Aujourd’hui en parfaite santé, les candidats sont tous d’accord pour que l’on ne touche pas à l’article de la Constitution sur la vacance de la fonction présidentielle. Or cet article jusqu’ici inappliqué est pratiquement inapplicable.
Le marbre de la Constitution de la Ve République française prévoit que l’on ne touche pas —sauf situation exceptionnelle et gravissime— au corps du monarque. Sera-ce encore le cas lors du prochain quinquennat? Organisera-t-on bientôt une forme nouvelle de transparence citoyenne sur l’état de santé du prochain président de la République? A la veille de l’ouverture officielle de la campagne, on connaît déjà la réponse. Ce sera non.
A huit semaines du premier tour de l’élection, Le Quotidien du médecin publie les points de vue des candidats sur cette question qui empoisonne l’exercice présidentiel depuis 1973 et la fin de l’exercice de cette fonction par Georges Pompidou.
Elu en 1969, le successeur du général De Gaulle fut atteint durant son mandat d’une grave affection maligne. On en tut l’existence pendant de longs mois en parlant officiellement de mauvaise grippe. Toujours en exercice mais gravement et durablement handicapé, il devait en mourir le 2 avril 1974.
Les précédents Pompidou, Mitterrand, Chirac, Sarkozy
Avec les quelques images d’une télévision publique par ailleurs muette, l’affaire marqua un temps l’opinion. Suffisamment pour que Giscard d’Estaing promette bien vite de faire régulièrement publier ses bulletins de santé. Il n’en fit rien. François Mitterrand fit la même promesse de campagne.
Et il la tint en organisant, durant la plus grande partie de ses deux septennats, la publication régulière de bulletins. Mais il cacha méticuleusement dans ces bulletins lénifiants qu’il était atteint d’une forme métastasée d’un cancer familial de la prostate. Mensonge organisé au nom sacré du secret d’Etat.
Jacques Chirac, lui, ne promit rien. Il s’y tint. Et on minimisa pour lui les causes et l’impact d’un accident vasculaire cérébral. Pour sa part, Nicolas Sarkozy a fait une promesse initiale qu’il n’a pas pleinement respectée durant son quinquennat.
On se souvient que ce dernier fut notamment marqué, dans ce domaine, par un «malaise vagal» survenu en juillet 2009 alors que le Président s’adonnait à un exercice de jogging dans le parc du Château de Versailles. Accident qui nécessita son transfert immédiat en hélicoptère à l’hôpital du Val-de-Grâce.
Mais aujourd’hui? Les réponses fournies au Quotidien du médecin sont tout d’abord une opportunité offerte à chacun(e) de parler de son corps voire de sa psyché.
Les propositions des candidats
Qu’en sera-t-il ensuite? Tous disent en substance être favorable à une information publique sur la santé du chef de l'Etat, mais uniquement dans la mesure où sa capacité à gouverner est engagée, l’intimité devant être préservée.
François Hollande («Il est important que les Français aient confiance en la capacité de leur président à gouverner») est favorable au fait de donner publiquement et régulièrement les informations liées à l'état de santé du chef de l'Etat avec une condition préalable «le respect de l'intimité du président, comme celle de tout autre citoyen, doit être garanti».
Marine Le Pen: la santé du Président ne devient un élément du débat public que «dès lors qu'est déclarée une pathologie particulièrement grave». Sinon, cela relève «de la vie privée».
Jean-Luc Mélenchon: «la transparence ne doit porter que sur les informations ayant un impact sur la fonction»
Eva Joly: «C'est seulement en cas d'empêchement médical que la santé du Président ou de la Présidente doit arriver sur la place publique».
Tous jugent ainsi que rien ne justifie de revenir sur le marbre de la Constitution de la Ve République et son article 7 (titre II) :
« (…) En cas de vacance de la présidence de la République pour quelque cause que ce soit, ou d'empêchement constaté par le Conseil Constitutionnel saisi par le Gouvernement et statuant à la majorité absolue de ses membres, les fonctions du président de la République (…) sont provisoirement exercées par le Président du Sénat et, si celui-ci est à son tour empêché d'exercer ces fonctions, par le Gouvernement.
En cas de vacance ou lorsque l'empêchement est déclaré définitif par le Conseil Constitutionnel, le scrutin pour l'élection du nouveau président a lieu, sauf cas de force majeure constaté par le Conseil Constitutionnel, vingt jours au moins et trente-cinq jours au plus après l'ouverture de la vacance ou la déclaration du caractère définitif de l'empêchement. (…) »
Or tous les spécialistes (médecins et constitutionnalistes) qui se sont intéressés à cette question soulignent que cette disposition est, en pratique, inapplicable dès lors que les fonctions organiques et psychiques sont notablement atteintes sans pour autant que les handicaps à l’exercice des fonctions présidentielles soient visibles. Il n’a d’ailleurs jamais été appliqué. Comment «le gouvernement» nommé de fait par le Président pourrait-il alors saisir le Conseil Constitutionnel? Et comment ce denier établirait-il un diagnostic?
Quand il était encore député et à l’'UMP, Dominique Paillé, ancien directeur d’hôpital avait proposé de créer un collège composé de médecins désignés par chaque formation politique qui serait chargé de vérifier que le Président est bel et bien en état d'assumer sa fonction. Il ne fut guère entendu.
En 1995, un petit groupe informel de constitutionnalistes (Georges Vedel, Olivier Duhamel, Guy Carcassonne) et de médecins (les Prs Guy Vallancien et Bernard Glorion) avaient élaboré un projet de commission médicale ad hoc. Elle aurait été chargée d'examiner le chef de l'Etat une fois par an «si des circonstances exceptionnelles le justifient». Seul le président du Conseil constitutionnel aurait connaissance de ses conclusions, à charge pour ce dernier, quand l'état du Président l'exigerait, de saisir les autres membres du Conseil pour décider l'empêchement. Aucune suite.
2012. Le moment ne semble toujours pas venu d’en appeler ici à une transparence que l’on tient pour omniprésente dans les affaires publiques. Pas plus qu’au principe de précaution pourtant bien présent, lui aussi, dans le marbre de notre Constitution.
Jean-Yves Nau