Culture

Convention collective: un scénario catastrophe pour la production des films français

Temps de lecture : 5 min

La convention collective destinée à régir l’emploi dans la production des films, ratifiée par le gouvernement, fait courir un grave danger au cinéma indépendant. Et entérine la défaite d'une politique culturelle qui pensait ensemble les enjeux culturels et les enjeux économiques.

REUTERS/Tyrone Siu
REUTERS/Tyrone Siu

Triste et absurde paradoxe. Le cinéma français, comme système et comme modèle, vient de remporter d’importantes victoires internationales, l’autorisation à faire contribuer les télécoms à l’audiovisuel public et l’autorisation du crédit d’impôt international (deux dossiers bloqués depuis des mois par Bruxelles) venant couronner le retrait de l’audiovisuel de la négociation TTIP avec les Etats-Unis.

Or au même moment, les attaques intérieures se multiplient contre ce même modèle, fleuron de l’exception culturelle revendiquée urbi et orbi. Ainsi du rapport Queyranne qui vise à ponctionner le budget du CNC et à remettre en cause certains dispositifs de soutien, puis du rapporteur de la commission des finances à l’Assemblée, deux derniers avatars d’une attitude qui semble devenue une habitude chez nos gouvernants: si un système fonctionne, piquons lui un maximum de fric.

Pas sûr que ce soit la manière la plus saine d’assurer l’avenir des secteurs dynamiques, ce qu’est le cinéma en France, même si l’organisation interne de son économie et de ses rapports de force mériterait de sérieux ajustements. Mais le plus périlleux concerne l’affaire de la convention collective destinée à régir l’emploi dans la production des films.

Il s’agit d’un véritable scénario catastrophe, catastrophe dont la principale responsabilité incombe aux pouvoirs publics, qui ont laissé s’installer une situation intenable. Celle-ci vient d’atteindre ce que beaucoup redoutent être un point de non-retour, le 1er juillet, avec la ratification de principe par le gouvernement d’un accord signé le 19 janvier 2012 entre l’API, organisme patronal qui réunit les plus gros producteurs (Gaumont, Pathé, UGC et MK2) et la plupart des syndicats de techniciens.

Cette convention collective, qui encadre des rapports entre employeurs et employés jusque-là laissés à des négociations qui ont donné lieu à bien des abus, fixe des barèmes de rémunération très confortables, c’est-à-dire très au-dessus de ce que sont payés les techniciens sur la plupart des tournage. Cet accord doit désormais être étendu par les ministères du Travail et de la Culture à l’ensemble de la profession.

Levée de bouclier des producteurs indépendants, soit l’immense majorité de ceux qui produisent les films français, faisant valoir que l’application en l’état rendra impossible la réalisation d’un grand nombre de films, parmi les plus fragiles économiquement, et qui n’existent que grâce à des baisses significatives des rémunérations.

Des paliers de dérogation adaptées à des situations différentes

Côté API, dont les membres sont en mesure de payer (ils le faisaient déjà), on ne moufte pas, pas forcément mécontent à l’idée que des petits films concurrents qui «encombrent» les écrans pourraient ainsi être éliminés. Côté syndicats de techniciens, essentiellement la CGT et le SNTPCT (Syndicat National des Techniciens et Travailleurs de la Production Cinématographique et de Télévision), on refuse de bouger d’un iota.

Aux côtés des producteurs indépendants, les réalisateurs se mobilisent en début d’année, voyant planer la menace de l’impossibilité de tourner demain un grand nombre de films qui sont l’incarnation même de la diversité culturelle si fièrement vantée. Début mars, au nom de la Société des réalisateurs de films (SRF), un collectif de cinéastes composé de Stéphane Brizé, Malik Chibane, Catherine Corsini, Pascale Ferran, Robert Guédiguian, Agnès Jaoui, Cédric Klapisch, Christophe Ruggia, Pierre Salvadori et Céline Sciamma met sur la table des propositions dont on peut s’étonner qu’elles n’aient pas été, au moins dans l’esprit, celles du gouvernement ou du CNC, tant elles semblent habitées d’un sens de la mesure qu’on cherche en vain chez les autres intervenants.

Elles permettent de distinguer différents types de tournage auxquels des règles différentes s’appliqueraient, avec des paliers de dérogation adaptées à des situations différentes. En d’autres termes, elles prennent en compte le fait que le cinéma n’est pas une industrie comme une autre, que la spécificité des projets doit être inscrite dans toute initiative d’encadrement.

Vivement interpellés, les pouvoirs publics installent le 2 avril une Mission de médiation présidée par le conseiller d’Etat Raphaël Hadas Lebel. Celui-ci doit évaluer l’impact de la convention collective, et proposer d’éventuels aménagements. Le 13 juin, un rapport d’étape confirme pour l’essentiel les graves dangers que fait courir le projet API/SCG-SNTPCT au tissu créatif du cinéma français (avec des variantes minimes, toutes les projections donnent des résultats similaires), et avance des propositions assez semblables à celles mises en avant par les réalisateurs. Le jour du rendu de ces conclusions, la CGT et le SNTPCT quittent la salle avant même la fin de la présentation par le conseiller d’Etat.

Voici donc une situation dénoncée comme extrêmement dangereuse, économiquement et culturellement, par une majorité d’acteurs, et une médiation voulue par le gouvernement bafouée par une des parties concernées. Résultat, le 1er juillet, Aurélie Filippetti et Michel Sapin, respectivement ministres de la Culture et ministre du Travail, annoncent l’application en l’état de la convention collective.

Seule concession, sa mise en application est reportée au 1er octobre afin de ne pas torpiller immédiatement les nombreux tournages prévus en été. L’impuissance des pouvoirs publics sur ce dossier, pour ne pas dire leur volonté de ne pas agir, mène à une situation qui peut devenir calamiteuse, et est déjà très dommageable, en ce qu’elle a abouti, faute de courage et d’énergie politiques, à opposer les artistes et les employés: exactement ce qu’un ministère de la Culture (surtout de gauche) ne devrait jamais laisser arriver, exactement ce contre quoi a été inventé le ministère de la Culture.

L'espoir Bredin

Ce qui se passe avec la convention collective est une manifestation particulièrement grave d’un phénomène qui date d’une bonne quinzaine d’année: les politiques ont cessé de savoir penser ensemble les enjeux culturels et les enjeux économiques. A cette pensée, qui est le fondement d’une véritable politique culturelle, s’est substitué le jeu des gestes désormais successifs en faveur d’une dimension puis d’une autre. Pas besoin d’être grand clerc pour deviner laquelle l’emporte –a fortiori sous le masque malhonnête du «toujours plus quantitatif produira du mieux qualitatif», dont la récente Affaire Maraval a souligné quelques effets calamiteux.

Conscients que seule une intervention, elle aussi politique mais de plus haut niveau, peut encore empêcher la mise en œuvre d’une convention collective assurément nécessaire, mais rédigée dans des conditions ubuesques, les réalisateurs ont écrit à François Hollande pour l’alerter sur le danger encouru, et la contradiction avec les positions défendues par la France sur la scène internationale.

Un autre événement permet toutefois de garder encore un peu d’espoir: le remplacement, annoncé le 26 juin, du président du CNC Eric Garandeau par Frédérique Bredin. Ancienne condisciple du président de la République au sein de la fameuse promotion Voltaire de l’ENA, ancienne conseillère de Jack Lang rue de Valois, ancienne ministre, ancienne secrétaire nationale du PS chargée de la culture et de la communication, la nouvelle patronne du Centre connaît les dossiers et pèse d’un poids politique qui faisait défaut à son prédécesseur, nonobstant ses qualités.

Elle pourrait inaugurer son mandat en montrant sa capacité à faire bouger les lignes, pour qu’une victoire syndicale arrachée dans des conditions absurdes ne se transforme pas en défaite politique, culturelle, et aussi sociale, l’effet le plus évident de la convention en l’état étant de mener à la suppression de nombreux emplois par suppression des tournages.

Jean-Michel Frodon

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