Le feuilleton traine depuis plus d'un an. En juillet 2012, the Hollywood Reporter demandait au cours d’une interview à Harry Belafonte, chanteur noir, acteur et activiste mythique des droits civiques, ce qu’il pensait de l’image des minorités à Hollywood aujourd’hui. Réponse:
«(…) Nous aurions pu avoir des artistes de haut niveau, des célébrités puissantes. Mais ils ont tourné le dos à leurs responsabilités sociales. C’est le cas de Jay Z et Beyoncé par exemple. Donnez-moi Bruce Springsteen, et là vous me parlez sérieusement. J’ai vraiment l’impression qu’il est noir».
Réaction de Jay Z par interview interposée:
«(…) Bruce Springsteen est un mec super. C’est toi l’activiste des droits civiques et tu viens juste de valoriser un blanc contre moi, dans un media blanc. (…) C’est juste la mauvaise manière de faire».
Si les commentateurs ont été nombreux à pointer l’incompréhension intergénérationnelle révélée par cette affaire, Daniel Browne, dans Salon, s’est interrogé sur la pertinence de la comparaison avec Bruce Springsteen.
Selon lui, le rocker ne s’est pas montré fondamentalement plus investi dans la lutte contre les injustices que la star du rap.
À y regarder de près, les premiers albums de Springsteen – comme ceux de Jay Z – se focalisent sur son milieu défavorisé d’origine, mais dans le sens où il met tout en œuvre pour s’en extraire, sans jamais évoquer la possibilité d’y revenir pour améliorer le sort de ceux qui s’en seraient moins bien tiré. Ainsi, dans Born to Run, il évoque une ville suicidogène dont il faut s’échapper au plus vite, «tant qu’on est jeune».
A partir des années 1990, il raconte ses «problèmes de riches» dans des morceaux comme 57 Channels, dans lequel il parle de l’ennui de la vie bourgeoise et de la vacuité des 57 chaines de télévisions (un chiffre énorme en 1992) auquel il a accès. Les soucis des quartiers pauvres sont loins.
En vieillissant –et face à l’insuccès relatif de ses albums «blings»?– Springsteen s’est fait le chantre de différentes causes, plus ou moins consensuelles, comme la défense des sans-papiers mexicains, l’opposition à la guerre en Irak, ou le soutien aux victimes de l’ouragan Katrina.
Des sujets sur lesquels Jay Z s’est lui aussi exprimé, rappelle le journaliste de Salon. Finalement, il semble que Springsteen ait simplement bénéficié, dans le souvenir de Belafonte, de l’image d’éternels contestataires associée aux rock-stars des années 1970, mais qu’il ne soit pas en réalité beaucoup plus engagé que le rappeur.