La science-fiction a-t-elle une chance d'exister sur la péninsule arabique? Index On Censorship («Le doigt sur la censure») relate que l'Arabie Saoudite vient juste d'interdire la vente d'un roman de SF et Fantasy de littérature jeunesse. Le livre, intitulé Hawjan («H W J N» en arabe), raconte la rencontre entre la jeune Sawsan et un djinn qui occupe la maison dans laquelle elle vient d'emménager avec ses parents. Naturellement, une histoire d'amour impossible s'en suit.
Le Comité pour la Promotion de la Vertu et la Répression du Vice a décidé d'interdire le roman: il ferait l'apologie de la sorcellerie et de l'adoration du diable auprès des jeunes, et notamment des adolescentes. En quatre mois de commercialisation, Hawjan est devenu un best-seller dans un pays en pleine lutte pour inciter ses jeunes à la lecture, se hissant à 25.000 exemplaires vendus entre Amazon et le marché saoudien.
L'interdiction qui le frappe n'est pas tant due à l'histoire d'amour entre une humaine et un djinn, mais à l'utilisation d'un ouija, un support permettant de communiquer avec les esprits. Des plaintes sont remontées jusqu'au Comité de Promotion de la Vertu, qui a prononcé un moratoire sur les ventes. La version anglaise est restée disponible, mais seules de rares petite librairies vendent encore le titre arabe. Le moratoire a été levé vendredi 6 décembre, en même temps que le Koweït et le Qatar chassaient HWJN de leurs librairies.
Interrogé par Foreign Policy, Yasser Bahjatt, un des deux auteurs, explique ainsi la censure de son oeuvre: «La SF en tant que genre littéraire n'existe pas dans la région. Ces deux dernières décennies, l'imagination a été systématiquement réprimée. Je pense qu'une part tient de la religion. Plutôt que d'avancer et d'essayer de comprendre leur religion, les gens s'en tiennent à ce qu'on leur a dit».
Avec Ibraheem Abbas, l'autre auteur de Hawjan, Bahjatt a ouvert une compagnie d'édition de science-fiction, appelée Yatakhayaloon, («Ils imaginent»). Le monde de la SF, célèbre pour sa capacité à tester les frontières sociales et explorer les limites scientifiques, est particulièrement peu vivace dans la péninsule arabique.
Mais plus que l'avenir d'un genre littéraire, c'est la liberté d'expression en péninsule arabique qui est mise en porte-à-faux: les idées les plus radicales, en matière de sciences, de politique ou de société ont souvent, par le passé, été introduites aux Etats-Unis et en Europe par des titres de science-fiction, et leur ouvrir la voie dans un pays si conservateur est naturellement difficile. Et contrairement aux Etats-Unis qui n'ont jamais considéré interdire la diffusion de la saga Harry Potter, le gouvernement d'Arabie Saoudite prend la question de la sorcellerie très, très au sérieux.