Si l'on en juge par les mouvements erratiques enregistrés actuellement sur les marchés boursiers, la confiance dans une reprise de l'activité rapide et forte a nettement fléchi. Sur le plan sanitaire, bien qu'elle semble ici en constante amélioration, la situation reste très sombre au niveau mondial, ainsi que le directeur général de l'OMS l'a souligné le 22 juin avant de renouveler sa mise en garde huit jours plus tard: «Il semble que presque chaque jour soit placé sous le signe d'un sinistre record. […] Certains pays continuent d'enregistrer une augmentation rapide du nombre de cas et de décès. Des pays qui étaient parvenus à enrayer la transmission constatent maintenant que le nombre de cas repart à la hausse à mesure que les sociétés et les économies rouvrent.» Les nouvelles qui continuent d'arriver jour après jour du sud des États-Unis ne font que confirmer ce diagnostic. Et sur le plan économique, le 24 juin, le FMI publiait une mise à jour de ses prévisions qui a fait l'effet d'une douche froide.
Ces nouvelles prévisions ne sont pas d'un pessimisme excessif et n'ont pas surpris celles et ceux qui restaient lucides et refusaient de prendre leurs désirs pour des réalités. Leur intitulé résume très bien la situation: «Une crise sans précédent, une reprise incertaine.» En avril, le FMI estimait que le PIB mondial reculerait de 3% cette année. Sa nouvelle estimation est maintenant de 4,9%. Pour 2021, il s'attendait à un rebond de 5,8%. Il estime à présent que ce sera plutôt 5,4%. Gita Gopinath, son économiste en chef, explique que la perte de production cumulée sur les deux années dépassera les 12.000 milliards de dollars…
Pour l'économie, le pire est à venir
Les effets de la pandémie se feront sentir encore à moyen terme, avec des finances publiques mises à mal dans les pays avancés comme dans les pays émergents et en développement: «Les États, insiste-t-elle, devront disposer de cadres budgétaires solides pour assainir leurs finances publiques à moyen terme en réduisant les gaspillages, en élargissant la base d'imposition, en luttant contre l'incivisme fiscal et, pour certains pays, en instaurant une plus grande progressivité de l'impôt.» Pour la France, on le sait, Emmanuel Macron a exclu l'idée d'une hausse des impôts, mais il ne faut pas se laisser impressionner par l'avalanche de milliards devant se déverser sur l'économie: une fois passées les aides d'urgence, plus souvent d'ailleurs sous forme de prêts que de subventions ou de dotations en capital, les dépenses seront strictement calculées.
Les difficultés sont donc loin d'être derrière nous. Et Christine Lagarde, présidente de la BCE, est bien imprudente lorsqu'elle déclare que le pire est «probablement passé» en Europe. À moins d'une deuxième vague de Covid-19, on peut effectivement penser qu'on a passé le point bas en matière d'activité. Mais, pendant la phase de confinement, tout était gelé, y compris les audiences des tribunaux de commerce et les procédures de licenciement. L'État comblait les baisses de revenus subies par les entreprises et les particuliers. Déjà on voit se multiplier les annonces de baisse d'effectifs et les défaillances d'entreprises ne vont pas tarder à arriver. Pour les salarié·es ainsi que pour les travailleurs et travailleuses indépendant·es des secteurs les plus directement touchés par la crise, le pire est en fait à venir.
Le climat au cœur de la relance
Certes, les États ne restent pas inactifs. Le FMI estime maintenant les aides budgétaires apportées à un niveau supérieur à 10.000 milliards de dollars. Avec l'Agence internationale de l'Énergie (IEA), il incite les gouvernements à «engager des investissements publics écologiques pour accélérer la reprise et avancer dans la réalisation d'objectifs climatiques à plus long terme». Ainsi que l'explique le Dr Fatih Birol, directeur exécutif de l'AIE, la crise a provoqué une chute sans précédent de la demande d'énergie, mais elle a dans le même temps provoqué une chute de 20% des investissements énergétiques mondiaux.
Si le monde ne veut pas manquer d'énergie dans les prochaines années, il va falloir reprendre ces investissements, en choisissant des systèmes énergétiques moins polluants que les précédents.
Le virage vers les énergies non fossiles devrait réconcilier les gouvernements avec leurs mouvements écologiques.
«Les gouvernements ont aujourd'hui une occasion unique de stimuler la croissance économique, de créer des millions de nouveaux emplois et de mettre les émissions mondiales de gaz à effet de serre en déclin structurel.»
On peut certes, comme l'économiste Patrick Artus devant les journalistes de l'AJEF, estimer que «ce choc est compliqué à gérer, car il faut réallouer l'emploi». L'ajustement sectoriel va être difficile et sera «un frein colossal à la reprise», surtout dans notre pays où la formation est un problème récurrent. Mais ce virage vers les énergies non fossiles devrait réconcilier les gouvernements avec leurs mouvements écologiques.
Une vague verte à relativiser
Est-ce que ce sera le cas en France où le deuxième tour des élections municipales a confirmé une forte poussée des Verts? Le premier constat que l'on peut faire est que le gouvernement et le législateur devraient pouvoir avancer dans cette direction en rencontrant moins de résistance qu'au moment où ils ont voulu relever la taxe carbone. Il ne faut pas toutefois exagérer l'importance de la vague verte: le scrutin ne concernait pas la plupart des petites communes, où une majorité s'était dégagée dès le premier tour, et il y a eu près de 60% d'abstentions. Dans une ville comme Grenoble par exemple, où le candidat EELV a été brillamment réélu, celui-ci ne peut se prévaloir du soutien que de moins d'une personne sur cinq inscrites sur les listes électorales.
Jeanne Barseghian et Éric Piolle, candidat·es d'Europe Écologie-Les Verts à Strasbourg et à Grenoble, ont tous les deux remporté le siège de maire au deuxième tour des élections municipales, le 28 juin. | Frédérick Florin / AFP
Il ne faut pas non plus s'extasier de façon excessive devant les travaux de la Convention citoyenne sur le climat. Que 150 personnes choisies par tirage au sort finissent au bout de neuf mois de travaux par se mettre d'accord sur des propositions traduisant un profond accord avec beaucoup de thèses écologistes peut sembler constituer un beau succès pour ces thèses. Comme l'a expliqué l'un de ces citoyen·nes devant le président de la République le 29 juin, «beaucoup d'entre nous ont reçu une gifle en découvrant l'ampleur du problème».
Mais le succès de la conférence est d'abord le succès des individus qui l'ont organisée et pilotée ainsi que des expert·es qui sont intervenu·es en nombre au cours des travaux. Visiblement, ces professionnel·les ont su convaincre les 150 citoyen·nes de la gravité du problème et les guider vers les solutions à envisager. Mais il en reste beaucoup d'autres à convaincre et des freins puissants au changement subsistent à l'évidence dans la population. Chacun·e est d'accord pour que l'on réduise les émissions de gaz à effet de serre, à condition que cela ne remette pas fondamentalement en cause sa façon de vivre et que son emploi ne soit pas touché.
Une mise en œuvre compliquée
Quoi qu'en pensent beaucoup d'écologistes qui restent sceptiques face à l'engagement pris par Emmanuel Macron que toutes leurs propositions «deviennent une réalité», à l'exception de trois d'entre elles, le président de la République prend un risque non négligeable en engageant ce processus. Si l'on prend la peine de lire les 460 pages du rapport final de la Convention, on constate d'ailleurs que les trois propositions écartées parce qu'elles posaient un problème juridique ou politique ne sont pas les plus importantes.
Qu'il s'agisse de la rénovation énergétique des bâtiments, des normes devant s'imposer aux véhicules mis en vente ou des mesures visant à limiter l'artificialisation des sols, l'impact de telles mesures sera lourd et il ne faudra pas s'étonner si la discussion prend du temps.
Sur la question climatique, il serait erroné de croire que le monde des affaires est l'ennemi.
Beaucoup de ces mesures n'auraient d'ailleurs vraiment de sens que si elles étaient appliquées au niveau européen (c'est notamment le cas des normes dans le secteur automobile), ce qui complique encore un peu plus le processus de mise en œuvre.
Il faut tout de même rappeler que des responsables politiques dignes de ce nom ne peuvent se permettre, en pleine crise économique, de prendre des mesures qui auraient pour effet immédiat de provoquer une hausse du chômage dans certains secteurs ou certaines régions. Ce n'est pas pour rien que l'on parle de «transition» énergétique, sachant qu'il faut tout de même aller vite car il y a urgence. Mais sur la question climatique, il serait erroné de croire que le monde des affaires considéré globalement est l'ennemi. Beaucoup d'industriels et de financiers ont compris que leur intérêt bien compris était de favoriser les énergies renouvelables et les activités faiblement polluantes. Le capitalisme n'est pas un bloc compact: si des entrepreneurs et des entrepreneuses qui innovent avec des projets limitant les émissions de gaz à effet de serre ont la perspective de mettre à mal des industries polluantes, elles et ils ne se gêneront pas…
Le pouvoir de la finance
L'actualité nous montre même que, parfois, les financiers sont en avance sur le monde politique. C'est le cas aux États-Unis où l'administration Trump soutient à fond l'industrie charbonnière et où les gérants de capitaux se montrent de plus en plus réticents à financer cette industrie. Ainsi BlackRock, première société de gestion au monde avec près de 7.000 milliards de dollars dans ses fonds, met désormais l'accent sur les critères ESG (environnement, social, gouvernance) et ne veut plus de charbon dans ses portefeuilles.
Les écologistes se méfient beaucoup de ce monstre devenu trop puissant et émettent beaucoup de réserves sur l'efficacité du processus de sélection des placements par les critères ESG qui autoriseraient en fait de financer à peu près tout et n'importe quoi. Mais l'administration Trump s'en méfie encore plus, au point d'avoir pris le 23 juin des mesures visant à écarter les fonds ESG des comptes de retraite des salarié·es, dont les fameux plans 401(k).
À ce sujet, le financier Matt Levine, qui donne régulièrement son point de vue sur le site de l'agence Bloomberg, pose la question de la légitimité des uns et des autres: si la légitimité du pouvoir politique ne fait pas de doute, celle d'une institution financière auxquelles des millions de personnes confient leur argent ne peut être complètement ignorée. Peut-être la situation s'éclaircira-telle aux États-Unis avec les élections du 4 novembre…
Toujours des sujets qui fâchent
En tout cas, un relatif consensus semble se dégager en Europe de l'Ouest pour respecter les engagements pris dans le cadre de l'accord de Paris sur le climat. Mais entre le monde économique et les écologistes, la relation promet d'être durablement agitée. Tant qu'il s'agit de remplacer des énergies fossiles par des énergies renouvelables, l'accord peut être trouvé. Au-delà, c'est plus compliqué. Le chef de l'État a en tout cas nettement affirmé ce qu'il n'était pas prêt à accepter: «Le choix de la décroissance n'est pas une réponse au défi climatique.» Cela, certain·es écologistes ne le lui pardonneront jamais!
Emmanuel Macron s'adresse aux 150 membres de la Convention citoyenne sur le climat dans les jardins de l'Élysée le 29 juin 2020. | Christian Hartmann / POOL / AFP
D'autres sujets qui fâchent subsistent. La Convention a prudemment laissé de côté la question de la taxation du carbone, sur laquelle il faudra revenir. Mais arriver à un accord au niveau européen sur le sujet, comme le souhaite Emmanuel Macron, alors qu'on n'y est pas arrivé au niveau national n'est pas gagné. Et on remarquera que la Convention n'a rien dit sur la politique énergétique. Au moment où la centrale de Fessenheim est mise à l'arrêt, la question est pourtant fondamentale: peut-on aller vers une économie décarbonée en se passant du nucléaire? Et, si la réponse est non, que faut-il faire? Prolonger le plus possible les centrales existantes, s'engager très vite dans la construction de nouveaux réacteurs, mettre davantage de moyens dans la recherche sur d'éventuels réacteurs nucléaires de quatrième réaction?
Il sera bien difficile d'arriver, comme le souhaite le chef de l'État, à «savoir rester ensemble même quand nous ne sommes pas d'accord, savoir avoir de l'ambition tout en étant apaisés».