Culture

Intellectuels fascinés par Hitler et gauche attirée par le nazisme: plongée dans la France collabo

Temps de lecture : 4 min

Quatre ouvrages permettent de mieux comprendre les motivations de ceux qui se sont fait les relais de la propagande nazie dans les années 1940.

Le collaborationniste français Jacques Doriot, fondateur du Parti populaire français (PPF), porte l'uniforme allemand et pose devant des affiches de la Légion des volontaires français contre le bolchévisme (LVF). | Auteur inconnu / Domaine public via Wikimedia Commons
Le collaborationniste français Jacques Doriot, fondateur du Parti populaire français (PPF), porte l'uniforme allemand et pose devant des affiches de la Légion des volontaires français contre le bolchévisme (LVF). | Auteur inconnu / Domaine public via Wikimedia Commons

Régulièrement, le thème de la collaboration revient à la une de l'actualité. Depuis la campagne électorale, les travaux des chercheurs –dont le rythme est, précisons-le, indépendant des évolutions politiques– permettent d'en approfondir certaines dimensions.

«Ils l'appelaient Monsieur Hitler», récits de fascisations

La collaboration est d'abord un système d'adhésion: des hommes et des femmes ont, par choix idéologique, soutenu le régime de Vichy et, pour certains, admiré Adolf Hitler depuis le début des années 1920. C'est ce que rappelle l'écrivain et historien Christophe Bourseiller dans son ouvrage sur les nazis français, Ils l'appelaient Monsieur Hitler–L'histoire méconnue des nazis français (1920-1945).

Une partie des intellectuels se sont très tôt ralliés à Hitler. Dès que la nouvelle de la tentative de putsch dans la brasserie munichoise du 8 novembre 1923 se répand, quelques ténors de l'extrême droite trouvent cette tentative digne d'intérêt. Tout aussi antisémites que leur voisin, ils trouvent également la lecture de Mein Kampf passionnante et traduisent le texte en français.

Mais les premiers fascistes français viennent pour partie de la gauche de l'échiquier politique. Plusieurs sont passés par l'admiration du fascisme italien, à l'image de Georges Valois, qui fonde le parti politique Le Faisceau en 1925, à Paris. Très vite, il est supplanté par Marcel Bucard et François Coty, qui affirment une fascination plus marquée pour l'Allemagne.

Gustave Hervé, ancien socialiste insurrectionnel, est lui aussi tenté par l'apologie des premiers nazis. Otto Abetz, le futur ambassadeur d'Allemagne en France, intervient quant à lui très tôt dans le dispositif nazi. C'est lui qui, dès 1930, organise les premières rencontres entre intellectuels français et membre du parti d'Hitler.

Pour que le courant prenne corps,
il faut deux partis de masse: celui
de l'ancien communiste Jacques Doriot, le Parti populaire français; et
le Rassemblement national populaire de l'ex-socialiste Marcel Déat.

La deuxième partie de l'ouvrage montre comme le nazisme au pouvoir arrive à se présenter sous son meilleur jour, faisant disparaître les aspérités et les violences au profit d'un ordre nouveau dans lequel le chômage et la misère auraient disparu. Quelques intellectuels se rendent en Allemagne et en reviennent enthousiasmés –contrairement à la grande majorité des voyageurs qui ont vu la réalité du pays.

Les réseaux pro-nazis restent marginaux mais actifs, avec quelques nouvelles tentatives, comme la création de la Solidarité française et de groupuscules tels que Racisme international fascisme de Jean Boissel ou le Parti national prolétarien d'Eugène-Napoléon Bey. Pour que le courant prenne réellement corps, il faut toutefois deux partis de masse. Le premier est celui de l'ancien communiste Jacques Doriot, le Parti populaire français (PPF); le second est le Rassemblement national populaire de l'ex-socialiste Marcel Déat.

C'est seulement avec la défaite et l'occupation que ces différents groupes arrivent à prendre le pouvoir. Amplement relayés par les services de propagande d'Otto Abetz, ils vont, pendant quatre ans, se livrer à l'apologie du nazisme en France, puis tenter de le mettre en œuvre.

Les premiers en participant directement à l'effort de guerre allemand: Jacques Doriot part sur le front russe, puis meurt dans un bombardement sous l'uniforme allemand en 1945. Le mouvement de Marcel Déat, lui, appelle à l'unification de la nation par la race. Au fur et à mesure que la guerre se développe, ils prennent de plus en plus de place dans l'État français, permettant le collaborationnisme.

Ils l'appelaient Monsieur Hitler–L'histoire méconnue des nazis français (1920-1945)

Christophe Bourseiller

Perrin

400 pages

23 euros

Paru le 13 octobre 2022

«Abel Bonnard», vie et mort d'un poète reconverti en ministre nazi

La biographie Abel Bonnard–Plume de la collaboration, rédigée par Benjamin Azoulay, offre une autre illustration du nazisme français. Né en 1883, cet ancien khâgneux devient poète, romancier maurassien puis fasciste, et rejoint le PPF de Jacques Doriot. Le jeune écrivain s'est fait remarquer pour son attitude au combat pendant la Première Guerre mondiale. Devenu académicien, il participe au cercle littéraire nationaliste. Un temps proche de l'Action française, détestant la gauche et Léon Blum, il rejoint le Front de la liberté, un cartel d'organisations animé par le PPF pour faire obstacle au Front populaire.

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Portraits de collabos

Lors de l'arrivée de Philippe Pétain au pouvoir, il est un partisan actif de la collaboration, et est même nommé ministre de l'Éducation dans le second gouvernement Laval en 1942, contre l'avis du maréchal, qui le qualifiait de «gestapette». Il développe une vision élitiste de l'école, tout en mettant en œuvre l'ensemble de la politique antisémite de vichy, et est à l'origine de la suspension de Jules Isaac et de l'interdiction de son manuel.

Le dandy devenu ministre fuit en Allemagne en 1944. Condamné à mort par contumace, il préfère se réfugier en Espagne, avant de rentrer en France en 1958, moment où sa peine est commuée en bannissement. Refusant la sanction, il quitte le pays pour retrouver l'Espagne, n'assumant pas son passé.

Abel Bonnard–Plume de la collaboration

Benjamin Azoulay

Perrin

384 pages

25 euros

Paru le 12 janvier 2023

«Au service du Maréchal?», histoire de la Légion des combattants

Si les deux premiers cas évoqués sont des figures de l'ultra-collaboration, la thèse de l'historienne Anne-Sophie Anglaret, Au service du Maréchal?, vient apporter un éclairage utile et novateur sur la Légion française des combattants, fondée par Philippe Pétain en 1940. Elle regroupe principalement d'anciens membres du Parti social français.

L'autrice montre parfaitement que ces hommes sont principalement issus de milieux sociaux plutôt aisés et peu enclins à défendre les valeurs démocratiques. Cette légion a servi de base, de terreau et de structure d'encadrement au régime de Vichy et a porté le national-conservatisme à la française qui, s'il n'était pas à proprement parler du fascisme, s'en rapprochait forcement.

Au service du Maréchal?–La légion française des combattants (1940-1944)

Anne-Sophie Anglaert

CNRS éditions

336 pages

25 euros

Paru le 19 janvier 2023

«Propaganda Hitler», le poids des mots, le choc des images

Le remarquable ouvrage de l'historien Emmanuel Thiébot, Propaganda Hitler, apporte des éléments complémentaires: il s'agit d'évoquer le nazisme par l'image dans ses éléments de propagande, mais aussi dans sa dénonciation.

Les Français n'ont pas été avares en compliments. Les reproductions des couvertures de Mein Kampf, comme sa diffusion par plusieurs éditeurs de renom, en sont notamment une trace. Il en est de même pour l'exaltation du régime et de son chef par la presse, les timbres et les cartes postales. L'ouvrage soulignant aussi la force des oppositions à Hitler, les caricatures proposées en étant un autre exemple.

Propaganda Hitler–Du «sauveur» au monstre, les 1.000 visages du Führer

Emmanel Thiébot

Armand Colin

260 pages

35 euros

Paru le 19 octobre 2022

L'ensemble de ces travaux vient prouver que la collaboration a d'abord été un choix idéologique, que la France a, entre 1940 et 1944 ,versé dans le fascisme. Un fascisme à la française, mais un fascisme quand même.

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