Culture

«T'aime», le film plus que douteux de Patrick Sébastien

Temps de lecture : 5 min

[Épisode 1] Au nom de l'amour plus fort que tout, le premier (et dernier) film de l'animateur déploie des réflexions dangereuses.

Samuel Jouy et Patrick Sébastien dans T'aime (1999). | Capture d'écran louis_bla via YouTube
Samuel Jouy et Patrick Sébastien dans T'aime (1999). | Capture d'écran louis_bla via YouTube

C'est devenu une rareté. Le seul film de cinéma écrit et réalisé par Patrick Sébastien est aujourd'hui quasiment introuvable en offre légale. Pour plusieurs dizaines d'euros, il reste possible de dénicher la VHS de T'aime, mais le nombre d'exemplaires est compté. Si vous n'avez plus de magnétoscope, ne comptez pas sur la VOD: le film est introuvable en ligne. Parce que je tenais absolument à revoir cette œuvre, il m'a donc fallu investir dans un étrange coffret constitué de dix DVD.

Le plus beau des coffrets DVD. | Thomas Messias

On serait bien en peine de trouver une quelconque cohérence thématique entre les dix œuvres qui cohabitent au sein d'un même packaging. Valérie Lemercier, Régis Wargnier, Guillaume Canet ou encore Guillaume Nicloux ne s'attendaient sans doute pas à ce que l'un de leurs films soit un jour proposé avec l'inénarrable objet cinématographique qu'est T'aime, un film si pavé de bonnes intentions qu'il en devient non seulement risible, mais également dangereux.

C'est l'histoire de Zef, un jeune homme simple d'esprit, qui tombe amoureux de Marie, jeune femme de son âge, lors d'une fête de mariage. Ce soir-là, Zef surprend sa grande sœur en pleine relation sexuelle avec un homme. L'étreinte est violente: à la demande de son amante, le monsieur lui administre un certain nombre de fessées. Tout cela sous le regard d'un grand enfant qui ne connaît rien aux choses de l'amour.

Tant et si bien que Zef, lorsqu'il se retrouve seul avec Marie, finit par lui exprimer son amour en lui tapant dessus puis en forçant un rapport sexuel. Appelons un chat un chat: il s'agit d'un viol, mot qui ne sera jamais prononcé pendant toute la durée du long-métrage. Quel que soit son degré de responsabilité et de conscience, Zef a violé Marie, c'est un fait. Alors pourquoi ne pas dire le mot. Peut-être parce qu'il est sale?

L'amour plus fort que le Valium

On comprend assez vite pourquoi Patrick Sébastien tient à détourner le regard. Parce que ce qui l'intéresse, c'est l'amour. Ça et rien d'autre. L'amour. L'animateur s'est écrit le rôle de Hugues Michel, un psy écorché vif (la preuve, il fait de la moto) qui va tenter de sauver Marie, placée en institut psychiatrique parce qu'elle s'est murée dans le silence depuis le drame. Après avoir débarqué furibard en disant «Je ne suis pas à vendre» et «Je trouve que les a priori c'est dépassé», sa troisième réplique scelle le destin du film:

«J'ai baroudé dans le monde entier, des fous il y en a plus dehors que dedans. L'avenir de l'humanité, c'est pas le Valium, c'est l'amour.»

Alors non, Patrick. Vraiment pas. Si l'amour pouvait systématiquement remplacer les antidépresseurs, les Français et les Françaises ne seraient pas assez bêtes pour se shooter quotidiennement. Nous prendrions de grandes doses d'amour aux gens de notre entourage, et toutes nos angoisses partiraient en fumée. Marie a peut-être besoin d'amour, mais elle a aussi besoin d'écoute, d'un traitement médical, et d'un médecin qui ne la touche pas sans son consentement lorsqu'il lui parle.

À propos de ce dernier point, quand elle commencera à aller mieux grâce aux incroyables méthodes de Hugues Michel, Marie finira par s'installer de cette façon pour échanger avec lui:

La victime de viol et son psy, dans une configuration totalement déontologique. | Capture d'écran louis_bla via YouTube

Terrifiant, non?

Mais revenons-en à la grande force de l'amour. Pour soigner Marie, Hugues Michel multiplie les bonnes idées. Voilà ce qui se produit dans sa tête: l'acte commis par Zef n'étant que l'expression maladroite d'un amour mal dégrossi, il faut organiser les retrouvailles de Zef et Marie, leur permettre de se parler, de se connaître, voire même peut-être de donner une deuxième chance à leur relation.

Oui, voilà. Contraindre une victime de viol à se confronter à plusieurs reprises à son violeur jusqu'à ce qu'elle finisse par le trouver mignon, touchant ou à son goût. La fameuse force de l'amour. Et c'est donc ce qui se produit: Hugues Michel s'arrange pour que Zef et Marie se retrouvent dans le même institut, puis provoque des rencontres entre ces deux-là.

Comme Zef prépare des tartines et des dessins pour Marie, celle-ci finira effectivement par oublier son traumatisme, qui disparaîtra aussi subitement que mystérieusement, à la manière de Xavier Dupont de Ligonnès. Mieux: Marie va alors tomber éperdument amoureuse de Zef, et tout mettre en œuvre pour pouvoir vivre cette grande histoire avec lui. Le tout en mangeant des tartines sur du Patrick Fiori, auteur de la chanson du film.

Évidemment, rien ne va. Rien n'a de sens. On peine à comprendre que des producteurs aient accepté de lâcher de l'argent dans un tel projet, qui n'est pas que ridicule d'un point de vue cinématographique, mais qui surtout délivre une série de messages totalement affligeants.

Joseph, Marie et Dieu

Tel un professeur Raoult avant l'heure (la ressemblance physique entre les deux hommes a d'ailleurs fait l'objet de nombreuses blagues sur les réseaux sociaux), Sébastien s'imagine en homme providentiel, capable de soigner tous les maux du monde grâce à sa petite tambouille personnelle. T'aime montre à quel point la mégalomanie peut pousser les hommes à se conduire de la façon la plus idiote et dangereuse qui soit.

Car en s'affublant d'une épaisse tignasse blanche, et en poussant deux êtres nommés Zef (pour Joseph) et Marie à s'aimer, c'est bien en Dieu lui-même que se rêve Patrick Sébastien. Une divinité qui, au nom de l'amour plus fort que tout, s'autorise absolument n'importe quoi, envoyant valser le consentement, la médecine et toute forme de psychologie.

Les bonnes intentions de Patrick Sébastien ne se traduisent pas que par sa curieuse façon de soigner Marie. Elles débordent de partout. Lorsqu'il tente de pointer du doigt les travers de la bourgeoisie via le personnage du père de Marie (Jean-François Balmer), immonde entrepreneur assoiffé de rentabilité, on ne peut qu'être d'accord avec le propos. Mais le traitement, lui, est d'une grossièreté sans nom.

Même chose lorsque le réalisateur propose une vision cauchemardesque des institutions psychiatriques. L'institut qu'il filme pourrait très bien avoir inspiré Ryan Murphy pour sa série American Horror Story. Les patients y semblent abandonnés, évoluant dans des couloirs insalubres et interminables, le tout au cœur d'une atmosphère orageuse en permanence –c'est comme si le soleil n'avait pas le droit d'entrer par les fenêtres. C'est sans doute une question de ton, ou de mise en scène, mais le résultat crée hélas plus de crispation que d'effroi ou de compassion.

American Horror Story: Patrick Sébastien Asylum. | Capture d'écran Boby Beularbe via YouTube

Avec T'aime, Patrick Sébastien aurait sans doute voulu révolutionner l'amour, mais on va plutôt faire confiance à Victoire Tuaillon, Juliet Drouard ou Mona Chollet pour ça. Il aurait également aimé ouvrir de nouvelles pistes en termes de traitement des chocs post-traumatiques et de prise en charge des violeurs, mais visiblement ça n'a pas pris. Et tant pis s'il faut avoir l'air un peu méchant face à de si bonnes et valeureuses intentions: on s'en réjouit.

T'aime ressemble au film institutionnel d'une secte, un truc auquel seuls peuvent éventuellement adhérer Raël, Francis Lalanne et Jean-Marie Bigard. Un délire malsain et jusqu'au-boutiste (la fin est surréaliste) heureusement resté sans suite, les 28.353 tickets vendus par le film lors de sa sortie en avril 2000 ayant visiblement eu raison du Patrick Sébastien réalisateur de cinéma.

Au passage, on se réjouit que le film n'ait pas signé la fin de parcours de Marie Denarnaud, interprète de Marie. Depuis, l'actrice a mené une belle carrière en tournant dans plusieurs dizaines de films dont Les Corps impatients de Xavier Giannoli, Slalom de Charlène Favier, mais aussi Une histoire banale, film réalisé par Audrey Estrougo en 2014 dans lequel elle incarnait une jeune femme... se terrant dans le mutisme après avoir subi un viol. Pour un traitement beaucoup plus réaliste, digne et réussi.

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