Welcome to New York, d'Abel Ferrara, s'ouvre sur une séquence où l'on voit Depardieu en Depardieu. Assis dans ce qui semble être une chambre d'hôtel, il répond à des journalistes: il dit le plaisir qu'il a eu à jouer le personnage de Devereaux, avatar de Dominique Strauss-Kahn. Il dit «Je déteste les hommes politiques», dans un anglais à l'accent excécrable. Et jouer un personnage qu'il hait, c'est ce que Depardieu fait sans cesse, dans la vie, puisqu'il le redisait à Télérama récemment: il se «déteste».
Cette séquence d'ouverture, qui n'est pas encore dans l'histoire mais déjà dans le film, donne la tonalité, qui n'est pas du tout ce à quoi l'on pouvait s'attendre en regardant la bande-annonce, ou en connaissant le résumé du film: le récit de la chute de DSK. C'est bien plus une métaphore intimiste de la monstruosité, de la dépendance au corps, de la déchéance.
Très vite, on oublie l'histoire de l'homme politique, que l'on a suivi en continu, sur toutes les chaînes de télé, de radio, dans la presse. Très vite, Depardieu devient le personnage principal. Son corps devient le personnage principal. Immense, démesuré. Déformé même, par rapport à ce que l'on a pu voir de lui au fil des années.
Quand Devereaux est arrêté à New York, accusé de viol, il est incarcéré temporairement. Les policiers le font se déshabiller. Il enlève petit à petit chaussures, chaussettes, chemise, pantalon, caleçon. Il ne reste rien. Que son énorme ventre. Il est une sorte d'ogre. Ressemble à l'albatros de Baudelaire, déplacé: «lui, naguère si beau, qu'il est comique et laid!»
En se rhabillant il souffle, sue: enfiler ses chaussettes, passer par dessus sa bedaine, est un effort important. Les policiers se moquent mais interloqués: «vous habiller c'est votre séance d'exercice».
Ce que filme Ferrara, c'est un homme prisonnier de son corps, au figuré (ses désirs, ses pulsions), comme au propre. A sa femme Simone, avatar d'Anne Sinclaire joué par Jacqueline Bisset, Devereaux dit: «tu as toujours su que j'étais comme ça et tu as toujours voulu me changer». Plus tard il lui dit: «tout ce que tu as réussi à faire, petit bout par petit bout, c'est que je me haïsse moi-même».
Cette très grande faute des autres dans l'impossibilité à s'aimer soi-même, c'est exactement ce que décrivait l'acteur Depardieu, dans l'entretien accordé à Télérama début mai: «je ne me supporte pas physiquement, je déteste me regarder. Mais ce sont les autres surtout qui vous donnent des complexes».
Apocalypses
Les premières scènes du film montrent Devereaux dans une chambre d'hôtel - ce n'est plus la chambre de l'interview de Depardieu, c'est la chambre d'hôtel des frasques strauss-khaniennes, mais on voit bien la continuité. Dans cette deuxième chambre, il y a des putes, il les arrose de champagne, de chantilly, les lèche. Dans une scène de fellation répugnante, il pousse des grognements de cochon. Qui rappellent le porc décrit par Marcel Iacub dans son mauvais livre Belle et Bête. Mais qui rappelle aussi l'acteur honni de ces derniers mois, celui qui cédait à l'exil fiscal, rendait son passeport, s'acoquinait avec Poutine. Celui que la France semblait trouver soudain dégoûtant.
Evidemment les faits de viol dont DSK a été accusés n'ont rien à voir avec ceux que l'on a reprochés à Gérard Depardieu. Mais Abel Ferrara ne filme pas l'histoire d'un homme qui viole une femme, il filme l'histoire d'un homme chez qui le monstre ressort. Il filme l'histoire d'un homme qui a toujours eu en lui cette monstruosité, que les autres ne voyaient pas, et il filme la déchéance. Ce même mot qu'employait le ministre du travail Michel Sapin il y a quelques mois à propos du comédien: «une sorte de déchéance personnelle».
Il n'y a dans les faits, sans doute pas grand chose de commun entre l'ancien directeur du FMI et Gérard Depardieu, qui, il l'a répété avant la projection, «déteste les hommes politiques», auxquels il «ne fait pas confiance». Mais Abel Ferrara, en dépit de tous les défauts scénaristiques du film (et du très grand défaut moral, intellectuel, décrit par Le Monde, qui le rend suspect d'antisémitisme) réussit à faire de son acteur le personnage du film. A faire disparaître la séquence d'acualité que l'on connaît pourtant par coeur, derrière l'épaisseur de la fiction. Et à rendre la fiction beaucoup plus dense que le réel.
C.P.