Culture

Le sexe dans La Vie d’Adèle, crédible ou pas?

Temps de lecture : 3 min

Adèle Exarchopoulos dans «La Vie d'Adèle».
Adèle Exarchopoulos dans «La Vie d'Adèle».

Dans La Vie d’Adèle, le film d’Abdellatif Kechiche qu’on ne présente plus, on peut voir, longuement filmés en très gros plans avec moult détails et bruits, des kébabs, des spaghettis bolognaise, des huîtres, de la bave et de la morve dégouliner, puis avalés par les personnages sans guère laisser de place à l’imagination. Ainsi que les deux héroïnes faire l’amour, dans des scènes que le critique Nathan Adams de Film School Rejects n'a pas du tout apprécié. Dans un article du 11 novembre 2013, il leur reproche pas moins que d’inaugurer «un nouvel âge d’or des mauvaises scènes de sexe au cinéma».

Ces scènes érotiques, qui ont pourtant joué pour beaucoup dans l’accueil dithyrambique qu’a reçu le film, y compris à Slate.fr, sont simplement invraisemblables, «toutes droites sorties d’une leçon d’anatomie», écrit-il. Adams cite une vidéo de Posture Magazine, publiée le 8 novembre, où des lesbiennes qui n’ont pas vu le film sont interrogées à chaud après projection des scènes en question. Des lesbiennes quelque peu dubitatives: «À en croire ces hochements de têtes et ces gloussements, le consensus semble être qu’elles ont trouvé toutes ces galipettes et ces caresses fébriles franchement ridicules», en déduit Film School Rejects.

Adams va plus loin: d’après lui, si les réalisateurs de talent hétéros (comme Kechiche) commencent à inclure dans leurs films des scènes de sexe LGBT, ils ouvrent ainsi un créneau dans lesquels des réalisateurs moins talentueux pourraient s’engouffrer tête baissée, quitte à laisser derrière eux un sillage de scènes homos très embarrassantes:

«Nous vivons à présent dans une réalité terrifiante où il est possible de voir prochainement une scène de sexe gay réalisée par quelqu’un comme Michael Bay».

Et Adams de citer des exemples particulièrement grotesques de scènes de sexe hétéros dans des films conspués comme le Showgirls de Verhoeven, The Room de Tommy Wiseau ou même Howard le Canard (qui n’a pas de scène de sexe à proprement parler, et c’est heureux, le Howard homonyme étant effectivement un canard géant antropomorphe).

Film School Rejects n’est pas le seul à avoir tiqué sur la vraisemblance de ces scènes. La première objection nous vient directement de Julie Maroh, auteure de la BD dont s’est inspiré Kechiche, qui la partageait ici même sur Slate.fr peu après le sacre cannois: le sexe dans La Vie d’Adèle lui évoquait «un porn dit lesbien (...) qui m’a mise très mal à l’aise».

En octobre dernier, Première recueillait déjà des opinions de lesbiennes peu convaincues par ces scènes de sexe; l’une d’entre elle faisait d’ailleurs remarquer que «Brokeback Mountain est aussi un film grand public. Il montre la relation entre un bi et un homo de manière moins caricaturale».

Et parmi les critiques les plus virulentes, la sociologue et militante queer Marie-Hélène Bourcier, s'exprimant dans sa chronique hebdo sur la radio belge Pure FM «en tant que lesbienne ou gouine, c'est selon vous», n'hésite pas à poser «la vraie question, même si elle emmerde la France»:

«Est-ce qu'un film joué par des lesbiennes, réalisé par une femme ou une lesbienne, aurait pu être, comme celui-ci, financé aussi fort et encensé, même s'il avait été mauvais —et la réponse est non, bien sûr. (...) Kechiche vient de sortir un vieux machin, un porno navet».

Mais les ébats d’Adèle et Emma n’ont pas pour autant froissé toutes les spectatrices lesbiennes: «Les positions osées, la passion animale, et l’aspect interminable des scènes de sexe étaient très naturalistes. Kechiche (...) a manifestement fait ses devoirs», estime Judith Dry sur CriticWire, qui a cependant trouvé tout ça «un peu ennuyeux». Susan G. Cole, qui s’estime «critique à l’égard des scènes de sexe orchestrées par des réalisateurs mâles et manipulateurs», ajoute sur NOW:

«Je n’adhère pas à l’argument selon lequel il y aurait une manière spécifique aux lesbiennes de faire l’amour, et qu’une scène de sexe lesbien ne pourrait fonctionner sans lesbiennes».

Enfin, June Thomas, éditrice de la rubrique LGBTQ de Slate.com, a ceci à objecter après avoir vu la vidéo de Posture Magazine :

«Aussi troublant que peut être le sexe entre filles dans La Vie d’Adèle, il est à des années-lumières plus convaincant que les scènes au lit dans The L Word, en particulier “Bette couche avec Tina enceinte”».

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