A deux jours du second tour de l’élection présidentielle, certains parlent déjà de François Hollande comme s’il était président de la République. Le candidat socialiste lui-même a ««enfilé le costume» depuis quelques jours selon Le Figaro, alors que Libération estime qu’il a «présidé» le débat d’entre-deux-tours.
L'optimisme du camp socialiste se fonde sur l’un des seuls indicateurs disponibles quant à l’issue du scrutin, les sondages. Ceux-ci ont systématiquement donné François Hollande vainqueur au second tour depuis le début de la campagne et les derniers sondages autorisés des instituts avant le second tour, parus ce vendredi 4 mai, le placent entre 52% et 53,5%.
Bien sûr, les sondages sont des outils d’analyse de l’opinion à un instant «t» et doivent être pris avec les précautions nécessaires que nous avons soulignées à de nombreuses reprises ici-même, en tenant compte des marges d’erreur, de la taille des échantillons ou encore des tendances autant que du chiffre brut.
C’est cette incertitude liée aux études d’opinion qui permet à Nicolas Sarkozy de garder espoir. «Jamais, je pense, une élection n'aura été aussi indécise, a-t-il déclaré jeudi 3 mai. J'ai toujours pensé que ça se jouerait dans un mouchoir de poche. Je pense qu'on peut gagner.»
Mais sur quoi exactement le candidat de l’UMP mise-t-il pour pouvoir renverser la tendance? Qu’est-ce qui peut encore faire gagner Nicolas Sarkozy?
Les reports de voix
Dès l’annonce des résultats provisoires du premier tour dimanche 22 avril au soir, l’attention de tous les commentateurs mais aussi et surtout des équipes de campagne des deux candidats finalistes s’est tournée vers les fameux reports de voix. Pour qui vont voter les électeurs de Marine Le Pen et de François Bayrou?
La question est encore plus cruciale pour Nicolas Sarkozy, qui doit rattraper son retard au premier tour et dans les sondages. Si les deux candidats finalistes se sont immédiatement attelés à peaufiner leur message pour s’adresser à ces deux réservoirs de voix, c’est bien celui de l’UMP qui s’est le plus directement adressé à eux, notamment lors du débat télévisé du 2 mai.
«Pour être élu, Nicolas Sarkozy doit absolument améliorer ses reports de voix des électeurs de Marine Le Pen et François Bayrou, et donc séduire l’électorat traditionnel de la droite», souligne Eric Bonnet, directeur d'études opinion chez BVA. Précisons ici les limites des estimations de report de voix, qui portent sur des effectifs encore plus réduits que les intentions de vote générales, et comportent donc des marges d’erreur importantes.
Le Pen et Bayrou
En tenant compte de ces précautions, les derniers sondages indiquent qu’entre 50% et 60% des électeurs de Marine Le Pen au premier tour ont l’intention de voter pour Nicolas Sarkozy au second, contre seulement 15% pour François Hollande. Ce report de voix n’est pas suffisant. Pour comparaison, le candidat de l’UMP avait recueilli autour de 70% des voix de Jean-Marie Le Pen en 2007. Mais Nicolas Sarkozy peut espérer que parmi les quelque 25% à 30% d'électeurs de Marine Le Pen qui ne se prononcent pas, une partie penchera finalement pour lui le jour du vote. Et l’évolution lui est plutôt favorable: l’Ifop calculait le 23 avril un report de 42%, contre 50% aujourd’hui.
Les électeurs de François Bayrou sont quant à eux partagés de manière quasi-égale en trois tiers entre François Hollande, Nicolas Sarkozy et ceux qui «ne se prononcent pas» (un groupe qui réunit à la fois les abstentionnistes et les indécis). Une grande inconnue subsiste toutefois: les ultimes sondages d’avant-vote ont été effectués jeudi 3 mai, soit avant que François Bayrou annonce qu’il allait voter à titre personnel pour François Hollande.
Les nouveaux électeurs
Même si cela peut sembler contre-intuitif (on peut penser qu’une
partie des électeurs dont le candidat n’est pas au second tour soit tentée par l’abstention
au second), on observe généralement une très légère hausse de la participation au
second tour de l’élection présidentielle. «Une
partie des électeurs estiment que le premier tour est une sorte de présélection
dont on connait l’issue et que le vrai choix s’effectue au second», explique
Frédéric Micheau, directeur adjoint du département Opinion et
stratégies d'
Selon CSA, la moitié des abstentionnistes du premier tour a l’intention de voter au second. Ces nouveaux électeurs représentent l’autre grand levier qui a le potentiel de créer un renversement de situation de dernière minute. Car l’électorat n’est pas tout à fait le même au premier et au second tour. «La relative stabilité de la participation que l’on observe habituellement entre les deux tours masque une recomposition non-négligeable de l’électorat, explique Jean-Yves Dormagen, professeur de sciences politiques à l’université de Montpellier-1 et coauteur de La Démocratie de l’abstention. Il y a généralement autour de 3% des électeurs qui votent au premier tour et pas au second, et 7% d’électeurs qui votent au second mais pas au premier. Cela signifie un électorat recomposé à hauteur de 10%.»
Selon les données recueillies par CSA, les nouveaux électeurs du second tour se répartissent également entre Nicolas Sarkozy et François Hollande cette année. Mais encore une fois, il s’agit d’un échantillon très faible, car il s’agit de sous-groupes d’abstentionnistes, qui ne représentaient déjà que 20% de l’échantillon de départ. Cette incertitude concernant les nouveaux électeurs représente un autre réservoir potentiel de voix pour Nicolas Sarkozy, qui a aussi clairement appelé à mettre en place une «stratégie de mobilisation électorale classique», selon Frédéric Micheau.
Une évolution légèrement positive mais…
Dernier motif d’espoir, l’évolution des sondages. Si aucun sondage depuis le début de la campagne ne l’a donné vainqueur au second tour face à François Hollande, l’évolution des courbes est favorable à Nicolas Sarkozy: l’écart entre les deux candidats se resserre chez tous les instituts qui ont publié leur dernier sondage ce vendredi 4 mai. Chez certains instituts comme l'Ifop ou Ipsos, le dernier sondage enregistre même «le plus faible écart entre les deux candidats observé» par le baromètre depuis le début de la campagne.
Mais cette évolution encourageante se heurte à une observation moins positive pour Nicolas Sarkozy. Historiquement, les derniers sondages avant le second tour ne se trompent pas sur le nom du vainqueur, et parviennent en général même à prévoir le résultat à quelques dixièmes près.
Une exactitude qui s’explique avant tout par le fait qu’à trois jours du vote final, la grande majorité des électeurs sont sûrs de leur choix. «A ce moment, la cristallisation du vote est déjà très largement entamée, explique Frédéric Micheau. Le 15 janvier il y avait 58% d’électeurs sûrs de leur choix, aujourd’hui ils sont 84%.»
En 2007, la dernière vague de sondages avait donné Nicolas Sarkozy gagnant avec un score compris entre 52% et 54,5%, et celui-ci avait finalement obtenu 53,06% des suffrages. Le candidat de l’UMP était en progression chez quatre des six instituts lors de cette dernière vague de 2007.
En 1995, le dernier sondage TNS Sofres avant le second tour, réalisé trois jours avant le scrutin, donnait 53%-47% en faveur de Jacques Chirac, pour un résultat définitif de 52,64%-47,36%. En 1988, TNS Sofres avait fait preuve d’encore plus d’exactitude, prédisant un score de 54%-46% pour François Mitterrand, avec un résultat final très proche de 54,02%-45,98%. On retrouve la même marge d’erreur très faible entre le dernier sondage pré-second tour de 1981 le résultat de cette année là. Le plus gros écart est celui de 1974, où la différence entre le dernier sondage de TNS Sofres et le résultat approchait un point. Mais même un tel écart ne suffirait pas à faire gagner Nicolas Sarkozy le 6 mai.
Grégoire Fleurot
Article actualisé le vendredi 4 mai à 23 heures avec le dernier sondage de l'Ifop.