La réouverture de la piscine Molitor aurait pu être un événement heureux pour tous les Parisiens. Mais en réalité, seuls ceux qui auront 4.500 euros à dépenser pourront piquer une tête dans ce bassin refait à neuf, après avoir été presque entièrement détruit par les grues du groupement Bouygues, Colony et Accor. Au détriment du patrimoine architectural, bien évidemment.
Dans un article publié sur La tribune de l'art, Didier Rykner, historien d'art et fondateur de ce magazine en ligne, dénonce une «imposture patrimoniale». Pour lui, comme pour l'historien Jean-François Cabestan qui l'expliquait le 2 mai 2014 dans un article du Monde, la reconstruction de la piscine Molitor n'est en rien une restauration, mais «un faux» dans lequel «rien ou presque n'est authentique».
«Non, la piscine Molitor n’a pas été restaurée. Non, elle ne connaît pas une deuxième vie. La piscine Molitor, celle construite par Lucien Pollet, a été entièrement détruite.»
Pour appuyer son argument, Didier Rykner publie une série de photos et de cartes postales prises avant les travaux, et les compare au résultat, dévoilé lundi 19 mai aux journalistes.
Outre les différences qu'il relève entre la façade et la verrière d'origines et celles de l'hôtel de luxe, l'historien tient à montrer le recours à des subterfuges pour faire croire à une reproduction à l'identique, dans la plus belle imitation d'Art déco.
«Pour le bassin olympique, les cabines ne sont en réalité qu’un décor qui débouche sur un mur, quand elles n’ont pas laissé place à des fenêtres pour les chambres de l’hôtel.»
En 2012, La tribune de l'art avait déjà consacré un article à la destruction du bâtiment, photos à l'appui.
«On détruit tout (à l’exception de quelques pauvres morceaux de murs) et on reconstruit entièrement en rajoutant des mètres carrés afin d’en faire une opération hôtelière bien juteuse, expliquait alors Didier Rykner. On se contente, pour garder la fiction de la protection, de déposer quelques éléments d’origine que l’on insèrera dans ce bâtiment entièrement neuf.»
L'auteur des deux articles fustige la décision de l'ancienne équipe au pouvoir à la mairie de Paris, ainsi que celles de la Direction régionale des affaires culturelles (Drac), qui a autorisé la concession pour 54 ans d'un bâtiment inscrit au patrimoine des monuments historiques depuis 1990 (un an après sa fermeture au public). D'autant plus que d'après l'historien, avant même que l'appel d'offre ne soit lancé en 2007, Accor était déjà favori pour ce projet.
Dans un post du blog l'Abeille et l'architecte publié le 20 mai, l'auteur publie une image prise sur Google Map, sur laquelle on peut apercevoir les ruines de la piscine.
L'auteur pointe du doigt l'incapacité de la ville à «supporter de tels investissements», ce qui explique le choix d'un bail emphytéotique administratif d'une durée de 54 ans.
«Ne jetons pas la pierre à la seule équipe Delanoë, écrit l'auteur. Pendant 25 ans, les différents édiles parisiens (Chirac et Tiberi) n’ont rien fait, laissant à l’abandon la piscine, puis aux graffeurs le soin de détériorer définitivement le bâtiment.»
Une piscine réservée aux plus aisés
Mais la destruction d'un monument historique ne suffisait pas. Il fallait, en plus, empêcher l'accès aux bassins à la majorité des Parisiens. Car seuls les clients de l'hôtel et les mille membres d'un club de luxe ont accès à la piscine, pour la modique somme de 3.300 euros par an, en plus des droits d'adhésion de 1.200 euros. Seuls certains établissements scolaires privés pourraient y bénéficier à moindres frais.
Jack Lang, qui avait demandé l'inscription de la piscine au patrimoine des monuments historiques lorsqu'il était ministre de la Culture, a déclaré au Monde qu'il était «choqué» de ces tarifs et qu'il «regrett[ait] la destruction de l'esprit de Molitor».