Le selfie, forme moderne, moins artistique et plus narcissique de l’autoportrait, vient de faire son entrée dans les Oxford Dictionnaries, Robert d’outre Manche. Et d’être élu le mot de l’année 2013 par la même institution.
L’une des raisons de l’entrée dans ce dictionnaire est son emploi exponentiel depuis 2012: l'usage du terme «selfie» a augmenté de 17.000% sur les 12 derniers mois, selon les équipes chargées d’amender les dictionnaires.
Ils sont parvenus à ce résultat, explique à Slate Angus Stevenson, directeur des Projets de Dictionnaires, grâce à une base de données gigantesques, qui comprend des sources Internet et imprimées. L’outil de recherche dans cette base s’appelle le «new monitor corpus» et fouille 150 millions de mots environ, selon Stevenson. Cet outil permet de mesurer l’utilisation d’un mot et de réaliser ensuite un graphique comme dans le cas du selfie:
«Le selfie est un mot relativement nouveau, mais pas tout à fait», explique le spécialiste. Le mot date en fait de 2002, il a été utilisé pour la première fois en Australie (avec une orthographe différente de celle devenue courante: selfy). Pendant dix ans, le mot existait donc, mais était employé seulement sur certains sites Internet. Et soudainement en 2012, il explose.
«C'est le fonctionnement le plus courant, explique Stevenson. Il est rare qu'un mot apparaisse et devienne immédiatement grand public.»
En l'occurrence, il aura fallu que l'utilisation du smartphone devienne répandue, que les réseaux sociaux favorisent la pratique, pour que le mot surgisse de façon plus large. Les avancées technologiques sont un vecteur courant de l'évolution de la langue, précise le directeur.
«Et le fait que le mot entre dans le dictionnaire, mais même indépendamment de cela qu'il entre dans la pratique, va favoriser les selfies eux-mêmes.»
Une évidence du langage performatif.
Remplir un vide
Le simple fait que l'usage d'un mot se répande ne justifie pas cependant son entrée dans le dictionnaire.
«Plusieurs mots sont apparus cette année par exemple, soudainement très employés, et qui ne justifiaient par leur entrée dans le dictionnaire, car ils étaient éphémères: comme le harlem shake. L'emploi a été exponentiel, puis il a considérablement baissé.»
L'entrée d'un mot dans le dictionnaire comprend une part de subjectivité.
«Nous devons utiliser notre jugement. Le mot selfie par exemple comblait un certain vide dans la langue.»
Le mot autoportrait existe, mais il n'a pas la connotation de rapidité et de lien aux nouvelles technologies qu'a le selfie: pris avec un smartphone, pour être posté sur des réseaux sociaux.
«Le mot est si spécifique que pendant nos recherches, nous nous sommes rendus compte que beaucoup de langues l'utilisaient. En France par exemple.»
Où bientôt ce sera peut-être le tour du Robert de l'intégrer.
C.P.