Les Vingt-sept se sont mis d'accord sur un plan de relance financé par l'emprunt au niveau européen et sur le fait qu'au moins 30% des dépenses devront aller à des projets liés au climat. Cet accord doublement intéressant est pourtant loin de susciter un grand enthousiasme et ce n'est pas tout à fait surprenant.
Jour «historique» pour l'Europe, un investissement «colossal»: notre président n'a pas lésiné sur les adjectifs pour qualifier les résultats du Conseil européen qui s'est tenu du 17 au 21 juillet. Il faut le reconnaître: cet accord laborieusement acquis mérite d'être salué.
Ambitions revues à la baisse
D'abord par les montants en jeu: les politiques européens se sont entendus sur un cadre financier pluriannuel, le CFP. En langage clair un ensemble de dépenses devant atteindre 1.074,3 milliards d'euros entre 2021 et 2027 et un plan de relance, le Next Generation EU dans le jargon bruxellois, de 750 milliards.
Ensuite par les modalités de financement et d'octroi des aides accordées dans le cadre du plan de relance: les 750 milliards seront financés par un emprunt lancé par la Commission au nom de l'Union européenne, ce qui est une grande première. Et une bonne partie de cette somme, 390 milliards, sera allouée sous forme de subventions aux États ayant le plus souffert de la crise provoquée par l'épidémie de Covid-19, le reste étant versé sous forme de prêts remboursables.
Évidemment, pour arriver à ce résultat, il a fallu faire des concessions. Pour obtenir un plan de relance de ce montant, les ambitions ont été revues à la baisse pour le cadre financier pluriannuel: en février, la Commission proposait 1.135 milliards d'euros et le Parlement 1.324 milliards.
D'ailleurs, le Parlement européen, ulcéré, menace de ne pas voter ce cadre financier si l'accord n'est pas amélioré.
La vertu des États «frugaux» récompensée
Il a fallu aussi, cela a été amplement commenté, ramener la part prévue pour les subventions du plan de relance de 500 milliards à 390 milliards, alors que cette forme d'aide est incontestablement plus efficace que des prêts s'agissant d'États déjà très endettés.
Puis, il a fallu accorder des rabais à certains États sur leur contribution au budget de l'Union, contribution calculée en fonction du revenu national brut. Si l'Allemagne s'est contentée du montant de son rabais tel qu'il avait été fixé avant la réunion, à 3,67 milliards, les quatre États «frugaux» ont obtenu des hausses substantielles: 22% pour les Pays-Bas à 1,921 milliard, 34% pour la Suède à 1,069 milliard, 91% pour le Danemark à 377 millions et 138% pour l'Autriche à 565 millions. Il faut bien que la vertu soit récompensée...
Il a fallu ramener la part prévue pour les subventions du plan de relance de 500 milliards à 390 milliards.
Toutes ces concessions peuvent être jugées sévèrement, elles étaient indispensables: le recours de l'Union européenne à l'emprunt pour financer le plan de relance devra être approuvé par les vingt-sept parlements nationaux. S'ils n'avaient pas obtenu ces octrois, les dirigeant·es des États «frugaux» auraient sans doute beaucoup de mal à obtenir cette approbation.
Il n'empêche que certaines leçons de vertu ont du mal à passer quand on voit, par exemple, que les Pays-Bas financent leur budget grâce à une fiscalité très arrangeante pour les multinationales qui y créent une holding.
Ainsi que vient de le montrer une récente étude du groupe de réflexion Tax Justice Network, chaque dollar prélevé par le fisc néerlandais sur les profits des entreprises américaines opérant en Europe prive les autres États européens de près de cinq dollars de recettes. Il est pour le moins agaçant que ceux ayant un tel comportement se permettent ensuite de faire la morale à ceux dits dépensiers.
Des recettes européennes encore floues
Il faut aussi remarquer que le chef de l'État s'emballe peut-être un peu lorsqu'il déclare, en parlant des 40 milliards de subventions que la France doit recevoir et qui doivent servir à financer le plan de relance de 100 milliards en préparation: «Cela veut dire que cet argent viendra de l'Europe sur notre budget sans que nous ayons besoin de le financer, ni par notre propre endettement à nous, ni par nos impôts.»
Certes, ces 40 milliards viendront des 750 milliards que l'Union européenne empruntera, mais est-il sûr que l'Europe parviendra à rembourser cette somme sans faire appel aux budgets nationaux?
L'accord conclu le 21 juillet prévoit un net développement des ressources propres de l'Union. Il est prévu dès l'année prochaine une contribution nationale calculée en fonction du poids des déchets en plastique non recyclés. Il est également planifié un mécanisme d'ajustement carbone aux frontières et une redevance numérique qui devraient entrer en application avant la fin de 2022.
Mais, dans ces deux cas, les problèmes techniques et politiques posés par ces prélèvements sont encore loin d'être résolus. On parle aussi d'une réforme du système d'échange de quotas d'émission de gaz à effet de serre et également d'une taxe sur les transactions financières.
Depuis le temps que ce dernier sujet est discuté dans les diverses enceintes européennes, on peut avoir quelques doutes sur la possibilité d'arriver relativement rapidement à un accord permettant des recettes d'un montant significatif. Bref, les ressources devant permettre le remboursement de l'emprunt européen sont loin d'être assurées.
L'emploi ou la planète?
Quant à la relance verte, elle ne doit pas non plus provoquer des espoirs excessifs. La prise de conscience de la gravité du problème est réelle et l'accord prévoit qu' «un objectif climatique global de 30% s'appliquera au montant total des dépenses au titre du CFP et de Next Generation EU» et que «en règle générale, toutes les dépenses de l'UE devraient concorder avec les objectifs de l'accord de Paris».
Mais les mesures déjà annoncées en France, en ce qui concerne par exemple l'automobile ou l'aéronautique, montrent bien qu'il est difficile de concilier à la fois l'objectif d'une réduction des émissions de gaz à effet de serre et celui d'une relance de l'activité et du soutien à l'emploi. À moyen et long terme, il faudra bien que les deux objectifs soient atteints simultanément, mais, à court terme, il faudra se contenter de mesures qui ne sont pas pleinement satisfaisantes.
En mai dernier, Philippe Martinez, secrétaire général de la CGT, avait surpris en s'associant à diverses autres organisations (Greenpeace, Attac, les Amis de la terre, etc.) autour d'un plan de sortie de crise à la fois social et écologique.
Dans un entretien accordé au Monde, il avait clairement posé les limites de l'exercice: «Si on dit aux salariés "vous avez le choix entre votre emploi ou la planète", cela va être compliqué». Et c'est effectivement en ces termes que la question risque concrètement de se poser dans les prochains mois et les prochaines années.
Bruno Le Maire, qui surprend plutôt agréablement par sa volonté de faire du plan de relance «un plan vert», ainsi qu'il l'a expliqué au JDD, semble avoir bien pris la mesure du problème: «Pour que la transition écologique soit acceptée par tous les Français, elle doit créer des emplois. Nous allons donc engager un processus de formation pour que nos choix de nouvelles filières industrielles se traduisent par de nouveaux emplois.»
«Si on dit aux salariés "vous avez le choix entre votre emploi ou la planète", cela va être compliqué.»
En ce domaine, le ministre de l'Économie va pouvoir compter sur l'appui du nouveau Premier ministre, même si les petites piques envoyées par Jean Castex aux «tenants d'une écologie punitive et décroissante» ne sont pas de nature à améliorer les rapports du pouvoir avec les écologistes…
Comment allier croissance et écologie
Mais il ne faut pas rêver. Personne ne sait encore comment réussir cette alliance entre croissance et écologie que vante le Premier ministre.
À tous ceux et celles que cette question intéresse, on ne saurait trop recommander l'écoute d'un débat qui a eu lieu le 3 juillet dans le cadre d'Aix-en-Seine (tous les ans, le Cercle des économistes organise début juillet des rencontres qui ont lieu à Aix-en-provence, mais cette année, épidémie oblige, les débats ont été diffusés en vidéos depuis les studios de France Info) entre Jean- Marc Jancovici, président et fondateur du Shift Project, et Xavier Ragot, président de l'OFCE.
Jean-Marc Jancovici, polytechnicien, aborde le problème en ingénieur. La croissance est fonction de la quantité d'énergie dont on dispose. Notre économie repose sur l'extraction de ressources non renouvelables. Si demain on dispose de moins d'énergie, le PIB se contractera. D'ailleurs, selon lui, on y est déjà. Croire que la croissance va revenir, c'est Alice au pays des merveille!
La croissance verte, ça n'existe pas
Le langage est brutal, volontiers provocant, mais clair. Christian Ragot, économiste keynésien, croit, lui, à la croissance, mais à la condition de la redéfinir.
Pour simplifier, la croissance, c'est la valeur des choses. Le calcul du PIB repose sur des conventions. Si on met un prix à la biodiversité, la biodiversité croîtra et il y aura croissance. On pourra continuer à croître si on réinvente la notion de valeur et si on utilise la technique de façon intelligente pour l'environnement.
Au final, l'ingénieur et l'économiste donnent l'impression d'être d'accord, mais si l'on suit le raisonnement de Jean-Marc Jancovici, il est clair que le passage à cette nouvelle croissance ne sera pas une partie de plaisir. D'ailleurs, pour faciliter ce passage, il estime nécessaire, à la différence de la plupart des écologistes, le recours à l'énergie nucléaire, les énergies renouvelables ne pouvant suffire à remplacer les énergies fossiles qui, souligne-t-il, représentent «80% de la machinerie mondiale». En clair, «la croissance verte, ça n'existe pas!».
Si on met un prix à la biodiversité, la biodiversité croîtra et il y aura croissance.
On peut trouver le propos pessimiste, mais il est parfaitement réaliste. Ce n'est pas en se cachant des difficultés que l'on pourra réussir la transition énergétique, sachant que ce terme est épouvantablement ambigu: la transition est une étape intermédiaire, le passage d'un état des choses à un autre.
Mais vers quel état du monde veut-on réellement aller? Derrière la façade verte dont presque toutes les organisations politiques et les gouvernements se parent, les différences de vision sont considérables.
La course aux énergies fossiles continue
Nos petites querelles françaises et européennes ne doivent pas cependant nous faire oublier l'essentiel: partout dans le monde, la course aux énergies fossiles se poursuit. Dans le grand nord russe, Gazprom Neft et Shell s'allient pour explorer les ressources en hydrocarbures. D'ailleurs, Shell, ainsi que le groupe français Total, continuent d'investir encore davantage dans les énergies fossiles que dans les énergies renouvelables; entre les discours et les actes, les décalages restent importants.
C'est également le cas au Japon où, en dépit des engagements pris dans le cadre de l'accord de Paris, le pays continue de dépendre du charbon pour un tiers de sa production d'électricité et de financer la construction de centrales au charbon à travers le monde.
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Quant à la Chine, elle affirme certes que la part du charbon doit diminuer dans sa production d'énergie électrique, mais comme ses besoins en énergie augmentent, ses projets de construction de centrales au charbon continuent d'éclore comme les cent fleurs, au point de dépasser la puissance des centrales au charbon actuellement en fonctionnement aux États-Unis ou en Inde…
À côté de cela les mesures annoncées à Paris ce 27 juillet à l'issue du Conseil de défense écologique pour mettre en application les recommandations de la Convention citoyenne sur le climat, si bienvenues et importantes soient-elles, pèsent malheureusement assez peu.