Ils sont compliqués. Ils sont meurtris. Ils sont sexy. Du paternel fragile d'Aftersun au papa endeuillé et bouillonnant de violence de The Last of Us, les pères beaux (à ne pas confondre avec les beaux-pères) s'invitent sur nos écrans en ce début d'année 2023. Incarnés par des usines à fantasmes humaines (Paul Mescal et Pedro Pascal), ces pères de fiction allient instinct protecteur et immense vulnérabilité, pour notre plus grand bonheur.
«Yep, I am your cool slutty daddy»
Quand ces dads taiseux ne marmonnent pas leur douleur, ils méditent ou font du tai-chi pour canaliser leurs émotions débordantes. Ils tournent leur regard embué et leur superbe mâchoire serrée vers leur progéniture et soudain, on doit réprimer l'envie de faire un câlin à notre écran. Leur vision provoque la même réaction qu'une vidéo de chaton, un enfant qui pleure dans le métro ou une tortue qui fait un câlin à un singe: le sentiment irrépressible que quelqu'un est en train de nous arracher le cœur –avec, en bonus, l'impression qu'on vient directement chatouiller nos organes reproductifs.
Pedro Pascal, qui a émoustillé le monde entier grâce au rôle d'Oberyn Martell dans Game of Thrones et ému les téléspectateurs en protégeant Grogu (le nom de scène de bébé Yoda) dans The Mandalorian, est devenu en quelques années l'emblème du sex-symbol rassurant. Et dans The Last of Us, où il incarne Joel Miller, l'acteur chilo-américain est indéniablement le daddy ultime. Cette série post-apocalyptique, adaptée du célèbre jeu vidéo, met en scène un quinquagénaire qui a perdu sa fille vingt ans plus tôt, mais reste entièrement défini par sa paternité.
Lorsque son personnage rencontre Ellie, une adolescente attachante, il ne peut s'empêcher de développer un instinct protecteur à son égard. Un instant, il joue à Boggle avec sa fille de substitution; celui d'après, il exécute tous les hommes qui pourraient représenter une menace pour elle. Le rêve, n'est-ce pas? Son statut de daron canon est d'ailleurs tellement indéniable que l'acteur lui-même le reconnaît sur le tapis rouge: «Yep, I am your cool slutty daddy» («votre papa cool et cochon», en VF).
"I am your cool, slutty daddy." -Pedro Pascal #TheLastOfUs pic.twitter.com/yeQYkcHW1F
— Entertainment Tonight (@etnow) January 16, 2023
«Daddy issues»
La tendance «patriarcaliente» ne se limite pas à The Last of Us. Dans la course aux Oscars aussi, les daddy issues sont omniprésentes. Au-delà d'Aftersun, il y a The Fabelmans, où le jeune Sam (itération semi-autobiographique de Steven Spielberg) est tiraillé entre deux figures paternelles: son père, incarné par le toujours excellent Paul Dano, et le meilleur ami de ce dernier, le sémillant Seth Rogen.
Sans parler du père de l'humanité, Tom Cruise, qui se transforme en papa de substitution pour Miles «Rooster» Teller dans Top Gun Maverick. Techniquement, Lydia Tár, qui se définit dans TÁR comme «le père de Petra», peut également être comptabilisée dans cette catégorie. (Personnellement, je n'ai aucune objection à ce que Cate Blanchett devienne mon père.)
Petite précision lexicale. Pour celles et ceux qui n'auraient pas de daddy issues (félicitations!), ce phénomène consiste à vouloir inconsciemment réparer, le plus souvent à travers nos attirances sexuelles et romantiques, notre rapport avec notre père. Dans la chambre à coucher, cela se traduit par un attrait pour des hommes plus âgés, des tempéraments protecteurs ou autoritaires, qui font office de figure paternelle aussi rassurante qu'émoustillante.
La faute à Carl Jung, aux pères absents et à la culture patriarcale dans laquelle nous baignons. D'ailleurs, si on pouvait remplacer cette dernière par la daddy culture, ce serait sans doute bien plus fun. Car l'évocation des daddy issues n'est pas réservée qu'aux séances de psychanalyse et aux applis de rencontre. Elle imprègne également la pop culture et est souvent tournée en dérision par les internautes.
«Daddy» culture
De Mufasa dans Le Roi Lion (inutile de le nier) à coach Taylor dans Friday Night Lights en passant par Sandy Cohen dans Newport Beach, les sexy daddies ont toujours été un incontournable de la fiction. En tant que femmes, la société (et les films de Woody Allen) nous apprend très vite à désirer des hommes plus âgés, tout en éduquant ces derniers à fantasmer sur des femmes à peine pubères.
C'est bien connu: comme les plantes chroniquement déshydratées de mon appartement parisien, nous les femmes flétrissons chaque jour un peu plus; tandis que les hommes, eux, s'affinent comme du bon vin. Selon l'adage consacré par Matthew McConaughey dans Génération rebelle et pratiqué au quotidien par Leonardo DiCaprio: «Moi je vieillis, mais elles, elles ont toujours le même âge.»
Tout ça pour dire que si vous trouvez mon attirance pour des personnages de pères bizarre, relisez Freud. C'est pas moi, c'est mon surmoi.
Alors que la masculinité n'a jamais été aussi déconstruite dans la pop culture, comment expliquer un tel retour de la figure «patriarcoquine»? Dans un contexte mondial de plus en plus déprimant, se tourner vers une autorité paternelle aussi rassurante qu'agréable à l'œil semble pourtant évident. Les ovnis survolent le ciel américain, le prix des pâtes ne cesse de grimper et l'incertitude englobe désormais chaque dimension de notre existence.
Qui n'aurait pas envie d'un Joel pour nous protéger de l'ennemi et nous faire des jeux de mots pourris? Sans oublier que Joel, ou Calum dans Aftersun, sont des personnages vulnérables, sensibles et affectueux, beaucoup plus en phase avec notre époque que les figures paternelles d'antan. Contrairement aux Clint Eastwood ou autres Liam Neeson de ce monde, ils ont l'avantage de satisfaire nos daddy issues sans être problématiques.
D'ailleurs, précisons que le phénomène se produit aussi avec les femmes: souvenons-nous de la fois où Lorde a appelé Kim Kardashian «mom» en signe d'admiration, celle où Aubrey Plaza a demandé à Drew Barrymore d'être sa maman ou du nombre de femmes dominantes et inspirantes surnommées «mother» dans la culture LGBT+.
Ce qui nous émoustille, au final, dépasse le cadre du genre: ce qu'on trouve sexy, c'est avant tout l'autorité et la solidité face aux menaces de plus en plus présentes dans notre quotidien. Et si cette solidité a les yeux de Pedro Pascal, c'est encore mieux.