Culture

La chanson de Noël qui a fait redescendre le père Noël (sur terre)

Temps de lecture : 7 min

Première chanson hip-hop de Noël, «Christmas in Hollis» de Run DMC a dépoussiéré le genre. Enfin débarrassé de ses clichés et autres fantasmes, le titre rappelle le père Noël à la réalité pour s'installer à la table des fêtes de familles du monde entier.

Image extraite du clip de «Christmas in Hollis» de Run DMC | capture d'écran YouTube
Image extraite du clip de «Christmas in Hollis» de Run DMC | capture d'écran YouTube

«Tu n’as rien qui fasse plus Noël?», demandait John McCLane à son chauffeur en l’emmenant au Nakatomi Plaza un soir de réveillon au début de Piège de Cristal. Évidemment, même en débarquant des rues sales et en ruines du New York des années 1980, le flic blasé ne pouvait concevoir que le beat lourd, les scratchs et le sample funky d’un morceau de hip-hop puisse être l’introduction d’une chanson de Noël. Dans son esprit, elles ne pouvaient être que le fait de vieux crooners à la voix suave comme Bing Crosby, Nat King Cole, Mel Tormé ou Perry Cuomo, voire de jolies et naïves chanteuses comme Brenda Lee ou Connie Francis, le tout noyé sous une masse de grelots. La bande-son idéale d’un Noël fantasmé comme une pub pour électroménagers des années 1950, celle d’une famille de classe moyenne blanche et chrétienne souriant bien au chaud au bord d’une cheminée et d’un sapin richement garni.

Un fantasme que n’a jamais expérimenté Bill Adler dans son enfance. Le premier 25 décembre de sa vie, il l’a passé à la synagogue où il s’est fait circoncire. Ce n’est que trente ans plus tard, en se joignant aux fêtes de Noël chez la famille de son épouse, la très influente chef américaine Sara Moulton, qu’il fait connaissance avec les célébrations de la naissance du Christ. Un coup de foudre immédiat. À l’exception de la musique. «C’était traditionnel et usé», disait-il au New York Times. «Alors j’ai commencé à assembler ma propre bande originale de Noël.»

La chanson de commande d'un juif new-yorkais

C’est la beauté des chansons de Noël depuis qu’un petit juif new-yorkais immigré de Russie a composé leur premier hymne et que d’autres, de la même confession, ont suivi l’exemple. Comme l’écrivait Philip Roth dans Opération Shylock, plus besoin d’avoir fait son catéchisme pour apprécier Noël depuis qu’Irving Berlin, avec «White Christmas» a «déchristianisé» la fête «qui célèbre la divinité du Christ» et a transformé Noël «en une fête sur la neige». Il suffisait juste de se mettre dans l’ambiance avec un bon repas, des illuminations, de gros pulls bariolés, quelques cadeaux et bien sûr des chansons.

Depuis 1982, Bill Adler assemble donc ce qu’il a appelé ses «Christmas Jollies», une compilation pour offrir à ses amis, sa famille et ses collègues, rapidement devenue une institution. Après avoir commencé à enregistrer des cassettes pour une dizaine de personnes, son CD est désormais distribué à 500 personnes et, comme le racontait le New York Times, «c’est une affaire sérieuse, une collection sincère et méticuleusement choisie de musique soul, R&B, latino, caribéenne, jazz, et blues qui nécessite une année entière à assembler. Il plonge dans les bacs des magasins de disques et hante les marchés aux puces, conviant sa famille à faire de même; il prend des recommandations d’amis de confiance; il cherche sur iTunes, appelle des disquaires dans tout le pays et passe des heures et des heures à surfer sur YouTube pour trouver la parfaite, la plus rare des chansons».

Mais au milieu des années 1980, parce qu’il «ne fait pas dans l’eau de rose», il manque une chose à ses compilations. Alors que des boombox font leur apparition dans les rues de New York, il manque encore à Adler une chanson de Noël hip-hop. Parce qu’il le pouvait, il a donc tout simplement demandé au plus important et célèbre groupe de rap de l’époque de l’enregistrer. «Christmas in Hollis» était sur le point de naître.

Journaliste freelance à New York, Bill Adler rencontre Russell Simmons en 1984. Quelques mois plus tôt, Simmons avait co-créé Def Jam Recordings avec Rick Rubin dans un dortoir de l’Université de New York. Adler se propose d’y travailler comme attaché de presse. Il y restera six ans, développant la carrière d’artistes comme LL Cool J, les Beastie Boys, EPMD ou Public Enemy.

Mais c’est Run DMC qu’il imagine parfaitement livrer la chanson de Noël hip-hop parfaite. Le groupe est en effet le premier du genre à avoir fait sortir le rap de son ghetto, le premier à avoir été nommé aux Grammy, à avoir décroché un album platine (King of Rock en 1984) puis multi-platine (Raising Hell en 1986), le premier à avoir été diffusé sur MTV et à faire la couverture de Rolling Stone. Aux côtés de superstars comme Madonna, Bon Jovi, Whitney Houston ou Sting, le groupe est donc tout indiqué pour participer à la compilation caritative A Very Special Christmas destiné à récolter des fonds pour les Special Olympics.

Bill Adler, avec l’accord de Simmons, se charge du projet. «J’étais fait pour le job car j’étais déjà bien accro à la musique de Noël et j’avais un titre et un concept parfait pour l’occasion, en l’occurrence “Christmas in Hollis”. Je me disais que ce serait bien que les gars écrivent une nouvelle chanson, quelque chose qui parle de leur vie, de leur quartier, de la façon dont ils célèbrent Noël. J’ai donc appelé Run puis D et je leur ai parlé de l’opportunité et de mon petit concept», racontait-il à Genius.

Un sample de «Backdoor Santa»

Un enthousiasme largement tempéré par le groupe qui sait que le hip-hop, pour durer, ne doit pas se compromettre avec des bouffonneries. «Bill Adler nous appelle et on dit non, qu’on ne le ferait pas, que c’est exactement le genre de choses qu’ils essayent de faire au hip-hop. Ils vous commercialisent et essayent de vous rendre sirupeux. On est totalement contre ce qui peut nous rendre faux. Donc, on lui a dit que si ce n’était pas juste un beat et des rimes, un DJ et du graffiti, on ne le ferait pas. On se retrouvait encore dans cette rengaine de l’Amérique capitaliste et d’Hollywood essayant de ruiner le hip-hop!», disait le groupe à A.V Club.

Mais Adler a les arguments pour convaincre. Il leur permet de piocher dans son immense collection de vinyles. «Ma mission était d’aider le groupe à trouver de la musique à sampler», expliquait Adler à Genius. «Alors Run et D sont sortis fumer un joint dans l’autre pièce et Jay et moi avons commencé à fouiller dans les albums que j’avais amenés au studio. Jay les passait les uns après les autres très rapidement. Il n’avait habituellement pas besoin de plus de dix secondes pour décider si une piste était valable ou non. Il posait juste la pointe de lecture et passait au suivant. On est finalement tombés sur une anthologie de chansons de Noël du label Atlantic qui avait une veine un peu soul. Jay pose la pointe sur une chanson appelée “Backdoor Santa” d’un artiste nommé Clarence Carter et il n’a pas eu besoin d’aller très loin dans le morceau pour savoir qu’il avait quelque chose.»

Run DMC avait trouvé le sample parfait, la chanson de Carter n’ayant rien de très «chrétien». Bien au contraire. Avec des paroles salaces comme «I make all the little girls happy / While the boys are out to play / I ain't like old Saint Nick / He don't come but once a year / (But lookie here) I come running with my presents / Every time you call me dear» [«Je rends heureuses toutes les petites filles / Quand les garçons sont dehors à jouer / Je ne suis pas comme le bon vieux Saint Nick / Il ne vient qu’une fois dans l’année / (Mais regardez bien) J’arrive avec mes cadeaux / À chaque fois que tu m’appelles, chérie», ndlr], la chanson est un hymne à la débauche et à l’adultère. La peur de se compromettre était envolée.

Une œuvre originale inspirée par le quotidien

Ne restait plus qu’à écrire des paroles. «Quand il a fallu faire mes paroles de Noël, je me suis dit qu’il fallait juste que je raconte ce qu’était Noël quand j’étais petit», racontait DMC à All Hip Hop. «Ma mère, elle cuisinait du chou vert, du poulet, de la farce, des macaroni au fromage, des biscuits, du jambon, des patates douces. Alors quand je me suis posé pour écrire mes rimes, je n’avais pas à inventer une histoire ou un rêve. C’est exactement ce qui se passait chez moi à Hollis.»

Avec des paroles ancrées dans la réalité, loin des fantasmes d’un Noël merveilleux et joyeux racontés à longueur de couplets dans les chansons de Noël «traditionnelles et usées», «Christmas in Hollis» tranche, impose sa radicalité. «Toutes les autres chansons de Noël sont comme des fantasmes», ajoutait-il à A.V. Club. «Mais mon histoire est vraiment ce qui se passait dans la vraie vie, avec des vrais gens.»

Au-delà de son utilisation au cinéma, à la télé ou dans des publicités, c’est cet ancrage dans la réalité qui fait aujourd’hui de «Christmas in Hollis» un classique comme «ceux de Nat King Cole, Bing Crosby ou Perry Cuomo».

Au milieu de reprises fainéantes de «Silent Night», «Santa Claus Is Coming to Town» ou «Have Yourself a Merry Little Christmas» par les autres stars présentes sur A Very Special Christmas, la chanson de Run DMC est en effet la seule qui ne ressemble pas à de l’opportunisme, la seule qui, finalement, est à l’image de Noël, de son esprit de partage, de communion et de charité. C’est pourquoi «les gens s’identifient tellement au clip de cette chanson, parce que c’est ce qu’on fait tous pendant les fêtes. On s’assoit avec sa famille et on partage un repas spécial. Ça touche donc pas seulement les noirs dans la zone. Ca touche les Juifs. Ca touche les Allemands. Ca touche les gens partout dans le monde».

Alors, oui, John McClane, malgré les scratchs de Jam Master Jay, le beat lourd et le sample funky d’une chanson salace, il y a rien qui fasse plus Noël que «Christmas in Hollis». Comme disait ton chauffeur en route vers le Nakatomi Plaza, «this IS Christmas music!»

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