Trois ouvrages, une étude historique et deux magnifiques romans permettent de revenir sur les évolutions de Paris depuis un siècle.
«L'Est parisien – Genèse d'une reconquête», récit d'une disparition
Le travail de l'historienne de l'art Pauline Rossi permet de mesurer combien l'architecture est un enjeu politique. Dans L'Est parisien – Genèse d'une reconquête (1919-1975), elle propose une étude sur le long terme pour montrer comment, à la suite du baron Haussmann, les urbanistes ont voulu mettre un terme au Paris des faubourgs et au Paris ouvrier, dans ce que l'on appelle communément «l'est» de la capitale –entre le XIIIe arrondissement au sud-est et le XXe arrondissement au nord-est–, pour en faire une ville nouvelle, à l'image de ses élites.
Entre 1860 et 1975, les dirigeants n'ont eu de cesse de vouloir réaménager les zones extérieures au centre historique, pour étendre la ville. Mais c'est seulement à partir de 1919 que les urbanistes s'attaquent à ce secteur. Les travaux sont pensés comme une reconquête pour établir une continuité entre le centre-ville et ses faubourgs.
La volonté d'harmonisation se heurte toutefois au poids des constructions et à la vie de ces quartiers. Pauline Rossi rappelle combien la volonté de changer Paris a finalement été un échec partiel, puisque les faubourgs ont évolué et ont finalement été incorporés dans une ville nouvelle aux contours mouvants.
L'historienne de l'art distingue quelques temps dans les processus de reconstruction: les grands projets des années 1920 avec le réaménagement de la porte de Vincennes; les années 1930 et la volonté de réduire l'insalubrité; les années 1940 et 1950 et les réalisations d'aménagements ponctuels autour de quelques lieux emblématiques comme la cité Jeanne-d'Arc dans le XIIIe arrondissement. Enfin, le réaménagement en douceur depuis les années 1970 qui caractérise le quartier autour de la rue d'Aligre ou du faubourg Saint-Antoine (XIIe et XIe arrondissements).
La reconquête a été longue et s'est faite par petites touches, sans que les plans d'ensemble ne puissent aboutir. S'il ne s'agit pas d'un meurtre au sens propre du terme, comme l'écrivait l'historien Louis Chevalier, auteur de L'Assassinat de Paris (1977), le Paris populaire a cependant presque totalement disparu.
L'Est parisien – Genèse d'une reconquête (1919-1975)
Pauline Rossi
Presses universitaires de Rennes
344 pages
29 euros
Paru le 23 février 2023
«Les Plaisirs de la rue», éloge de la balade dans Paris
Les éditions de l'Échappée lancent une nouvelle collection, Paris Perdu, afin de retrouver le Paris authentique, le vieux Paris, celui du «petit peuple haut en couleur», celui «des bistrots et de la chaleur humaine», «de la Butte à la Bastoche, du Quartier latin à Aubervilliers, en passant par Ménilmuche ou Belleville».
Le premier volume de la collection, Les Plaisirs de la rue, dû à la plume d'André Warnod, traite des fêtes dans la capitale au lendemain de la Première Guerre mondiale. Né en 1885, ce dessinateur industriel issu d'une famille protestante, devenu Montmartrois d'adoption, se lance dans le roman avant la guerre de 1914-1918, décrivant les joies des cabarets et des bistrots de la butte.
«Le flâneur doit mettre de la nonchalance dans la flânerie et n'avoir que sa fantaisie pour guide. Le flâneur qui veut trop connaître [...] va de déception en déception.»
Pendant tout l'entre-deux-guerres, il multiplie ensuite les récits sur sa ville, avant de devenir historien. La réédition de son livre Les Plaisirs de la rue, initialement paru en 1920, est préfacée par sa fille Jeanine, née en 1921, qui, bon pied bon œil, souligne l'importance, pour son père, des déambulations parisiennes pour comprendre cette ville.
Le livre s'ouvre en effet sur un texte vantant l'art de la flânerie: «Le Parisien passe pour être le badaud par excellence. […] Je ne crois pas qu'il y ait au monde une seule ville où la flânerie puisse devenir aussi aisément un art véritable, digne de tenter les plus délicats. […] Le flâneur doit mettre de la nonchalance dans la flânerie et n'avoir que sa fantaisie pour guide. Le flâneur qui veut trop connaître [...] va de déception en déception. […] Combien est plus avisé celui qui s'offre au spectacle des choses, en reçoit l'impression avec docilité, jamais ne cherche, devant ce qu'il voit.»
Ces principes guident sa balade. L'ouvrage permet de redécouvrir que Paris était fait de chansonniers, de bouquinistes, de vendeurs ambulants, qui parfois se regroupaient aux marchés aux puces. Il souligne aussi les évolutions de Paris, la butte Montmartre devenue «une plage à la mode [où] des gens bien vêtus viennent en automobile pour dîner». «Montmartre est mort», insiste l'auteur, même s'il reste quelques souvenirs comme les poulbots qui continuent à arpenter les rues.
Malgré cela, la ville reste un lieu de fête. André Warnod nous emmène en promenade sur les différentes places qui continuent à festoyer sans fioriture. L'ouvrage est in fine une véritable source pour retrouver ce Paris perdu…
«La Zone verte», des faubourgs à la Picardie, en passant par la banlieue
Le deuxième livre de la collection, La Zone verte, s'intéresse à la campagne qui entourait Paris et a été rédigé par l'écrivain et artiste peintre Eugène Dabit en 1935. Lui aussi évoque le Paris populaire. Né en 1898, il est issu d'une famille d'insurgés –son grand-père a participé à la Commune. Lui aussi montmartrois, il a vécu entre le quartier de la Goutte-d'Or et la rue Championnet, dans le XVIIIe arrondissement parisien. Il quitte ensuite les contreforts de la butte pour le quai de Jemmapes, le long du canal Saint-Martin, et ses parents ouvrent un bistro-hôtel, immortalisé par son roman majeur, L'Hôtel du Nord.
Eugène Dabit s'est alors rapproché du Parti communiste français (PCF). Il participe à une de ses organisations: L'Association des écrivains et des artistes révolutionnaires. Il meurt en URSS en 1936, alors qu'il participait à une visite du pays en même temps qu'André Gide, qui par la suite, publiera Retour d'URSS. Avant ce voyage et cette mort, Eugène Dabit a toutefois eu le temps de rédiger plusieurs livres vantant le peuple de Paris et le caractère populaire de la ville, laissant parfois transparaître son attachement au communisme.
La Zone verte est l'histoire de Leguen, un peintre du bâtiment au chômage qui quitte le quartier de Barbès pour traverser la zone des faubourgs, puis la grande banlieue, cette zone encore non construite, où se mêlent promeneurs et paysans. Il se retrouve finalement à Mantes-la-Jolie (Yvelines), avant de se retrouver en Picardie, à la lisière de la baie de Somme, à Boismont, grâce à des autres protagonistes du roman.
À Boismont, le héros finit par travailler quelque temps dans un café; il y écoute et y engage alors des discussions sur la question sociale. Eugène Dabit se projette dans ses héros malheureux évoquant le poids de la Grande Guerre, leurs engagements politiques, mais aussi la question la liberté liée à l'anonymat de la ville face à la complexité des relations sociales dans des bourgades où tout le monde se connaît. Comme un appel de Paris.