Égalités / Monde

En Corée du Sud, le combat féministe post-#MeToo

Temps de lecture : 5 min

De nombreuses manifestations féministes ont émergé ces cinq dernières années face à une stagnation politique devenue insupportable. L'une d'elles a rassemblé 70.000 femmes.

Seo Ji-hyun, l'une des pionnières du mouvement #MeToo en Corée du Sud, a porté plainte contre un ancien ministre de la Justice pour agression sexuelle. | Jung Yeon-je / AFP
Seo Ji-hyun, l'une des pionnières du mouvement #MeToo en Corée du Sud, a porté plainte contre un ancien ministre de la Justice pour agression sexuelle. | Jung Yeon-je / AFP

L'été 2018 a accueilli ce qui est devenu le plus grand rassemblement de femmes dans l'histoire de la Corée du Sud. Des dizaines de milliers de manifestantes se sont réunies pendant quatre mois pour dénoncer le manque de sanctions prises à l'encontre des poseurs de caméras espions. Ces dispositifs, appelés 몰카 (molka), sont de minuscules caméras cachées dans les toilettes publiques, hôtels, cabines d'essayage, vestiaires, ou même appartements privés. En plus d'être complètement illégal, leur contenu finit en ligne pour être consulté par une communauté payante (ou non). En août, près de 70.000 femmes se sont réunies autour du slogan «ma vie n'est pas ton porno».

La société civile a toujours joui d'une place importante en Corée du Sud moderne, et ce mouvement anti-molka est loin d'être son premier essai concernant le harcèlement sexuel. De nombreuses manifestations féministes ont émergé ces cinq dernières années face à une stagnation politique devenue insupportable. L'activiste Kyungjin Oh de l'Association des femmes coréennes (KWAU) explique que cela fait partie de l'ADN du pays: «La Corée du Sud est une habituée des mouvements sociaux depuis l'occupation japonaise. On sait que l'on doit se battre contre nos dirigeants pour obtenir nos droits fondamentaux. Le féminisme ne fait pas exception.»

«L'histoire en train de se faire. Plus de 20.000 femmes sud-coréennes réclament au gouvernement de mettre fin au “molka” (les caméras espion) [...] dans la plus grande manifestation organisée par des femmes dans le pays.»

En 2019, la Corée du Sud était placée 108e sur 153 pays dans le classement mondial des inégalités de genres du Forum économique mondial. Si le pays est loin d'être le meilleur élève de la liste, il a tout de même gagné dix places depuis 2017. Et c'est sans doute la preuve de l'efficacité de ces nombreux mouvements féministes. Beaucoup se passent dans la rue, à l'instar de celui contre les molka. Cependant, il semblerait que se retrouver en ligne soit plus percutant et sécurisant pour ces femmes. Kyungjin Oh explique que les jeunes féministes savent exactement comment «bousculer le sexisme» sur les réseaux.

L'un des meilleurs exemples: Megalian.com. Cette communauté virtuelle a été créée en 2015 par un groupe de femmes fatiguées des insultes misogynes proférées sur les forums masculins. Son but: appliquer ce même genre de langage sexiste aux hommes, pour leur montrer la violence de leurs propos. On retrouvait donc sur le site des Hannam-choog («peste» au masculin), des Jotspain (dicksplain, une référence au mansplain) ou encore des Gisaengchoong («parasite», en référence à un fœtus masculin). Sans réelle surprise, la communauté est rapidement considérée comme «radicale». Le site fut fermé en 2017 à cause d'une pétition qui a rassemblé plus de 130.000 signatures.

Un mouvement grandissant

Cela n'a pas empêché les anciennes «Megalians» de continuer leurs actions en ligne. Elles ont rapidement obtenu des résultats. Eunseo Song, une Séoulite de 25 ans, témoigne: «J'ai réalisé que le féminisme était complètement rentré dans le débat public en 2018, quand Seo Ji-hyeon a publiquement dénoncé son agression sexuelle.»

Alors que le mouvement #MeToo se propageait dans le monde entier, la procureure Seo Ji-hyun ajoute son témoignage à ceux des survivantes d'agression sexuelle. Elle accuse Ahn Tae-geun, un ancien ministre de la Justice. En Corée du Sud, nombreuses sont les femmes qui se sont identifiées à son vécu. Dans le pays, seulement 22% d'entre elles font état de leurs agressions sexuelles et elles représentent à elles seules 3,4 cas reportés toutes les heures. Malgré le courage de la procureure, l'ancien ministre n'a été condamné que pour abus de pouvoir et non pour agression sexuelle. Après seulement un an de prison, ce dernier a été libéré sous caution et se prépare à faire appel. Si la bataille continue donc pour Seo Ji-hyun, cette dernière aura permis de nombreux changements juridiques et sociaux dans son pays. Et les lois qu'elle a engendrées ont permis à beaucoup de femmes de s'exprimer sans craindre le système coréen.

«“Mon seul pouvoir était celui de dire la vérité .” Seo Ji-hyun, une pionnière du mouvement #SouthKorea’s #MeToo. [...]»

L'émancipation est en marche

En 2019, de nombreux mouvements féministes ont pris de l'ampleur. C'est le cas de la petite sœur du mouvement des Megalians, baptisée «4B». Cette communauté embrasse les «Four No's»: pas de dates, pas de relations sexuelles, pas de mariage et pas d'enfants avec les hommes. Une adhérente explique à SCMP sa frustration: «Aujourd'hui, ce qui semble compter le plus chez une femme, c'est sa capacité à s'occuper de son mari et de sa belle-famille. Nos expériences, notre travail et notre vie ne comptent pas», déclare-t-elle avant d'ajouter: «J'ai toujours senti qu'il y avait plus de désavantages à se marier quand on est une femme.»

Le hashtag #escapethecorset (ou #탈코르셋) a aussi fait trembler la Corée du Sud. Son but: aider les femmes à s'émanciper des standards de beauté coréens. Sur les réseaux, de nombreuses femmes se sont coupé les cheveux et ont détruit leur maquillage en signe de manifestation.

Le physique possède son importance dans ce pays. Pour preuve, la Corée du Sud compte le plus grand nombre de chirurgies plastiques par tête du monde, avec plus d'un million d'interventions par an. On estime qu'une femme sur trois entre 19 et 29 ans a fait une opération. Alors même qu'en 2020, le premier parti politique féministe du pays a été créé. Si toutes ces avancées soulagent de nombreuses femmes, beaucoup se braquent face à ces nouveaux élans.

La crainte d'une guerre des sexes

Eunseo Song explique que la société coréenne a du mal à trouver un équilibre avec des mouvements comme les Megalians ou les 4B, que certain·es considèrent comme radicaux. Elle la première: «La réaction de mes proches ne serait pas joyeuse si j'annonçais que j'étais féministe… Le féminisme coréen est perçu comme plus radical que “les autres”. Il tend à créer une division entre les hommes et les femmes.»

«Ce que les antiféministes collent derrière les sièges prioritaires pour les femmes enceintes dans le métro de Séoul. “Le féminisme est une forme mutante du nazisme”.»

De nombreux mouvements et partis antiféministes se sont développés ces dernières années, clamant que «le féminisme radical est aussi toxique que le terrorisme» et que le féminisme n'est pas une question d'égalité des genres, mais bien une forme violente et haineuse de discrimination contre les hommes. Un sondage de Realmeter a montré que 76% des hommes coréens dans leur vingtaine et 66% de ceux dans leur trentaine sont opposés au féminisme.

Kyungjin Oh pense savoir pourquoi les hommes ont une réaction si tranchée: la compétitivité du pays et le taux de chômage grandissent chez les jeunes. «70% des lycéens vont à l'université. D'un côté, on a des femmes qui en ont marre d'être discriminées alors qu'elles excellent. De l'autre, on a des hommes qui n'ont jamais vu les femmes comme des rivales sérieuses et qui maintenant les voient prendre “leurs places” sur le marché du travail. Cependant, la jeune femme reste confiante: il leur faudra du temps pour atteindre leurs buts, mais elle sait que les choses sont en bonne voie.

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