Un pied au gouvernement, l’autre dans leur circonscription. Pendant un mois, vingt-six ministres (sauf retrait ou nouvelle candidature dans les prochains jours) devraient étrenner leur portefeuille tout en essayant de se faire (ré)élire à l’Assemblée nationale, porte de sortie bien pratique en cas de départ du gouvernement —cinq des vingt ministres du premier gouvernement Fillon de 2007 ont fini le quinquennat sur les bancs de l’hémicycle…
Ils auront la pression du résultat: une heure à peine après l’annonce de la composition du gouvernement, mercredi 16 mai, le Premier ministre Jean-Marc Ayrault a déclaré sur France 2 que le nouveau pouvoir aurait «l'esprit de responsabilité, c'est-à-dire que tout ministre qui se présente aux élections législatives et qui ne sera pas élu ne pourra pas rester au gouvernement».
De nombreux sortants bien placés
L’objectif sera a priori facile à atteindre pour un grand nombre de députés sortants, qui se représentent dans des circonscriptions où François Hollande a été largement majoritaire le 6 mai: citons le Premier ministre lui-même en Loire Atlantique, Manuel Valls (Intérieur) et François Lamy (Ville) en Essonne, Laurent Fabius (Affaires étrangères) et Valérie Fourneyron (Sports) en Seine-Maritime, Geneviève Fioraso (Enseignement supérieur) dans l’Isère, Michel Sapin (Travail) dans l’Indre, Delphine Batho (ministre déléguée à la Justice) dans les Deux-Sèvres, Alain Vidalies (Relations avec le Parlement) dans les Landes, George Pau-Langevin (Réussite éducative) dans l’Est parisien, Bernard Cazeneuve (Affaires européennes) dans la Manche, Marylise Lebranchu (Réforme de l’Etat) dans le Finistère, Frédéric Cuvillier (Transports) dans le Pas-de-Calais, Christiane Taubira (Justice) en Guyane et Victorin Lurel (Outre-mer) en Guadeloupe.
En Gironde, Michèle Delaunay, qui avait fait tomber Alain Juppé en 2007 à la surprise générale, n’aura cette fois-ci même pas à affronter l’ancien Premier ministre, qui a jeté l’éponge face au très bon score de la gauche dans sa circonscription (59%).
Quatre députés sortants qui avaient remporté de justesse leur siège en 2007 se représentent eux dans des circonscriptions où le nouveau président a recueilli entre 50% et 52% des voix: Pierre Moscovici (Economie) dans le Doubs, Jérôme Cahuzac (Budget) dans le Lot-et-Garonne, Marisol Touraine (Affaires sociales) en Indre-et-Loire et la radicale de gauche Sylvia Pinel (Commerce et Tourisme) dans le Tarn-et-Garonne. Leur notoriété ministérielle devrait les aider à être réélus un peu plus facilement.
Trois ministres qui se lancent à la conquête d’un siège auront eux normalement une tâche plutôt aisée vu le score de Hollande sur leurs terres: Cécile Duflot (Egalité des territoires et Logement) dans les 11e et 20e arrondissement de Paris —d’autant qu’elle vient de bénéficier du ralliement de la socialiste sortante Danièle Hoffman-Rispal, qui sera sa suppléante après avoir menacé de se présenter en dissidente—, l’eurodéputé proche de Hollande Kader Arif (Anciens combattants) en Haute-Garonne, sauf si se concrétisent dans sa circonscription des menaces de dissidence, et, à un degré moindre, le porte-parole du PS Benoît Hamon (Economie solidaire) dans les Yvelines, où il affronte un sortant, Jean-Michel Fourgous, élu avec moins de 52% en 2007.
Quatre cas plus compliqués
D’autres cas, enfin, paraissent légèrement plus compliqués. Privée de sa circonscription mosellane par le redécoupage Marleix, la nouvelle ministre de la Culture Aurélie Filippetti s’est rabattue sur une des circonscriptions messines: le score de Hollande sur celle-ci (un peu plus de 52%) et le fait qu’elle n’affronte pas un député sortant constituent néanmoins de bons présages pour elle. Marie-Arlette Carlotti (Personnes handicapées) retente elle sa chance pour la quatrième fois dans les Bouches-du-Rhône: battue en 1997, 2002 et 2007 par l’UMP Roland Blum, elle affrontera cette fois-ci, redécoupage oblige, son camarade de parti Renaud Muselier dans une circonscription qui a voté Hollande à 50,22%.
Stéphane Le Foll se présente lui dans la quatrième circonscription de la Sarthe, celle autrefois de François Fillon, qui a voté Hollande à près de 53%: reste à savoir si cette tendance nationale pourra renverser l’ancrage personnel du candidat UMP Marc Joulaud, suppléant de Fillon pendant dix ans, et élu deux fois en ticket avec lui avec plus de 55% au premier tour…
Enfin, celle pour qui la tâche s’annonçait théoriquement la plus difficile était Najat Vallaud-Belkacem (Droits des femmes et porte-parolat), la seule candidate dans une circonscription, la quatrième du Rhône, où Sarkozy était majoritaire (54%). Le député sortant Dominique Perben ne se représente pas et la jeune élue avait réalisé en 2007 un score supérieur de trois points à celui de Royal à la présidentielle, mais elle a néanmoins officialisé dans la soirée le retrait de sa candidature, annoncé peu avant par Lyon Capitale.
Trois victimes en 1988 et 2007
Reste à savoir si la règle fixée mercredi soir sera précisée ou affinée dans les jours à venir, et de quelle façon François Hollande et Jean-Marc Ayrault l’appliqueront si la gauche ne réédite pas son grand chelem de 1981, quand trente-deux ministres s’étaient présentés aux législatives et avaient été tous élus.
Depuis 1988, la règle non écrite veut que seuls les députés sortants battus démissionnent de leur portefeuille, afin d'éviter de décourager ceux qui s'attaquent à des circonscriptions plus difficiles. Elle a condamné Georgina Dufoix et Catherine Trautmann en 1988 (qui se présentaient pourtant après avoir été élues à la proportionnelle deux ans plus tôt, et dans le cadre d’un nouveau découpage électoral) et surtout Alain Juppé en 2007, alors que ce dernier était numéro deux du gouvernement.
Elle a en revanche sauvé des ministres battus qui n’étaient pas sortants: Roger Bambuck, Bernard Kouchner, Brice Lalonde, François Doubin et Thierry de Beaucé à gauche en 1988, et Dominique Versini à droite en 2002.
Jean-Marie Pottier
Article actualisé le 17 mai à 0h45 avec l'officialisation du retrait de Najat Vallaud-Belkacem.