Avis aux fans de fantasy (et aux non-initié·es): l'adaptation du roman À la croisée des mondes a démarré le 5 novembre. Chaque semaine durant la diffusion de cette première saison, on analyse les épisodes et on vous aide à y voir plus clair. Si vous avez des questions, vous pouvez nous écrire sur Twitter. On y répondra peut-être la semaine suivante!
Cet épisode était extrêmement flippant, non?
Le passage de Lyra à Bolvangar est l'un des plus traumatisants de la trilogie, et la série a bien réussi à le retranscrire. Des décors froids et métalliques à l'immense guillotine censée mutiler les enfants, chaque petit détail contribue à rendre cet épisode glaçant. La série trace aussi des parallèles avec les expérimentations médicales nazies, sans en faire trop ni virer à l'indécence.
La scène où Lyra et Pantalaimon manquent d'être séparés par la guillotine était particulièrement efficace et l'intensité démesurée de Dafne Keen, qui peut parfois être agaçante, fonctionnait parfaitement dans cette situation.
Bon, c'est quoi le deal avec le découpage de dæmons, là? Pourquoi ils font ça?
Capture d'écran.
C'est l'heure d'approfondir un peu plus ce que représentent les dæmons dans l'univers de Lyra. On l'a déjà dit, les dæmons sont la transposition physique de l'âme des personnages, ainsi que leur conscience. Ils font partie intégrante et ne peuvent (théoriquement) pas être séparés de leur être humain; d'une certaine manière, les dæmons en sont la partie la plus intime. Par ailleurs, ceux des enfants changent régulièrement et ne prennent une forme définitive qu'à la puberté. Vous voyez où on veut en venir?
Dans cet épisode, on découvre que le Conseil général d'Oblation coupe le lien entre les dæmons et leurs êtres humains à l'aide d'une immense guillotine. C'est la fameuse «intercision», et si ça sonne un peu comme «excision», ce n'est pas un hasard: ce procédé cruel peut être comparé à un acte de mutilation génitale.
Mais l'horreur de l'intercision va encore plus loin. Si un être humain est arraché à son dæmon, c'est comme s'il perdait son âme. On l'a vu avec le petit Billy Costa dans l'épisode précédent, qui arrivait à peine à se déplacer ou à formuler des propos cohérents. On le voit encore une fois dans cet épisode avec la vision terrifiante des enfants mutilés, qui comptent machinalement dans leur dortoir et semblent morts psychiquement. Et encore, il s'agit des survivants, puisqu'on apprend que le choc de l'intercision est tellement violent que beaucoup d'enfants meurent instantanément.
Lorsqu'un être humain perd son dæmon, il perd aussi toute créativité, toute imagination, toute ambition –bref, tout ce qui nous rend humain·e. Avec cette procédure castratrice, le Magisterium prive les enfants de leur libre arbitre et de leur pensée: le rêve de tout régime totalitaire.
Quel est le rapport entre les dæmons, la Poussière et le péché?
Après avoir sauvé Lyra de l'intercision, Mrs. Coulter lui explique que cette procédure a pour objectif de libérer les futures générations du péché. Selon elle, les dæmons créent des «pensées et sentiments importuns» lorsqu'arrive la puberté, et c'est pour cette raison qu'il faudrait les séparer de leurs êtres humains. Évidemment, tout cela fait partie de l'obscurantisme religieux au cœur de la trilogie de Philip Pullman.
En séparant les dæmons des enfants, ces scientifiques cherchent en fait un moyen d'éliminer la Poussière. On sait grâce aux recherches de Lord Asriel que cette particule mystérieuse se fixe sur les adultes mais pas sur les plus jeunes; elle permet également de faire fonctionner l'aléthiomètre.
Mrs. Coulter affirme que «la Poussière n'est pas une bonne chose», car elle condamne les adultes à «une vie de péché, de culpabilité et de regrets» (dans son cas précis, elle semble culpabiliser de sa relation avec Lyra, qui est le résultat d'une passion sexuelle). Mais en fait, la Poussière représente le savoir, que l'on acquiert à l'âge adulte et que le Magisterium considère comme hérétique.
Oh la la, c'est compliqué tout ça. C'est quoi, cette histoire d'hérésie?
Beaucoup de choses ont été qualifiées d'«hérétiques» depuis le début de la série: les recherches de Lord Asriel sur la Poussière, l'idée qu'il existe plusieurs mondes mais aussi le fait de voyager d'un monde à l'autre, comme le fait Lord Boréal. Toutes ces choses symbolisent en réalité une forme de savoir et d'exploration, ce que le Magisterium condamne.
C'est aussi pour cette raison que le Magisterium a confisqué tous les aléthiomètres. Son objectif n'est pas tant de sauver les générations futures que d'éliminer toute pensée autonome et connaissance. Il n'y a en effet pas que les pensées sexuelles «importunes» de la puberté qui représentent un danger pour le Magisterium. Le péché originel, c'est la connaissance.
Pourquoi Lyra s'évanouit-elle quand le médecin attrape Pantalaimon?
Comme dans la scène où Lord Boréal choque la journaliste en attrapant son dæmon, le simple fait que le médecin se saisisse de Pantalaimon assomme complètement Lyra. La raison est toujours la même: toucher le dæmon de quelqu'un d'autre est tellement ignoble que cela provoque un effet de sidération et de dissociation chez la victime.
Dans le livre, la scène avec Lyra est encore plus terrifiante et s'apparente clairement à un viol: «Elle fut soudainement drainée de toute sa force. C'était comme si une main inconnue avait pénétré directement là où aucune main ne devrait être, et arraché quelque chose de profond et précieux. Elle voyait flou, avait le tournis et se sentait nauséeuse, dégoûtée, ramollie par le choc. L'un des hommes était en train de tenir Pantalaimon.»
Franchement, ça les tuerait d'inclure plus de dæmons dans leurs plans?
Je sais que je me répète, mais plus les épisodes passent, plus l'absence des dæmons dans la série devient gênante. On sent l'embarras de la production, qui cadre systématiquement les personnages juste au-dessus des pieds pour éviter de montrer les dæmons (pratique). Ce choix est non seulement frustrant et distrayant, il limite en plus énormément les possibilités en matière de réalisation.
Surtout, dans un épisode exclusivement centré sur la valeur sacrée du lien entre être humain et dæmon, le fait d'en voir aussi peu est impardonnable. C'est dommage, parce que la série est dans son ensemble très bonne.
Les dæmons ont une telle importance dans l'histoire qu'il devient vraiment difficile de ne pas remarquer leur absence. Si la série n'avait pas les moyens financiers de représenter correctement ce qui est sans doute l'élément le plus crucial de cette trilogie, peut-être qu'elle n'aurait pas dû être créée.
Et puis, c'était si compliqué que ça de montrer Lyra et Pantalaimon se faire un câlin après le moment le plus traumatisant de toute leur existence?
Dans les livres, le lien physique entre Lyra et Pantalaimon est constant, notamment lors de cette scène: avant d'être placés dans les cages, Pantalaimon s'aggripe à Lyra alors qu'il est un chat sauvage et plante ses griffes dans sa peau, tandis que Lyra «chérit chaque griffure douloureuse» tellement ils ont peur d'être séparés (oui, c'est un peu kinky).
Lorsqu'ils sont libérés, Lyra enfouit sa tête dans la fourrure de Pantalaimon en murmurant «jamais, jamais, jamais», et ils «s'accrochent l'un à l'autre comme les survivants d'un naufrage».
À la place, dans la série, on a juste droit à un long moment où Lyra fixe Mrs. Coulter.
Ah et pour info, quand Lyra et Pantalaimon sont sur le point de passer sous la guillotine dans l'œuvre originale, Pantalaimon se change en lion, en aigle, en loup, en putois et en ours pour se battre par tous les moyens, mais ne parvient pas à affronter tous les dæmons des scientifiques présents dans la salle. Évidemment, dans la version télévisée, on ne voit rien de tout ça. Grrr.
Pourquoi les infirmières n'ont-elles pas de dæmon?
Pas évident de le remarquer puisqu'on ne voit jamais les dæmons des gens (comment ça, je suis vénère?), mais dans la série, aucune des infirmières de Bolvangar n'a de dæmon.
On avait senti dès le début, lorsque Nurse Clara vient chercher les enfants à Londres pour les emmener dans le Nord, qu'elle était particulièrement chelou –comme absente, sans émotions ni volonté. C'est en fait parce qu'on lui a coupé son dæmon.
Capture d'écran.
Dans le livre, l'infirmière a un chien pour dæmon, qui la suit de manière docile et machinale, ce qui met Lyra très mal à l'aise (apparemment, Philip Pullman est team chats). La série a pris la bonne décision en lui conférant un peu plus de profondeur. Malgré son air sinistre, on réalise progressivement qu'elle supprime une immense douleur liée à la perte de son dæmon, Nicolas –une jolie touche d'empathie.
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Sinon, Lyra, elle est partie comme ça avec Lee sans faire un câlin à Farder Coram?
Quelle ingrate.
C'est quoi, les trucs qui attaquent le ballon de Lee à la fin de l'épisode?
Ce sont des monstres des falaises, ou «cliff ghasts» en anglais. Et ils sont aussi répugnants que dans les livres. Toute la séquence est d'ailleurs très bien exécutée, avec un suspense terrifiant qui ne cesse de s'accroître. Un des meilleurs moments de la série pour l'instant.
C'est moi ou Lee a l'air de ne pas savoir du tout se servir d'un pistolet?
Gênant.
Capture d'écran.
Et au fait, «His Dark Materials», ça vient d'où?
Alors, les enfants, soyez attentifs. His Dark Materials, c'est le titre de la trilogie en anglais. Mais le nom vient en fait d'une citation du Paradis perdu de John Milton, qui ouvre le premier volet et qui parle de mondes parallèles (TAMTAMTAM):
«Dans ce sauvage abîme, berceau de la nature, et peut-être son tombeau; dans cet abîme qui n'est ni mer, ni terre, ni air, ni feu, mais tous ces éléments qui, confusément mêlés dans leurs causes fécondes, doivent ainsi se combattre toujours, à moins que le tout-puissant Créateur n'arrange ses noirs matériaux pour former de nouveaux mondes; dans ce sauvage abîme, Satan, le prudent ennemi, arrêté sur le bord de l'Enfer, regarde quelque temps: il réfléchit sur son voyage, car ce n'est pas un petit détroit qu'il lui faudra traverser.»
Dès la conception de sa trilogie, Philip Pullman avait en tête de s'inspirer du Paradis Perdu de John Milton. Ce long poème écrit au XVIIe siècle retrace l'histoire de la Genèse, en se focalisant sur les anges déchus et la chute d'Adam et Ève.
La trilogie de Philip Pullman contient de très forts thèmes religieux, et pas seulement à travers sa critique de la religion organisée (sous la forme du Magisterium). L'écrivain a en fait créé une sorte d'inversion de la Genèse. On en revient à l'idée de la Poussière et de la connaissance comme péché originel: l'idée principale de l'œuvre de Philip Pullman, c'est que ce qui est considéré comme un péché par certaines branches de l'Église «est en fait une étape très importante du développement humain». Dans la trilogie, le péché originel est quelque chose de positif, qui libère les êtres humains.
Pour Pullman, la maturité est ainsi la forme ultime de liberté. Mais la série y reviendra de plus en plus dans les prochaines saisons, alors on va arrêter de trop vous embrouiller.
Est-ce que Iorek est toujours le meilleur?
Oui.
Capture d'écran.
En vrac
– Lyra doit avoir des abdos en acier. Si c'était moi sous le lit, j'aurais été repérée au bout de 4 secondes.
Capture d'écran.
– Pour le prix de la phrase la plus flippante de la semaine, nous avons le choix entre:
- le médecin qui dit à Lyra «Ce n'est rien, tu ressentiras seulement une perte» juste avant l'intercision,
- la scientifique diabolique qui se félicite que «cinq enfants ont survécu, c'est assez remarquable»,
- la scène où Mrs. Coulter dit à sa fille «Si je voulais te droguer, il y a d'autres moyens».
– Andrew Scott alert!
Capture d'écran.
– Le fait de caser cette petite scène avec Will n'apporte absolument rien à l'épisode, si ce n'est de rappeler l'existence de ce nouveau personnage, introduit la semaine dernière. Une preuve de plus que l'arrivée de Will à ce stade de la série n'a aucun sens et que les scénaristes auraient mieux fait d'attendre.
– Moi face à l'absence de dæmons dans cet épisode:
Capture d'écran.
– Serafina est officiellement la meuf la plus cool de cette série.
– Le moment où Lyra et les Gitans font un câlin aux enfants mutilés m'a achevée.
– Oh shit, Lyra elle a parti.
Capture d'écran.