Culture

Hôtel Lambert: comment rénove-t-on un bâtiment historique endommagé par un incendie?

Temps de lecture : 3 min

Le classement offre une protection particulière au lieu. Le frère de l'ancien émir du Qatar, le propriétaire, ne pourra pas faire ce qu'il veut.

Les pompiers éteignent l'incendie de l'Hôtel Lambert, le 10 juillet 2013 à Paris. REUTERS/Philippe Wojazer
Les pompiers éteignent l'incendie de l'Hôtel Lambert, le 10 juillet 2013 à Paris. REUTERS/Philippe Wojazer

La ministre de la Culture Aurélie Filippetti parle d'«atteintes graves (...) dont certaines sont irréversibles». L'incendie qui s'est déclenché dans l'hôtel Lambert sur l'île Saint-Louis de 1h à 9h du matin ce mercredi 10 juillet aurait entièrement détruit le Cabinet des bains et ses peintures murales, rapporte la Tribune de l'art:

«Le Cabinet des bains de l’Hôtel Lambert, peint par Eustache Le Sueur, était l’un des plus grands chefs-d’œuvre du décor mural français au XVIIe siècle. L’un des rares qui était resté en place. Tout ceci, désormais, n’existe plus. Certaines rumeurs indiquent que des fragments auraient été retrouvés dans les décombres mais hélas l’ensemble a bel et bien disparu.»

La charpente a également été attaquée mais la galerie d'Hercule et son plafond peint pourraient être restaurés, toujours selon la Tribune de l'art.

L'hôtel particulier était en rénovation depuis 2010 après son rachat par le frère de l'ancien émir du Qatar, Abdallah Ben Abdallah Al-Thani. En 2007, ses projets de rénovation –notamment le creusement d'un parking sous les jardins– font d'ailleurs polémique. Le ministère de la Culture donne finalement son feu vert après la signature d'un accord entre le propriétaire et l'association Paris historique.

L'accord préalable du ministère de la Culture était en effet nécessaire car depuis 1862, l'hôtel, qui a appartenu de 1843 à 1975 à la famille princière polonaise des Czartoryski, est classé monument historique. Dans un communiqué envoyé en début de journée, Anne Hidalgo, en tant qu'adjointe chargée de l'urbanisme et de l'architecture, soulignait l'implication de la mairie de Paris qui, depuis le rachat du bâtiment, cherche à endosser le rôle de médiateur:

«Je fais toute confiance aux propriétaires et aux architectes pour que le travail de restauration soit conduit avec le plus grand respect du monument. Je souhaite que ces travaux puissent être menés en concertation avec la Ville de Paris, le ministère de la Culture et les associations de protection du patrimoine.»

Cependant, que se passe-t-il lorsqu'il ne s'agit plus de rénovation mais de réparation comme c'est le cas après cet incendie?

Tout passe par le ministère de la Culture

Classer un bâtiment «monument historique» lui donne une protection renforcée. Derrière cette appellation, on retrouve l'idée exprimée par Victor Hugo dans Guerre aux Démolisseurs:

«Il y a deux choses dans un édifice: son usage et sa beauté. Son usage appartient au propriétaire, sa beauté à tout le monde, à vous, à moi, à nous tous. Donc, le détruire c’est dépasser son droit.»

Légalement, cela signifie que le prioritaire du bâtiment en question n'est pas libre de faire ce qu'il veut en termes de rénovation. La notice écrite par le ministère de la Culture et de la communication détaille:

«L’immeuble classé ne peut être détruit, déplacé ou modifié, même en partie, ni être l’objet d’un travail de restauration ou de réparation, sans l’accord préalable du ministère chargé de la Culture (DRAC). Les travaux autorisés s’effectuent sous la surveillance de son administration. Aucune construction neuve ne peut être adossée à un immeuble classé sans une autorisation spéciale du ministre chargé de la Culture. Les immeubles classés sont imprescriptibles.»

Détruit ou endommagé

Cela vaut en cas d'incendie. Chloé Demonet, historienne du patrimoine, explique:

«Si les intérieurs sont détruits, tout projet sera de toute façon soumis à approbation. Il est vrai qu'on peut du coup se permettre de proposer des interventions contemporaines, si rien ne reste des parties historiques. Car finalement, si on restitue à l'identique quelque chose qui a entièrement disparu, on crée en quelque sorte un faux historique.»

C'est en quelque sorte ce qu'expliquait un article du Monde publié en 2010:

«La restauration dans les règles de l'art d'un monument historique à usage d'habitation est une aventure délicate. Apporter un confort dernier cri à un édifice classé peut porter atteinte à son intégrité patrimoniale. Gommer les strates de l'Histoire pour revenir à un état initial supposé de l'édifice, c'est aller contre la charte de Venise (1964), qui préconise de conserver les traces de son évolution.»

Une décision au cas par cas

Difficile donc de tirer des règles générales. On peut toutefois s'intéresser à un exemple similaire: au château de Lunéville –bâtiment public et non privé– frappé par un incendie en 2003, la décision a été prise de restituer à l'identique la charpente qui avait brûlée et dont on connaissait les dispositions. Au contraire, les salles d'accueil, modifiées au cours des siècles, n'ont pas été restituées à l'identique, notamment en raison des archives lacunaires.

Chloé Demonet précise:

«On peut restituer quelque chose qui a disparu, mais si on a les témoignages historiques et archéologiques suffisants. En fait, toutes les opérations menées sur un monument historique doivent être justifiées et doivent respecter la valeur historique du bâtiment.»

Concernant plus précisément l'hôtel Lambert, François Muller, en charge de la communication du ministère de la Culture, indique:

«Il est trop tôt pour savoir ce qui sera fait. On ne connaît pas l'ampleur des dégats, mais on ne pourra pas faire ce que l'on veut. Les projets des réparation et de reconstruction sont normalement très encadrés.»

Qui paye?

Les travaux de rénovation des monuments historiques peuvent être subventionnés par l'Etat. Mais dans le cas de l'hôtel Lambert, comme il s'agit d'un incendie, les assurances du propriétaire entreront en jeu.

C. S-G

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