Le World Press Photo a la réputation d'être le prix le plus prestigieux du photojournalisme, le «Nobel» de la profession en quelque sorte. Beaucoup attendent avec excitation ses résultats, qui ont été dévoilés cette année ce vendredi 14 février.
Des photographes ont été primés dans différentes catégories (vie quotidienne, news, portraits, sport ou encore nature) pour un cliché précis. Et puis, il y a «la photographie de l’année», image qui, en quelques heures, est reprise par la presse internationale et obtient une visibilité médiatique inégalée.
Cette année, c’est John Stanmeyer, de l’agence VII, qui a été primé pour une photo prise la nuit du 23 février 2013. On y voit des migrants africains à Djibouti, point de transit vers l'Europe ou le Moyen-Orient, qui lèvent leurs téléphones pour tenter de capter un «signal moins coûteux de Somalie» et joindre leurs proches, précise la légende.
Ce choix est surprenant. Décevant. Certes, cette photo est très belle. Mais elle semble au premier abord n’être qu’une curiosité visuelle, une image esthétisante. Presque une affiche publicitaire. Sa réalité semble abstraite et conceptuelle.
Elle semble dissocier la forme du fond. Là, visiblement, le choix qui a été fait est plus plastique qu’informationnel, celui de l’esthétisme permettant à une image-support d’information de glisser vers l’«œuvre», d'entrer dans une galerie.
Un message trop peu puissant?
Car que dit cette photo? Que sont en train de faire ces hommes? Photographier la Lune? Où sont-ils? Qui sont-ils? On ne peut pas la comprendre sans se référer à sa légende.
Si l'on considère qu'une image de presse n’est pas une illustration, un support iconographique associé à un texte préexistant, le World Press 2014 déçoit. Il ne paraît pas porter en lui-même un message assez puissant pour faire accéder le cliché au statut d'«icône» comme les productions de précédents lauréats du prix: par exemple, la photo de l’homme devant les chars de Tiananmen par Charlie Cole, ou celle de l’Irakien qui réconforte son fils de 4 ans dans le camp de Nadjaf, par Jean-Marc Bouju. Quitte à ce que ce statut d'icône entraîne surinterprétations et polémiques, comme ce fut le cas pour la «madone» photographiée par Hocine Zaourar en 1997 en Algérie.
Ces «icônes», comme l’expliquent les deux universitaires américains Robert Hariman et John Louis Lucaites dans le livre No Caption Needed, sont des images qui parlent d’elles-mêmes (elles n’ont «pas besoin» de légende). Elles ont «plus qu’une valeur documentaire car elles témoignent de quelque chose qui dépasse les mots».
«Quelque chose d'universel»
A l'inverse, on peut considérer, à l'image de Vincent Lavoie, professeur du département d’histoire de l’art de l’université du Québec de Montréal, qu'«une photographie est nécessairement accompagnée d’un propos, d’une légende. Sinon, elle perd son fondement. Il faut toujours la mettre dans un contexte». On regrette donc de ne pas voir la série de clichés dont cette photographie faisait partie.
Une bonne image est une alliance du hasard et de l’instant décisif auxquels sont ajoutés une donnée esthétique ET une pertinence journalistique, qui peut ici décevoir.
«On remarque quand même la présence assez manifeste du portable, qui est le lieu de certaines angoisses du photojournalisme. Pour moi, c’est un peu un sens allégorique, tempère Vincent Lavoie. On croit que le portable peut mettre en péril le secteur par la profusion d’image, la transmission non-contrôlée d’images. C’est l’instrument du journalisme citoyen. On est frappé aussi par la disponibilité de cette technologie présente même dans des situations difficiles, comme la migration.»
Le président du jury, e photographe Gary Knight, a aussi estimé, dans un entretien au Monde, que la photo primée véhiculait un message:
«Quand la photo est violente, qu'elle montre des destructions et la guerre, ça paraît loin de notre expérience. Mais quelqu'un qui tente de joindre des proches avec un téléphone mobile, c'est quelque chose d'universel.»
«Le prix propose des modèles de réussite»
«Nous récompensons une image qui traite un sujet important, pas une prise de position sur la photographie. [...] Nous avons eu des discussions sur l'esthétique, certes, mais nous ne nous sommes pas sentis investis d'une mission sur le sens que doit prendre la photographie au World Press», a également déclaré le photographe. Est-ce si sûr? «Le World Press a un rôle de promotion et de légitimation de la photographie de presse. Il a aussi une fonction régulatrice et propose des modèles de réussite», estime de son côté Vincent Lavoie.
Il témoigne aussi de l’évolution de nos goûts visuels et photojournalistiques. L’année dernière, la question des retouches (Paul Hansen avait eu la main lourde) s’était immiscée dans une partie du débat. Une autre partie du débat avait porté sur l’impression si peu réaliste laissée par la photographie primée. On peut dire la même chose de celle de cette année.
On dit aussi du World Press qu’il fixe les canons du métier. «Le choix de cette année est un choix intéressant, une photo qui renonce à montrer une image d’horreur, ce qui est souvent le cas dans le World Press, qui récompense très majoritairement des images chocs», explique Vincent Lavoie. En effet, le cliché de cette année rompt franchement avec les choix des années précédentes, où on avait beaucoup reproché au concours de privilégier le trauma: la mort, le deuil, la tristesse et la souffrance. C'est sans doute la démarche la plus louable de ce World Press 2014.
Fanny Arlandis