nationale, poursuit le DTN. On a clairement fait feu de tout bois.»

La Fédération française de natation (FFN), elle, a décidé de mieux mettre en valeur sa diversité pour garder les jeunes. Claude Fauquet explique:

«La Fédération regroupe cinq disciplines olympiques. Nous avons mis en place un processus de prise en charge des nouveaux en 3 étapes qui leur permet de tout essayer. Dans un premier temps ils apprennent la sécurité. Dans un deuxième temps, ils essayent toutes les disciplines. Enfin, dans un troisième temps, ils se dirigent vers la compétition dans la discipline de leur choix.»

Entre la course en bassin, en eau libre, la natation synchronisée, le water-polo et le plongeon, les nouveaux adhérents peuvent trouver la discipline qui leur correspond.

4.Devenir des gagneurs

La France pays de Poulidor est aussi la nation d’Anquetil. Le panache de la défaite n’amuse pas tout le monde et clairement pas les DTN que nous avons approché. Pour Claude Fauquet, toute est une question de mentalité:

«Il fallait sortir de la politique des moyens pour entrer dans une politique d’objectif. Il fallait arrêter de valoriser le manque pour créer les conditions de l’innovation avec les moyens dont on dispose. On peut passer beaucoup de temps à se plaindre sinon.»

Son successeur à la direction technique nationale de la natation est allé encore plus loin. Dès 12 ans, les jeunes nageurs détectés peuvent participer à des stages «horizons olympiques». Un nom qui ne laisse pas de place à l’erreur d’interprétation. Oui, toi, jeune nageur pré-adolescent, tu peux devenir champion olympique.

En handball, les jeunes à fort potentiels rentrent dans des structures de haut niveau à 18 ans, dans les centres de formation des clubs. Une différence qui s’explique notamment par l’âge de maturité des athlètes. «En handball, un joueur est mûr vers 25 ans, pas avant, on n’est donc pas trop pressé», précise Philippe Bana. A l’inverse, en natation, des nageurs de 18 ans ou 20 ans sont régulièrement sur les podiums mondiaux.

La stratégie française en termes de spécialité nationale est donc de laisser les projets venir des fédérations. L’absence de réaction du ministère face à l’incurie du football français depuis 2008 le prouve.

Cependant à l’heure de compter les médailles et de crier haro sur le manque d’excellence du sport hexagonal, méditons cette remarque de Claude Fauquet:

«L’effort de structuration des fédérations a été énorme en vue des JO de Londres. Nous avons 24 fédérations de représentées sur 26 possibles.»

Les mauvais élèves sont le volley-ball et le hockey sur gazon. La présence de tant de disciplines au plus haut niveau est déjà un succès en soi.

Olivier Monod

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