Longtemps, dans l’univers marketing, les livres sont restés à part. Un livre étant presque autant le résultat de l’imagination du lecteur que de celui de l’auteur, il était plus difficile d’en tirer des produits dérivés concrets et figuratifs.
La littérature est aussi perçue comme un loisir réservé aux intellectuels, pas très punk. Imaginez-vous vraiment Denis Podalydès avec une casquette «Molière for ever» (ce qui serait assez punk)?
Sauf que depuis quelques années, avec l’avènement des hipsters, la culture est redevenue «cool» et elle est un signe d'appartenance au groupe. D'ailleurs la notice «wikihow» de «how to be a hipster» (comment être un hipster) précise:
«Il faut lire beaucoup, même si cela signifie être assis dans une petite librairie de quartier, occuper leur espace pour ne rien acheter ensuite.»
Ce qu'ils ont aussi de particulier, ces hipsters, c'est qu'ils ADORENT les fringues. Et les livres sont devenus progressivement des accessoires de mode. Pour eux et pour les autres.
L'ironie (la tonalité du hipster), c'est que ce qui compte ce n'est plus le contenu des oeuvres, mais de vous afficher avec. Et que ces amoureux (affichés) des livres ont contribué à les désacraliser.
Main dans la main avec Zola
C’est ainsi qu’en 2010, la créatrice Olympia Le Tan a lancé des minaudières brodées d’illustrations de couvertures de grands classiques. La jeune femme, dont le père était illustrateur, expliquait alors qu’elle avait grandi dans une maison pleine de livres et qu’elle adorait ça…

(1.300 euros, sans le texte à l'intérieur)
La même année, la Fnac, souhaitant développer son secteur librairie, lançait une gamme de produits dérivés mettant en avant des citations littéraires d’écrivains célèbres. Une trousse baudelairienne («Quand partons-nous pour le bonheur») ou un mug hugolien («Personne ne garde un secret comme un enfant»).
C’est aussi à cette période que des boutiques en ligne ont commencé à vendre des pulls, t-shirts et tote bags littéraires. Comme le site Out of Print clothing, qui imprime sur toutes sortes de supports des illustrations de couvertures souvent en rupture de stock depuis longtemps.
En 2011, c’est Jean-Charles de Castelbajac qui rendait hommage à l’écrivain-aviateur Antoine de Saint-Exupéry dans sa collection printemps-été.
A la fin de cette année-là, peu avant Noël, l’écrivain Mathieu Arsenault lançait sa boutique offrant des produits dérivés de l’histoire littéraire. Avec humour. On pouvait par exemple trouver des t-shirts Louis-Ferdinand-Céline-Dion. Description du produit (à 25 dollars):
«Louis Ferdinand Céline a écrit deux belles chansons. Une qui commence par "Vive Katinka la putain", et l'autre par "Je te crèverai charogne! Un vilain soir! Je te ferai dans les mires deux grands trous noirs!" Céline, quant à elle, a écrit un beau beau livre qui s'intitule Ma vie, mon rêve. Sérigraphié à la main sur t-shirt noir de marque Blank, fabriqué au Québec.»
Il y avait aussi des pin’s (appelés macaron parce que c’est un site québécois) «Faire semblant d’avoir lu Joyce» à 3 dollars et décrits comme suit:
«Plus satisfaisant pour l'ego que faire semblant d'avoir lu Stephenie Meyer. Macaron de 3,18cm de diamètre, livraison gratuite.»
Evidemment en 2012, ce sont les produits dérivés de 50 Shades of Grey (mais là, est-on encore dans la littérature?) qui explosaient. Et presque autant d’articles consacrés au boom économique des sex-toys qu’au phénomène littéraire étaient publiés dans les journaux.
Désormais vous pouvez presque être habillé en livre –à défaut d’avoir le vrai dans votre sac.

(Cet objet se vend pour de vrai. Et à 30 euros)
Les livres, ce nouveau cool, Sonia Rykiel l’a bien compris, habillant désormais ses vitrines de livres presque assortis aux pièces qu’elle vend.

Des romans d'Agatha Christie avec leurs couvertures rénovées aux éditions du Masque.
En face de cette boutique de Sonia Rykiel, un espace Louis-Vuitton a ouvert: c’est un salon littéraire. Un an plus tôt, à sa place, il y avait une librairie.
C.P.