Jusqu'à ce 2 février, et le corps de Philip Seymour Hoffman retrouvé dans son appartement de Manhattan, les carrières de l'acteur et de Paul Thomas Anderson, réalisateur, ont été intimement liées.
1991: Seymour Hoffman a 24 ans, il dort sur un futon à Brooklyn, qui n'est pas encore le quartier riche qu'il est devenu depuis. Il décroche un rôle dans Le Temps d'un Week-End, avec Al Pacino. Peu de temps après, Anderson voit le film. «C'était l'un de ces moments ridicules où vous appelez quelqu'un pour lui dire "Vous êtes mon acteur préféré"», a expliqué Anderson au New York Times, des années plus tard.
Seymour Hoffman joue alors dans le premier film d'Anderson, Double Mise, puis dans Boogie Nights qui remporte un écho immense. C'est là que Seymour Hoffman devient connu du grand public.
L'écho de Boogie Nights est si large que les producteurs achètent d'emblée les droits pour le prochain film du réalisateur, dont ils n'ont pas encore lu le scénario, et dans lequel Philip Seymour Hoffman figure encore: Magnolia.
Il sera dans presque tous les films d'Anderson, qui disait de lui, évoquant son grand talent, qu'«il est vraiment impliqué dans son art, et pas d'une façon fausse, grandiloquente. Il veut véritablement vivre une vie artistique qui ait un sens».
Dans une interview accordée en novembre 2012, il disait pourtant:
«Ma relation de travail avec Paul n'a pas d'importance. C'est mon amitié avec lui qui en a. Je me fais du souci chaque fois que l'on reste quelques mois sans se parler, pas lorsque l'on reste quelques années sans faire un film».
Mais cette relation de travail avait de l'importance. Hoffman aimait les troupes. Il en avait une au théâtre, en quelque sorte, avec le Lab. Celle d'Anderson était sa troupe de cinéma. Et il influençait le réalisateur: «J'apporte beaucoup de choses que je tire de mon expérience théâtrale dans le monde de Paul. Je pense que Paul est plus ouvert à beaucoup de choses désormais, les apports de différentes personnes, leurs opinions. Il est plus ouvert aux retours et à la critique. Il faut se faire confiance, savoir ce que l'on fait, et c'est le cas de Paul, donc c'est difficile pour lui de laisser d'autres personnes rentrer dans son univers, et d'écouter des idées différentes. Mais il est de plus en plus capable de laisser des erreurs se produire.»
Le seul film d'Anderson dans lequel il ne joua pas fut There Will be Blood.
«C'était étrange de ne pas être [dedans]», expliqua-t-il en 2008 au New York Times. «Paul me demandait sans cesse de venir les rejoindre au Texas, où ils tournaient. Je disais que j'aimerais bien, mais que je voulais être vêtu d'un costume d'époque, et jeter des pierres sur les puits de pétrole. Je voulais que le public se dise "c'est qui ce type qui jette des pierres?’"».
Leur dernière collaboration fut The Master: l'un de ses derniers rôles, qui lui valut la Coupe Volpi pour la meilleure interprétation masculine à Venise, et quelques autres prix. Le film n'épargnait pas l'ennui, mais l'acteur, gourou, était magistral. «Ca faisait dix ans que nous n'avions pas fait un film ensemble», avait-il remarqué pendant la promotion du film. «C'est bien, nous n'aurons pas à en refaire un autre avant dix ans» avait-il plaisanté.
Dans le même entretien il ajoutait ensuite: «J'espère que nous continuerons à travailler ensemble, j'espère continuer à faire partie de ses histoires. Mais si ce n'est pas le cas, tant pis». Anderson devra s'en souvenir comme d'une phrase testament, et continuer avec un membre de la troupe manquant. Comme on continue d'avancer, mutilé.