France

«Ces enfants sont comme vous»: la maladresse de Nicolas Sarkozy avec les élèves

Temps de lecture : 3 min

Il ne faut pas mentir aux enfants pour leur expliquer le drame, mais donner des détails morbides et les inquiéter risque fort de les angoisser.

Nicolas Sarkozy et des élèves du collège-lycée François Couperin, à Paris. REUTERS/Jacques Brinon/Pool
Nicolas Sarkozy et des élèves du collège-lycée François Couperin, à Paris. REUTERS/Jacques Brinon/Pool

Il ne faut pas mentir aux enfants pour leur expliquer le drame, mais donner des détails morbides et les inquiéter risque fort de les angoisser.

«Ça s’est passé à Toulouse, dans une école confessionnelle, avec des enfants de famille juive, mais ça aurait pu se passer ici. Il y aurait pu avoir le même assassin. Ces enfants sont exactement comme vous. La victime n’y est pour rien (…) L’assassin s’est acharné sur une petite fille. Il faut réfléchir à ça.»

C’est en ces termes que Nicolas Sarkozy s’est adressé ce mardi matin à des élèves du collège-lycée François Couperin, à Paris.

Le ton est abrupt, et l’imprécise menace d’un second massacre s’abat soudain sur les élèves qui écoutent le président de la République. Il vient de leur dire, très concrètement, qu’ils auraient pu être assassinés, et leur demande d’y réfléchir, en précisant que le tueur s’est acharné sur une petite fille.

Dans la forme comme dans le fond, la déclaration présidentielle est brutale. Et les réactions sont vives. Cécile Duflot pointe d’ailleurs du doigt ces propos qui la choquent, et interpelle Nicolas Sarkozy sur son compte Twitter, affirmant qu’on ne doit pas parler ainsi à des enfants.

Mais concrètement, comment parler aux enfants de ce drame? Angélique Kosinski Cimelière, psychologue clinicienne pour enfants et adolescents, estime que s’il est effectivement nécessaire de protéger les enfants, on ne doit pas pour autant tout leur cacher. Alors parler, oui, mais pas n’importe comment: il convient avant tout de ne pas négliger les précautions verbales, et de soigner les formulations.

Par exemple, dans le cadre de la minute de silence décrétée pour tous les établissements scolaires français, il est fort probable que les enseignants ont su mettre leur savoir-faire au service d’explications rassurantes, et ont trouvé les mots pour expliquer aux enfants, sans les effrayer, les raisons de cet hommage aux victimes.

Et il ne faut jamais oublier qu’un enfant prend les mots tels qu’ils lui sont dits: en l’occurrence, affirmer brutalement à des gamins «cela aurait pu se passer ici (…) ces enfants sont exactement comme vous» ne constitue ni une vue de l’esprit ni une métaphore pour les enfants qui reçoivent ces phrases, mais bien l’affirmation de la possibilité d’un massacre sur leur lieu de vie quotidien.

De façon générale, quand on parle à un enfant, poser les choses sans les expliquer est potentiellement anxiogène. Dans ce cas précis, le ton abrupt et le choix des mots peuvent déclencher dans l’imagination de ces enfants des fantasmes sur lesquels aucune limite n’aura été posée.

Et la précision donnée par Nicolas Sarkozy concernant l’acharnement du tueur sur une petite fille était aussi inutile que nuisible: cette phrase n’avait aucun intérêt, ni sur le plan de la pédagogie ni dans le cadre de l’hommage rendu aux victimes. Elle constitue simplement une porte ouverte à des visions sanglantes et imprécises, illustrant la cruauté gratuite du tueur et tout juste bonnes à effrayer les enfants.

Si, parmi les enfants, certains ont peur d’aller en cours, les prochains jours, il conviendra alors, face à ce genre de drame, de leur proposer un véritable débriefing. Et pour cela, les parents doivent se mettre en disponibilité, et être réceptifs aux ressentis des enfants. Et oui, on peut prendre les devants aborder le sujet même face à un enfant qui ne donne pas l’impression d’avoir envie d’en parler: «Tu sais qu’à Toulouse, il s’est passé quelque chose?»

Ce qui compte avant tout, c’est de demander à l’enfant ce qu’il ressent, ce qu’il en pense, afin qu’il puisse exprimer ses peurs, sur lesquelles le parent pourra poser des limites. L’enfant est en droit de se faire sa propre idée sur les événements, et de partager la représentation mentale qu’il s’en est forgée. Et c’est là que le parent joue un rôle de garde-fou, en expliquant mais sans tomber dans le piège de la surinformation.

Et pour ce qui est de la question cruciale: «Mais ça peut arriver dans mon école? Quelqu’un peut entrer dans la cour et me tuer?», toute réponse catégorique sera forcément extrême et génèrera de l’anxiété. Dire «Non, ce n’est pas possible» est un mensonge, et l’enfant en sera parfaitement conscient, mais dire «oui, c’est vrai, ça peut arriver» est irresponsable.

Dans l’idéal, une demi-mesure prudente est conseillée: on peut par exemple dire que oui, en théorie, cela pourrait arriver mais qu’après ce qui vient d’arriver à Toulouse, des systèmes de sécurité seront mis en place pour éviter que cela ne se reproduise. L’essentiel est ne pas insécuriser les enfants, tout en répondant franchement à leurs questions.

La peur est naturelle et doit pouvoir s’exprimer. Mais elle doit également trouver des réponses qui permettront de la gérer, et c’est pour cela que le choix des mots est capital: informer, en transparence, sans générer d’angoisses inutiles ou traumatisantes.

Alors quand Nicolas Sarkozy dit à des enfants qu’ils auraient pu être à la place des victimes de la tuerie de Toulouse, on peut se demander dans quelle mesure il a fait preuve de maladresse, à moins qu’il n’ait rompu, de façon implicite, la trêve électorale décidée suite au drame.

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