C’était le fossoyeur, le paria, le passé. Parti en novembre 2008 de son siège de premier secrétaire du Parti socialiste, qu’il avait occupé pendant onze ans, et publiquement critiqué par son successeur Martine Aubry. Peu de gens auraient alors misé sur l’élection à la présidence de la République de François Hollande trois ans et demi plus tard.
Alors, celui que ses détracteurs surnomment «Flanby» pour sa mollesse supposée s’éclipse. Jusqu’à l’université d’été de La Rochelle, en août 2010, où il affiche clairement ses ambitions présidentielles. Une fois réélu à la tête du conseil général de Corrèze, en mars 2011, il se déclare officiellement candidat à l’investiture socialiste.
A l’époque, Dominique Strauss-Kahn profite d’une notoriété stratosphérique polie loin de France, à la direction générale du FMI, et semble inatteignable. Tout juste s’imagine-t-on alors que François Hollande pourra l’obliger à une confrontation lors de la primaire —selon la presse, DSK aurait d’ailleurs tenté d’obtenir son retrait pour s’assurer une primaire de «confirmation», et non une compétition.
Mais le favori trébuche, carbonisé après l’épisode new yorkais du 15 mai 2011. DSK hors course, François Hollande devient le favori tandis que Martine Aubry, piégée par son poste de première secrétaire, son pacte réel ou supposé avec le président du FMI, et la finalisation du programme du parti, tarde à se déclarer et ne rentre en compétition que le 28 juin. Un retard à l’allumage qu’elle ne rattrapera jamais.
Le 9 octobre, François Hollande la distance de onze points au premier tour de la primaire. Installé en position de rassembleur, il bénéficie du ralliement d’Arnaud Montebourg, un de ses plus féroces détracteurs quand il dirigeait le PS, et de Ségolène Royal, sa compagne pendant vingt-cinq ans, dont il s’était séparé après les échéances électorales de 2007. Le 16 octobre, il est investi avec une large majorité de 56,4% des voix.
La lente construction d’un présidentiable
Après avoir convaincu ses pairs qu’il pouvait les mener à la victoire, il lui faut à présent persuader un pays tout entier qu’il peut en prendre la tête. Le candidat socialiste a beau avoir rangés derrière lui tous les ténors du parti, sa crédibilité dans le face-à-face avec la majorité reste à prouver.
D’autant que plane le spectre des dissensions de la présidentielle 2007, ravivé par les couacs autour de l’accord programmatique et politique avec Europe Ecologie-Les Verts ou des créations de poste dans l’Education nationale. Sans oublier la personnalité de celui qui se définit comme un «candidat normal», suscitant les sarcasmes: mi-novembre, le leader du Front de gauche Jean-Luc Mélenchon raille un candidat qui peine à mener sa barque, «capitaine de pédalo dans la tempête».
Au même moment, le ministre de l’Education national Luc Chatel le compare à «Babar, le roi des éléphants», celui dont les histoires «endorment les enfants».
Nicolas Sarkozy est alors persuadé que son entrée en campagne fera la différence. Mais François Hollande, qui continue son bonhomme de chemin, cassant sa voix de meeting en meeting, redonne une impulsion à sa campagne, le 22 janvier au Bourget (Seine-Saint-Denis), en prononçant un discours où il désigne son ennemi: les dérives de la finance. Et son adversaire: le bilan de Nicolas Sarkozy et notamment «les multiples cadeaux fiscaux accordés depuis une décennie aux familles aisées». Face à 25.000 personnes, il assure qu’il sera «le président de la fin des privilèges».
Le 26 janvier, à la Maison des métallos (Paris), alors que Nicolas Sarkozy n’est toujours pas candidat, il dévoile ses soixante propositions pour la France, prenant modèle sur les 110 propositions de François Mitterrand en 1981. Contrairement à son adversaire, qui égrenera lentement ses positions avant de publier officiellement son programme à trois semaines du premier tour, il s’y tiendra. A une exception près, marquante: fin février, il surprend tout le monde –y compris son entourage– en annonçant une tranche d’impôt à 75% pour la part des revenus située au-dessus d’un million d’euros par an.
L’avantage du temps
Les bases de son discours posées près de deux mois avant le premier tour, François Hollande peut dès lors bichonner son profil de rassembleur: lors des tragiques évènements de Montauban et Toulouse en mars, quand il tente d’imposer sa stature présidentielle face à un Nicolas Sarkozy naturellement favorisé sur ce point; le 4 avril, à Rennes, quand il accueille sur scène la candidate de 2007, Ségolène Royal; ou le 15 avril, à Vincennes, lorsque des dizaines de milliers de personnes participent à son meeting «festif».
Alors qu’il a devant lui une marée humaine qui rivalise avec celle venue soutenir Nicolas Sarkozy, le même jour à la Concorde, le député de Corrèze préfère «ne pas y croire trop fort, par superstition».
La phrase est à l’image d’un candidat qui, tout au long de son parcours, ne s’est jamais départi d’une forme de flegme, de modestie, consentant juste à lâcher, dans les derniers jours avant le premier tour: «On va gagner». Les cartes seront partiellement rebattues, pourtant, par le premier tour: Hollande sort bien en tête (28,6%), avec près de 1,5 point d’avance sur Sarkozy (27,1%), mais Marine Le Pen frôle les 18%, tandis que Jean-Luc Mélenchon, dont les reports de voix s’annoncent massifs, fait moins bien qu’espéré (11%).
François Hollande campe alors, pendant quinze jours, sur sa ligne de rassemblement face à un Président sortant qui muscle son discours en direction des électeurs lepénistes. Paraphe sa feuille de route de présidentiable en prouvant le 2 mai, lors du débat de l’entre-deux-tours, qu’il peut rester solide face à un animal politique surrentraîné, à qui il assène à seize reprises dans une tirade prémonitoire: «Moi, président de la République, je...» Et bénéficie, à trois jours du second tour, d’un semi-ralliement très symbolique en la personne de François Bayrou, qui annonce, à titre personnel, qu’il votera pour lui.
Cette surprise aura symbolisé une campagne qui, jusqu’au bout, aura ménagé des rebondissements. Une campagne anormale pour un candidat normal qui, président élu depuis à peine une heure, a axé son discours de victoire sur ce mantra qu’il avait scandé, de meeting en meeting, d’une voix éraillée: «rassembler».
Et ressembler. Il y a un an, à Château-Chinon, François Hollande avait commémoré les trente ans de la victoire de François Mitterrand, lui aussi revenu de loin pour emporter la présidentielle de 1981, en vantant «sa ténacité» et «son obstination» et en réclamant que «le 6 mai 2012 soit regardé comme un nouveau moment de l'histoire collective». Ce dimanche, il a battu le président sortant, comme son illustre prédécesseur, avec plus de 51,5% des voix.
Jean-Marie Pottier et Olivier Clairouin