Pendant plus de deux ans, pour Slate.fr, Boris Bastide a regardé patiemment tous les films estampillés «Original Netflix». Le compteur s'est arrêté en août 2019, après 370 visionnages. Qui possède un abonnement Netflix devrait d'abord consulter l'article-somme rédigé par ce saint homme.
Depuis, de nombreux films ont été ajoutés au répertoire du service au «tou-doum». Des œuvres originales, certaines émanant de cinéastes de renom, mais aussi quelques films plus anciens, même si ce catalogue-là n'est clairement pas le plus passionnant chez Netflix.
Sans marcher sur les plates-bandes de l'article cité plus haut, voici une petite sélection de films plus ou moins réputés, mais qui valent clairement le coup d'œil –surtout lorsqu'on se prépare à passer des semaines et des semaines comme des ermites.
Occuper les enfants (et les adultes aussi)
Le catalogue jeunesse proposé par Netflix est assez intéressant: il mêle animation japonaise et américaineries avec pas mal de pertinence. Le répertoire Ghibli, qui arrive progressivement, est bien évidemment une mine d'or (même si tout n'est clairement pas destiné au jeune public, comme Princesse Mononoké). Le classement qualitatif élaboré par Slate.fr devrait vous aider à y voir plus clair, mais globalement, il n'y a rien à jeter parmi les films du studio créé par Miyazaki et Takahata.
Du côté de l'animation américaine, il est parfois difficile de distinguer au premier abord les grosses machines impersonnelles des vrais divertissements de qualité. Par exemple, Cigognes et compagnie n'a l'air de rien, mais c'est un régal. Il faut dire qu'il est coréalisé par Nicholas Stoller, prince de la comédie américaine, qui a notamment signé Sans Sarah rien ne va! ou Nos pires voisins (ainsi que le spin-off de l'un et la suite de l'autre). On a l'impression d'avoir vu mille fois le résumé du film, à base de cigognes et de livraison de bébés, mais le résultat est d'une inventivité folle et d'une drôlerie sans cesse renouvelée. On n'est pas loin des meilleurs Pixar.
Si ce n'est pas déjà fait, cette période constitue également le moment idéal pour faire découvrir à ses enfants le monde franchement cool des Looney Tunes. Commencer par Les Looney Tunes passent à l'action, qui date de 2002 et permet de se remémorer l'existence de Brendan Fraser, puis enchaîner avec le légendaire Space Jam, plus ancien mais tellement indépassable qu'il risque de rendre le reste bien fade s'il est regardé en premier. Pour prolonger l'expérience, on peut ensuite se rendre sur le site officiel du film, toujours en ligne, ce qui offre un frisson vintage assez sensationnel.
La page d'accueil du site spacejam.com. | Capture d'écran
Parmi les films que l'on peut voir ou revoir à l'infini avec ses enfants, on citera également les deux Tempête de boulettes géantes, Matilda (qui file un peu le cafard avant de créer la jubilation) ou encore La Grande Aventure Lego et Lego Batman, le film, vraiment super géniaux.
Une fois n'est pas coutume, voilà également une liste de films que vous pouvez fuir, parce qu'ils sont moches, bêtes et pas drôles. Si vos enfants vous les réclament, prétextez une panne de téléviseur. Leur cerveau vous le rendra. Cette liste noire comprend Hôtel Transylvanie et ses suites, Planète 51 ainsi que Comme chiens et chats –foi de parent qui s'est déjà coltiné tout ça.
Gros morceaux et diamant brut
Maintes fois nommés aux Oscars, Marriage Story de Noah Baumbach et The Irishman de Martin Scorsese sont bien sûr toujours disponibles, ce dernier pouvant vous occuper pendant toute une après-midi, dans le cas où vous n'avez ni enfants à occuper, ni travail à effectuer (l'occasion de saluer une nouvelle fois, parce qu'on ne le fera jamais assez, les héros et héroïnes du secteur médical et toutes les personnes en première ligne, comme les employé·es des supermarchés). Si se trouver trois heures et vingt-neuf minutes de liberté dans une semaine ordinaire n'est pas forcément chose facile, cela pourra éventuellement être plus simple pour une partie de la population actuellement confinée.
Mais le véritable monument de ces derniers mois, c'est Uncut Gems, le nouveau film des frères Safdie. Après avoir commencé leur carrière par des films indépendants un peu charmants et faussement légers, les frangins se sont mus il y a peu en véritables machines de guerre, capables de livrer des films haletants, cradingues, truffés d'idées gonflées et de prestations grandioses. C'est bien simple: si Good Time, avec Robert Pattinson en cavale, était extrêmement prometteur, Uncut Gems est une confirmation absolue, qui parvient à faire mille fois mieux.
Adam Sandler aurait au moins dû être nommé à l'Oscar du meilleur acteur, voire gagner la statuette, tant il excelle dans le rôle de ce bijoutier new-yorkais ingérable, qui multiplie les magouilles, s'endette sans avoir l'air de trouver ça grave, mais semble toujours capable de rebondir, y compris lorsqu'il rencontre les pires embarras. Il y a trente ans, ce rôle serait allé comme un gant à Al Pacino. Sandler se montre parfaitement à la hauteur, tout comme Josh et Benny Safdie, dignes héritiers de Scorsese, Schatzberg et Cassavetes. Tout ça en un seul film.
Trois Paulo pour le prix d'un
En France, on a assez peu entendu parler de l'Espagnol Oriol Paulo, qui enchaîne pourtant les polars et les films fantastiques avec une remarquable régularité.
Si vous aimez les intrigues à tiroirs, les machinations et les alignements de planètes, vous pouvez profiter de Netflix pour voir The Invisible Guest, également connu sous les titres Contratiempo et L'Accusé. Un Mystère de la chambre jaune modernisé, dans lequel un homme se réveille aux côtés du cadavre de sa petite amie dans une chambre d'hôtel fermée de l'intérieur. Millimétré mais pas dépourvu de Grand-Guignol, le film vaut son pesant de cacahuètes –à tel point qu'il a déjà été adapté dans plusieurs pays étrangers: en Italie (Le Témoin invisible, avec Riccardo Scamarcio) et en Inde (The Body, également dispo sur Netflix).
Un autre film d'Oriol Paulo est disponible sur Netflix: il s'agit de Mirage, un thriller fantastique se déroulant à la fois en 1989 et 2019, une faille spatio-temporelle pouvant permettre à l'héroïne de sauver la vie d'un petit garçon... ce qui risque hélas de provoquer la mort de sa propre fille. Mirage aurait sans doute gagné à être un brin plus court (il dure 2h08), mais l'écriture implacable du réalisateur espagnol rend l'ensemble absolument addictif.
Quitte à verser dans le hors-sujet, on peut aussi signaler l'existence d'un troisième film signé Oriol Paulo, sans doute meilleur que Mirage: il s'agit d'El Cuerpo, autre thriller à tiroirs dans lequel le cadavre d'une femme richissime disparaît subitement du tiroir de la morgue. Disponible sur le service Canal VOD, le film vaut réellement le coup, parce que son sens très nineties du rebondissement de dernière minute en fait un excellent film du samedi soir –ou de n'importe quel soir, puisqu'actuellement, ça ne fait guère de différence pour beaucoup d'entre nous.
Et pourquoi pas un cycle Brad Pitt?
Le catalogue Netflix n'est pas le plus agréable à parcourir: on a toujours l'impression de passer à côté de quelque chose, de dépendre totalement d'un algorithme qui nous dit ce que nous devrions regarder mais ne nous laisse jamais vraiment plonger dans l'intégralité de son corpus. Conseil d'ami: à moins d'avoir vraiment bonne mémoire, ne jamais hésiter à utiliser la fonction «Ma liste» pour apposer un signet sur les films que vous croiseriez par hasard et qui vous feraient de l'œil, sans quoi vous risqueriez de ne jamais retomber dessus et d'oublier leur existence.
Au sein de ce catalogue, peu de films anciens donc, mais quelques classiques instantanés qu'il faut absolument (re)découvrir entre deux phases de binge-watching de séries. On peut par exemple se faire un double programme Brad Pitt, en commençant par Le Stratège, brillantissime film de sport écrit par Aaron Sorkin, qui arrive à rendre passionnantes les tactiques du baseball, et en poursuivant par The Big Short, qui parle également de stratégies: celles déployées par un groupe de personnages pour braquer Wall Street (au sens figuré).
D'ailleurs, pourquoi pas se faire un cycle Pitt, puisque pas moins de neuf films avec l'acteur sont disponibles, dont Sept ans au Tibet, War Machine ou encore Fury. Évitez peut-être World War Z en ce moment, mais c'est vous qui voyez.
La classe à la française
Le cinéma français n'est pas particulièrement à l'honneur sur Netflix, d'autant que certains «Originals» se sont franchement plantés (Girls With Balls, sur une équipe de volleyeuses aux prises avec des zombies, est une catastrophe).
On peut néanmoins sauver Je ne suis pas un homme facile, qui plonge Vincent Elbaz au cœur d'un univers matriarcal, mais également La Grande Classe, digne héritier des comédies américaines à base de retrouvailles entre ancien·nes élèves d'une même promotion. Si vous avez encore des préjugés sur les YouTubeurs et YouTubeuses (appellation si générale qu'elle n'a en fait aucun sens), on vous conseille de vous pencher sur ce film, dans lequel des mecs nommés Ludovik ou Jérôme Niel font le show avec un vrai talent.
Banlieusards, le film de Kery James et Leïla Sy, ou encore Divines, incroyable Caméra d'Or signée Houda Benyamina, font partie des rares autres films français à sauver.
Le reste n'est quasiment que comédies un peu (voire très) nazes et condensés de platitude donnant une image bien terne du cinéma hexagonal (le dernier Rappeneau est un exemple parmi tant d'autres). Ce n'est clairement pas avec Netflix que l'on va convertir qui que ce soit aux charmes du cinéma made in France.
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Une nouveauté fort à propos
Si Netflix avait voulu le faire exprès, ça n'aurait pas pu mieux tomber: le service propose depuis quelques jours le film espagnol La Plateforme, thriller survivaliste à huis clos.
Absolument unique, l'œuvre de Galder Gaztelu-Urrutia imagine une prison conçue comme un gigantesque immeuble de plusieurs centaines d'étages (on ne vous dira pas combien pour ne pas gâcher le suspense). À chaque étage, deux prisonniers ou prisonnières (même si l'environnement est très majoritairement masculin). Chaque jour, une gigantesque table –la fameuse plateforme– part de l'étage numéro 1 (le plus haut) avec de nombreuses et appétissantes victuailles, s'arrête quelques minutes au centre de la cellule pour laisser à chacun·e le temps de se sustenter, puis descend à l'étage inférieur. Imaginez un ascenseur intérieur, sans câble ni bouton à presser.
La Plateforme est une belle métaphore du monde et des rapports dominant·es/dominé·es: si à l'étage 1, on se gave plus que de raison, dès l'étage 50, il commence à devenir compliqué de trouver des victuailles qui n'aient pas été souillées par les locataires des étages supérieurs. Et comme la répartition des étages change chaque mois de façon aléatoire, les rapports entre les un·es et les autres sont constamment modifiés.
Le concept rappelle vaguement le Cube de Vincenzo Natali, sauf que l'objectif principal du héros n'est pas de s'évader mais d'essayer de faire de cette prison un univers égalitaire, dans lequel tout le monde mange à sa faim, sans excès ni gaspillage.
Même si sa conclusion est un rien frustrante, La Plateforme résonne comme une solide métaphore de notre société de consommation, et plus encore de la situation actuelle. En haut, les égoïstes qui n'en font qu'à leur tête et refusent de se soucier des autres; en bas, les désespéré·es qui se partagent les miettes, se meurent à petit feu et nourrissent des envies de révolution. Attention, le film est réservé aux plus de 18 ans, car le sang ne tarde pas à couler de façon aussi explicite qu'impressionnante.