Le match attendu aura bien lieu, mais pas tout à fait dans les conditions qu’on attendait. Le 6 mai prochain, 44,5 millions de Français auront le choix, au second tour, entre un François Hollande arrivé en tête face à Nicolas Sarkozy (28,63% contre 27,08%, selon des résultats quasi-complets diffusés par le ministère de l'Intérieur à 2h10), mais qui dispose de réserves de voix légèrement réduites par rapport à ce qui avait été anticipé, et un président-candidat qui va devoir avant tout séduire, au second tour, l’électorat qu’il comptait «siphonner» dès le premier, celui de Marine Le Pen (18,01%), sans pour autant s’aliéner les voix centristes sans lesquelles il ne peut être majoritaire.
Trois sondages CSA, Ifop et Ipsos, publiés en milieu de soirée, donnaient le candidat socialiste entre 54% et 56% au second tour dans quinze jours, dans la lignée des enquêtes publiées avant le premier tour.
La droite parlementaire est en très nette baisse par rapport à 2007, amenuisant d’autant les réserves de voix «naturelles» de Nicolas Sarkozy. Il y a cinq ans, le candidat de l’UMP recueillait 31,2% des voix, que les 3,4% de Philippe de Villiers et Frédéric Nihous amenaient à 34,6%. Ce dimanche soir, même en incluant les 1,80% de Nicolas Dupont-Aignan (qui n’a pas épargné de ses critiques le président sortant et ne se ralliera pas à lui, témoin son tweet lapidaire de fin de soirée), la droite parlementaire plafonne sous les 29%, 5,5 points de moins.
Une gauche un peu moins haute qu'attendu
François Hollande, lui, va réussir le meilleur total pour un challenger socialiste de premier tour depuis trente ans, avec près de trois points de plus que François Mitterrand en 1981 et Ségolène Royal en 2007. La gauche améliore ses scores précédents, avec un total gauche/extrême gauche/écologistes compris entre 43,5% et 44%, contre moins de 36,5% en 2007, moins de 43% en 2002 (en incluant Jean-Pierre Chevènement, ancien ministre de Lionel Jospin positionné en candidat «ni gauche ni droite») et 40,5% en 1995 —il faut remonter à 1988 (49,1%) pour la trouver plus haute.
«La victoire est à portée de main», a déclaré sur RTL un des proches du candidat socialiste, François Rebsamen. «Ce n'est pas la victoire mais ça y ressemble!», a renchéri dans un communiqué le député de Paris Jean-Christophe Cambadélis. C’est néanmoins moins que ce qu’annonçaient les derniers sondages, qui donnaient la gauche en moyenne à un peu moins de 46%, et cela forcera, notamment, le candidat socialiste à maintenir ses positions dans l’électorat de François Bayrou.
Ce dernier a vu son électorat baisser de moitié par rapport à 2007 (9,11%), et un bon tiers serait prêt à voter pour le candidat socialiste selon les derniers sondages. En 2007, de bons reports du MoDem dans certains de ses bastions (Bretagne, Aquitaine…) avaient d’ailleurs provoqué une forte poussée de Ségolène Royal au second tour dans ces régions.
A sa gauche, le candidat socialiste a déjà bénéficié d’une consigne de vote en sa faveur de Jean-Luc Mélenchon (11,13%), qui a demandé ses partisans de se «retrouver le 6 mai sans rien demander en échange pour battre Sarkozy», tandis que Pierre Laurent, le secrétaire national du PCF, a appelé «sans ambiguïté» à voter pour lui. Eva Joly (2,28%) s’est également ralliée tandis que Philippe Poutou (1,15%) a appelé à «dégager Sarkozy». Seule Nathalie Arthaud, qui a réalisé le pire score de l’histoire de Lutte ouvrière (0,57%), a, contrairement à Arlette Laguiller en 2007, appelé ses électeurs à voter «selon leur conscience».
Signaux négatifs du FN
En face, Nicolas Sarkozy pourrait, si François Bayrou et Marine Le Pen ne donnent pas de consigne de vote en sa faveur, être le premier finaliste à ne bénéficier d'aucun ralliement depuis… le général de Gaulle en 1965 —même Jean-Marie Le Pen, en 2002, avait reçu le soutien du MNR de Bruno Mégret au second tour. Le leader du MoDem a expliqué dimanche soir qu’il prendrait «ses responsabilités» après avoir écouté les deux candidats. Vendredi, le Nouvel Observateur révélait un projet d'appel d'élus centristes à voter François Hollande au second tour, impulsé par le dirigeant nordiste Olivier Henno.
Florian Philippot, le directeur de campagne de Marine Le Pen, a lui déclaré que sa candidate annoncerait sa position pour le second tour le 1er mai, lors du traditionnel rassemblement de l’extrême droite à Paris. Les premiers signaux envoyés ont été plutôt négatifs envers Nicolas Sarkozy, Philippot estimant sur BFM TV que sa chef de file devenait celle «de l'opposition», tandis que Jean-Marie Le Pen a jugé sur France 2 que le président sortant avait «perdu» et que le vice-président du parti Louis Aliot a dénoncé un «non choix». Jamais le FN ne s’est rallié au second tour, appelant seulement à ne pas voter Mitterrand en 1988.
Toute la difficulté pour Nicolas Sarkozy consistera donc, comme en 2007, à ramener dans son giron deux électorats aux valeurs opposées. Mais, cette fois-ci, sans bénéficier de la dynamique que constitue une avance sur son adversaire direct, et sans avoir séduit dès le premier tour l’électorat qu'il convoitait, celui qui a voté Marine Le Pen.
A l’heure actuelle, les sondages de reports de voix en vue du second tour (à prendre avec prudence car réalisés sur des sous-échantillons de 100 à 200 personnes, avec donc des marges d'erreur de 5 à 10 points) prévoient non seulement un tiers des électeurs de Bayrou penchant vers Hollande, mais 20 à 30% penchant vers l’abstention. Pour les électeurs de Le Pen, 20% à 30% pencheraient vers Hollande et 15% à 20% vers l’abstention.
Les deux campent sur leur ligne
Dans sa première intervention après les résultats, le candidat de l'UMP a campé sur sa ligne de premier tour de chef d'Etat protecteur déterminé à faire valoir «le respect [des] frontières, la lutte déterminée contre les délocalisations, la maîtrise de l'immigration, la valorisation du travail, la sécurité», choses qu’il serait le mieux à même de préserver car il «mesure le poids» et «connaît les devoirs» de la fonction présidentielle. Il a également proposé trois débats à son adversaire (il y a quinze jours, c’était deux, comme Valéry Giscard d’Estaing en 1981), un sur les questions économiques, un sur les questions de société, un sur les questions internationales.
Une proposition qu’a refusée François Hollande, qui a campé lui aussi sur sa ligne de «candidat du rassemblement pour le changement, […] le plus large possible, […] rassemblement de tous les citoyens attachés à une République enfin exemplaire, soucieux de l'impartialité de l'Etat, candidat de tous les Français qui veulent que l'intérêt général prenne le dessus sur les privilèges». Les deux candidats devraient donc s’affronter une seule fois, le 2 mai, quatre jours avant le second tour.
Jean-Marie Pottier