Alors que la tendance au déconfinement se généralise à travers le monde et que l'activité devrait repartir progressivement, il est de plus en plus difficile d'établir des prévisions. Les dirigeants chinois l'ont bien compris.
Fait unique dans l'histoire récente, le discours d'ouverture de l'Assemblée populaire nationale, prononcé le 22 mai dernier par le Premier ministre Li Keqiang, ne comportait aucune prévision de croissance du PIB pour l'année en cours.
Parmi les chiffres cités, on peut trouver l'objectif fixé pour le taux de chômage, qui devrait être maintenu à 6%. Mais personne ne croit vraiment à la sincérité du mode de calcul de ce pourcentage.
Quelles que soient ses différences avec notre propre organisation économique, l'exemple de la Chine est intéressant car il montre bien où se situent les incertitudes actuelles.
La production industrielle chinoise s'est vivement redressée en mars et avril, après une forte chute en janvier-février, au point de dépasser de 3,9% celle d'avril 2019. Seulement, au sortir du confinement, la consommation n'a pas suivi: malgré une nette reprise, elle est restée en avril à un niveau inférieur de 7,5% à celui atteint un an auparavant. La demande est en panne dans le secteur des services, en particulier pour les transports, la restauration et le tourisme.
Si l'on voulait résumer un peu brutalement la situation, on pourrait dire que repart ce qui peut être activé directement ou stimulé par l'État, les administrations locales et les entreprises publiques, mais que reste à la traîne ce qui dépend de la confiance de la population et de ses arbitrages entre dépenses et épargne.
Optimisme américain
Aux États-Unis, on semble continuer à croire à un redémarrage rapide, avec des mouvements d'humeur au jour le jour que la Bourse amplifie de façon démesurée.
Le lundi 18 mai, les indices s'envolent parce qu'un laboratoire, Moderna, fait état des résultats très positifs des premiers essais cliniques d'un vaccin contre le Covid-19; l'optimisme est alors si vif que les grands opérateurs de croisières comme Carnival ou Royal Caribbean gagnent tous plus de 15%.
Le soufflé retombe dès le lendemain, parce que les analystes ont pris le temps de réfléchir et estimé que ces essais étaient trop limités pour être vraiment concluants.
Au total, sur la semaine qui s'est terminée le 22 mai, la tendance est toutefois restée à la hausse, malgré un regain de tension entre les États-Unis et la Chine.
Quelques précisions sur le laboratoire Moderna, installé à Cambridge (Massachusetts), qui est une parfaite illustration du pari insensé que représente pour les investisseurs le secteur des biotechnologies: cette entreprise dirigée par un Français vaut aujourd'hui 26,8 milliards de dollars en Bourse, alors qu'au premier trimestre 2020, elle n'a réalisé qu'un chiffre d'affaires de 8,4 millions et a été déficitaire de 124,2 millions.
Prévisions prudentes
Donald Trump et son entourage font évidemment tout ce qu'ils peuvent pour entretenir l'optimisme: pour le secrétaire au Trésor Steven Mnuchin, la reprise est une question de mois et non d'années.
Son point de vue est néanmoins loin de faire l'unanimité. Le Bureau du budget du Congrès américain (CBO), qui vient de publier ses prévisions pour les années 2020 et 2021, table désormais sur une baisse du PIB de 11,2% au deuxième trimestre.
En dépit d'une nette remontée au deuxième semestre, le PIB baisserait cette année de 5,6%. À la fin 2021, il resterait encore 1,6% au-dessous de son niveau de la fin de 2019.
Quant au taux de chômage, après une pointe à 15,8% au troisième trimestre, il se maintiendrait à 8,6% à la fin 2021, alors qu'il ne s'établissait qu'à 3,5% en février dernier.
Ces prévisions prudentes reposent sur l'hypothèse d'un relâchement très progressif des mesures prises pour combattre la pandémie, qui ne disparaîtraient pas complètement avant le troisième trimestre 2021. Elles tiennent comptent de la possibilité d'un retour en arrière temporaire, au cas où la transmission du virus connaîtrait de nouvelles accélérations.
Nouveau plan de soutien
Comme le CBO le souligne, les États-Unis peuvent toutefois compter sur les mesures budgétaires déjà votées –les dépenses de l'État fédéral ont plus que doublé entre avril 2019 et avril 2020!–, ainsi que sur le soutien de la Réserve fédérale.
Et ce n'est pas fini. La Chambre des représentants a voté le 15 mai un nouveau plan de soutien à l'économie, dont le coût est évalué au bas mot à 3.000 milliards de dollars.
Ce HEROES Act (pour «Health and Economic Recovery Omnibus Emergency Solutions») contient tout un ensemble de mesures destinées à compléter les versements directs aux populations les plus démunies, à assurer la rémunération des personnels essentiels du secteur public (hôpitaux, écoles, etc.) et à aider les États et les collectivités locales à faire face aux suppléments de dépenses entraînés par la crise sanitaire.
Il est certain que ce texte voulu par les Démocrates ne sera pas adopté tel quel par la majorité républicaine du Sénat, mais il est probable qu'un accord bipartisan sera trouvé dans les prochaines semaines pour favoriser la relance de l'activité.
À un moment où le confinement et le recours au télétravail ont laissé entrevoir une nouvelle étape dans la numérisation de l'économie, les États-Unis peuvent également s'appuyer sur leurs leaders mondiaux. Ce n'est pas un hasard si, en pleine crise, Amazon a battu le 20 mai un nouveau record en Bourse, tout comme Facebook, qui a continué à en faire de même les deux jours suivants.
Structure européenne inadaptée
Il n'est pas sûr que l'Europe bénéficie de tant de moyens pour assurer son redémarrage. Elle a certes bien réagi au départ et a su adopter un premier plan d'urgence dans des délais inhabituellement rapides. Mais la structure de l'Union européenne et les divisions entre ses membres laissent planer un doute sur l'efficacité des mesures prises.
Parmi les instruments prévus dans le plan de 500 milliards d'euros adopté le 9 avril par l'Eurogroupe figure par exemple un «Pandemic Crisis Support» pour un montant équivalent à 2% du PIB des États membres, soit près de 240 milliards d'euros.
Sa mise en œuvre s'effectue dans le cadre du Mécanisme européen de stabilité (MES), dont l'action est conditionnée à une procédure contraignante prévoyant que l'État secouru doit appliquer des réformes visant à assurer un rééquilibrage de ses finances publiques.
Dans ce cas précis, les conditions ont été fortement réduites, mais il n'est pas sûr que tous les États qui pourraient avoir besoin de ce dispositif, à l'image de l'Italie, aient envie d'y recourir.
Pour l'instant, alors que le programme est opérationnel depuis le 15 mai, seule Chypre s'est montrée intéressée.
Opposition des «Frugal Four»
Quant au nouveau fonds de 500 milliards annoncé conjointement par Emmanuel Macron et Angela Merkel le 18 mai, il apporte des solutions inédites qui marqueraient la naissance d'une Europe réellement solidaire: les sommes seraient empruntées sur les marchés par la Commission au nom de l'UE, remises aux États sous forme de subventions et remboursées par l'Union via son budget, alimenté par les États membres selon les clés de répartition habituelles.
Cette proposition doit maintenant être retravaillée par la Commission et adoptée par les vingt-sept États membres. Ce n'est pas fait. Les «Frugal Four», soit l'Autriche, les Pays-Bas, le Danemark et la Suède, ont déjà fait connaître leur opposition –comme on pouvait s'y attendre.
Compte tenu de la gravité de la situation, ces opposants devraient accepter un compromis, mais il faut savoir jusqu'où ils sont prêts à aller.
Il est probable qu'une partie des 500 milliards serait simplement prêtés aux États dans le besoin et non versés sous forme de subventions. Sauf que si la part des prêts devenait trop importante, la solidarité du projet serait sérieusement mise à mal.
Les «Frugal Four» pourraient aussi exiger que les États bénéficiaires de prêts ou de subventions s'engagent à adopter des mesures de rigueur budgétaire, ce qui reviendrait à torpiller l'initiative franco-allemande.
Rôle décisif d'Angela Merkel
On ne peut donc exclure qu'aucun accord n'intervienne dans les prochaines semaines et que la question ne puisse être réglée qu'au second semestre, sous la présidence allemande de l'Union.
En somme, tout dépendra de la capacité d'Angela Merkel d'imposer ses vues et de sa volonté d'aller jusqu'au bout de sa coopération avec Emmanuel Macron.
Jusqu'à présent, l'Allemagne était considérée comme un membre important du groupe des États frugaux, que beaucoup en Europe ont plutôt tendance à qualifier de «club des radins».
En affichant son accord avec le président français pour la création d'un fonds de solidarité, la chancelière a fait un grand pas de côté, et il n'est pas assuré que toute la classe politique allemande et l'opinion publique la suivent. L'issue des débats est incertaine.
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L'économiste américain Michael Ivanovitch, chroniqueur à CNBC et fin connaisseur des affaires européennes, craint qu'Angela Merkel ne revienne en fin de compte à des positions plus proches de celles habituellement défendues par l'Allemagne.
Et pourtant, souligne-t-il, une solidarité plus poussée au sein de l'Union serait parfaitement justifiée: «La France a acheté des produits allemands pour 106,7 milliards d'euros en 2019, offrant ainsi à Berlin un excédent commercial bilatéral de 40,7 milliards. Avec l'Italie et l'Espagne, les achats des trois pays à l'Allemagne atteignent 219,1 milliards d'euros, ce qui laisse à l'Allemagne un bénéfice net de 62,7 milliards. Est-ce que cela ne compte pas?»
La solidarité budgétaire entre les vingt-sept pays de l'UE serait le minimum requis, alors que chaque État se prépare par ailleurs à soutenir ses champions nationaux dans les grands secteurs les plus touchés par la crise, comme l'automobile. Mais une addition de dépenses nationales ne fait pas forcément une réaction européenne commune à la crise.