Les ouvrages historiques qui abordent le sujet du communisme sont abondants. Depuis Arthur Koestler avec Le Zéro et l'infini ou encore Manès Sperber avec Et le buisson devient cendre, les témoignages littéraires le sont également.
Une grande partie d'entre eux portaient sur les années 1930 et étaient pour beaucoup des romans à dimension autobiographique. Mais le communisme sous sa forme originelle a aujourd'hui disparu, permettant à une nouvelle génération de romanciers n'ayant pas vécu son expérience directe de se saisir du sujet. Trois romans récemment parus évoquent ainsi le communisme de la résistance et de la guerre froide.
«Pas la défaite», un homme hanté par les affrontements
Dans un très beau texte, le bibliothécaire et auteur Gilles Moraton analyse magistralement les conséquences de la guerre civile espagnole et les années de la drôle de guerre, avant un saut dans l'immédiat après-guerre.
Le héros de Pas la défaite, Paco, bien que communiste, est hanté par les affrontements entre son camp et les anarchistes, et par l'élimination des marxistes critiques du Parti ouvrier d'unification marxiste dans l'Espagne révolutionnaire de 1937.
Engagé volontaire dans l'armée française en 1940, il se trouve confronté à la défaite, à une armée en déroute et à des soldats errants tels des fantômes sur les routes. Une fois arrivé dans le Midi de la France et embauché comme ouvrier agricole, il participe à une grève de viticulteurs. L'auteur fait le récit minutieux de ce conflit social, avant de reprendre le fil des discussions entre anciens combattants de cette armée qui a connu la débâcle. Pour plonger, en guise de conclusion, dans un procès politique dont le Parti communiste français (PCF) avait le secret.
«L'Enfant rouge», biographie d'un homme et d'un parti
Jean Védrines prolonge en quelque sorte le récit de Gilles Maraton dans L'Enfant rouge, un roman proche de l'autobiographie familiale. Il évoque, dans un dialogue entre générations, la mémoire glorieuse du communisme: la révolution russe, les grèves, la résistance et l'enthousiasme de la Libération. Les lendemains ne chantent qu'en apparence.
Le père, Henri Védrines, membre de la direction du parti côtoie le gratin du communisme, fait partie de la génération du Front populaire. Ouvrier électricien, il anime les grèves à Montluçon puis, fait prisonnier en 1940, il passe la guerre dans un stalag. Bien qu'il crée une cellule communiste dans le camp de prisonniers, son action demeure secondaire, loin des figures légendaires entretenues par le «parti des fusillés». Il est tout de même désigné par le parti pour le représenter à l'Assemblée nationale en 1945, en tant que député de l'Allier.
Cette ombre reste une tache dans le parcours de ce communiste. Ce qui ne l'empêche pas de fréquenter les huiles du PCF: Maurice Thorez, Nikita Khrouchtchev et quelques autres. Ni de s'engager à corps perdu dans les batailles politiques de la guerre froide. Mais, secrètement, le père souffre en silence de cet épisode, tout en partageant avec les dirigeants du parti les secrets de l'action clandestine et surtout de leur formation politique. Même si l'auteur garde une forme de nostalgie familiale, il propose un récit permettant d'approcher la réalité de l'ascension d'un cadre communiste.
«Fièvres rouges», quand l'amour se heurte à la politique
Enfin, dans Fièvres rouges, Judith Rocheman fait revivre la guerre froide, ainsi que le poids du double héritage de la guerre civile espagnole et de la résistance, à travers le personnage de Julia Guzman. Le père de l'héroïne est mort dans les combats contre Franco; son beau-père est un martyr de la résistance.
Julia, devenue étudiante, adhère aux Jeunesses communistes puis au parti. Elle croise par la suite le chemin d'une femme qui devient son amante, et est dénoncée par son ancien conjoint à une époque où le PCF considérait l'homosexualité comme une perversion: pour mémoire, Jacques Duclos, le secrétaire du parti, en plein meeting à la Mutualité, dénonçait les militants du Front homosexuel d'action révolutionnaire leur expliquant qu'il fallait «aller se faire soigner». L'idylle entre les deux femmes aboutit à la remise en question de l'idéologie.
Le roman s'attache aussi à décrire l'action des militants communistes pendant la guerre froide, comme les violents affrontements avec les forces de l'ordre lors de la manifestation contre la venue du général américain, Matthew Ridgway, en 1952, ou la quête du Graal représentée par les festivals mondiaux de la Jeunesse et son apothéose lors des voyages en URSS. Sans oublier les passages par les réunions de cellule et les descriptions du communisme au quotidien.
Trois univers qui permettent d'approcher la nature d'un engagement qui fut massif, mais dont les raisons de l'échec sont aussi en grande partie contenues dans ces récits de vie.