Culture

Cannes 2013: petit passage en revue des stéréotypes cannois

Temps de lecture : 5 min

Portrait de trois clichés festivaliers (le cinéphile hardcore, le critique blasé, le blogueur qui n'a rien à foutre là) par un représentant du quatrième cliché: l'aigri resté à Paris

Des parapluies devant un écran géant pendant le Festival de Cannes. REUTERS/Jean-Paul Pélissier.
Des parapluies devant un écran géant pendant le Festival de Cannes. REUTERS/Jean-Paul Pélissier.

Le Festival de Cannes, sa Croisette, ses films, ses soirées, ses marches… et ses festivaliers. Les courageux au comportement pour le moins étrange consistant à attendre des heures et des heures, en haut d’un escabeau, pour entrapercevoir une starlette sont bien connus. Les hommes d’affaires et leurs bimbos, venus des quatre coins du monde, également.

D’autres, moins réputés, valent pourtant largement le détour. Revue d’effectif.

1. Le cinéphile hardcore

Le cinéphile hardcore de Cannes n’est ni critique, ni distributeur, ni producteur, ni même lié de près ou de loin au milieu du cinéma. C’est juste un type qui travaille toute l’année d’arrache-pied dans n’importe quel secteur pour pouvoir se payer ses dix jours de congés en plein mois de mai et filer sur la Croisette.

Pas question de se dorer la pilule sur la plage ou d’enchaîner les nuits torrides: l’objectif, ici, est de découvrir «un maximum de perles méconnues qui ne sortiront jamais en France». Notre cinéphile dédaigne assez facilement la Sélection officielle et ses cinéastes attendus (à moins de quémander, il n’aurait de toute manière jamais eu de place) pour se ruer dans les compétitions parallèles.

C’est ici qu’on voit du cinéma, le vrai, celui fait avec trois bouts de ficelle qui te retourne les tripes et le cerveau. Moins de stars mais tellement plus d’émotions.

Il faut bien ça à notre cinéphile égaré pour supporter, par ailleurs, toutes ces paillettes drainées par le festival le plus connu du monde. Un peu naïf, il pensait que les gens se rendaient à Cannes parce qu’ils aimaient le cinéma.

Du coup, lorsqu’il découvre, au détour d’une twitpic, qu’il est le seul à être couché pendant que le reste de la ville s’encanaille autour de piscines ou en bord de mer, le cinéphile ronge son frein. Il réaffirme à qui veut bien l’entendre, comme un cri dans la nuit sur les réseaux sociaux délaissés, qu’il est là, lui, dernier héraut d’une passion en décrépitude, pour découvrir les talents de demain.

Demain, pourtant, il passera un peu plus de temps sur son téléphone que dans les salles, à gratter une entrée pour la renommée #VillaGerblé.

2. Le critique de cinéma

«J’en ai marre de Cannes, c’est toujours la même chose, les mêmes gens, les mêmes soirées. Cette fois, je reste à Paris.» Et pourtant, comme chaque année, venu le mois de mai, il est bien au rendez-vous. Flanqué de sa sacoche, de ses lunettes fluos et de son nœud-pap ridicule, le critique tient son rang.

Laconique et blasé, dans la vie comme dans ses tweets. Cannes, c’est la routine, l’habitude, l’ennui parfois.

Mais c’est aussi un devoir, et pas n’importe lequel: celui d’informer. Tous les matins, vers 11 heures, les citoyens de France et d’ailleurs ont la possibilité de découvrir en exclusivité l’avis d’un bel et sombre inconnu sur un film qui, dans certains cas, ne déboulera sur les écrans qu'au printemps suivant, voire pas du tout.

Il y a Twitter, bien sûr, mais aussi tout un tas de chroniques vidéos, plus innovantes les unes que les autres, sans compter les multiples «tableaux des étoiles» et autres palmarès fictifs. Ca n’a l’air de rien mais c’est un geste fort accompli par le critique, cet émissaire du peuple, envoyé à Cannes en goguette, la fleur au fusil, pour trier le bon grain de l’ivraie.

Une croisade par ailleurs périlleuse et semée d’embûches. Car le critique bataillait encore à l’aube avec sa pizza chorizo et son café froid, dans un rade des recoins de la Croisette. La nuit a été dure, les yeux sont fatigués et les chaussures à glands usées, la piste de danse du Baron s’en souvient.

Mais l’aventure c’est l’aventure et rien ne le fera dévier de sa ligne directrice: ce matin, le critique se farcira les 2h30 du dernier Nuri Bilge Ceylan. Parce que derrière son écran, frénétique, impatient, usé nerveusement et suant, c’est tout un peuple qui attend.

3. Le blogueur qui n’a rien à foutre là

Cannes, c’est aussi l’occasion d’avoir quelques surprises. La présence du cinéphile fou (ou «cinéfou»), on peut comprendre, celle du critique aussi. Après tout, c’est un boulot et une passion, quelquefois les deux en même temps.

Mais on peut également repérer d’étranges spécimens, dénommés blogueurs ou, un peu plus huppé, chroniqueurs, qui n’ont clairement rien à foutre là. Leurs spécialités sont variées, de la mode à la politique en passant par la cuisine ou les gifs animaliers. A peu près tout sauf le cinéma.

L’intérêt n’est pas là, nous dit le blogueur: s’il est à Cannes, c’est pour observer les remous d’un microcosme qui se doit d’être dépeint sans fard; pour décrire ce qui se passe, justement, entre les films; pour dévoiler l’envers du décor, avec style, malice et impertinence. Car Cannes, c’est l’acmé d’un mode de vie aussi attirant que glaçant, d’une jet-set «belle en extérieure mais pourrie de l’intérieur» (notre spécimen est adepte des punchlines).

La vérité, c’est que le blogueur qui n’a rien à foutre là passe ses journées à glander sur la plage ou en terrasse, voire sur un bateau s’il connait un peu de monde. La vérité, c’est qu’il se creuse la tête tous les jours pour justifier sa présence et finit par lâcher quelques billets, au fil de l’eau, expliquant justement les raisons pour lesquelles il n’a rien à dire.

Deux trois vannes de ci de là, une photo de pieds ensablés ou de vernis écaillé et c’est balancé. Embedded sur la Croisette, pour le meilleur et pour le pire, en mode reporter de l’extrême calé dans son transat, un mojito dans chaque main.

Manque de bol, cette année à Cannes, il a plu. Soirées annulées, tout le monde déprimé. Du coup le blogueur qui n’a rien à foutre là regrette un peu son canap, ses Krisprolls et ses sujets parisiano-parisiens. Des Parisiens qui, en définitive, ne lui avaient rien demandé.

4. L’aigri resté à Paris

Le tableau, pourtant, serait incomplet sans le miroir inversé du festivalier cannois, celui qui n’a pas un rond ou est coincé au boulot: l’aigri resté à Paris. Il se manifeste généralement quelques jours avant le début du festival, en lâchant un franc et honnête «Eh, ceux qui vont à Cannes, commencez pas à nous gonfler avec vos photos Instagram, tout le monde s’en fout». Ils n’ont pourtant encore rien dit.

L’aigri resté à Paris fait semblant de ne pas s’intéresser aux films sélectionnés («Je préfère les voir ici, en pantacourt si je veux, sans accréd et sans file d’attente»), daube sur les soirées trop privées auxquelles on ne peut jamais accéder et surtout, surtout, est bien content d’échapper à la horde de festivaliers tous plus caricaturaux les uns que les autres.

Notre ami est aussi un peu mesquin, lui qui se réjouit intérieurement quand il découvre les trombes d’eau qui s’abattent sur Cannes ou la piètre qualité des films sélectionnés.

Mais l’aigri resté à Paris sait bien, au fond de lui, qu’il n’a qu’une envie: rejoindre ses petits copains sur la Croisette. Attendre une heure à la sortie du Martinez pour apercevoir le crâne de Bruce Willis, revêtir son plus beau costume pour monter les marches (et s’instagramer), découvrir le film d’un cinéaste arménien qu’il ne connaît pas mais qui le fait saliver d’impatience et faire tout son répertoire pour avoir le privilège d’être invité en soirée.

Au lieu de ça, l’aigri resté à Paris déverse sa bile sur les réseaux sociaux, sans véritable écho, puisque pour une fois les gens sont plus occupés à se parler pour de vrai, à l’autre bout de la France. Du coup, pour participer à la fête comme il le peut, il dresse un tableau narquois des festivaliers cannois.

Axel Cadieux

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