Jean-Marc Roberts est mort ce 25 mars 2013; ses deux derniers livres illustrent ce qu'il était, comme s'il avait voulu résumer, avant de partir (et il savait le départ imminent, la maladie le rongeait) une vie de lettres.
La première vie
L'un des deux livres était de lui: Deux vies valent mieux qu'une. Il y racontait ses tumeurs et ses souvenirs, et les critiques du récit ressemblaient à des nécrologies anticipées. Dans Le Point, Ono-dit-Biot écrivait: «Le livre sort dans quelques jours. Mais on vous en parle dès maintenant. Parce que c'est un livre admirable, et parce qu'on ne peut plus attendre tant on a été ému.» Mais ce n'était sans doute pas l'émotion qui pressait.
Jean-Marc Roberts n'avait plus de cheveux ni plus beaucoup de temps. Dans les quelques interviews accordées pour la promotion, il parlait de sa carrière d'éditeur plus que de celle de romancier. «Je pense que l’éditeur a fini par l’emporter sur l’auteur.» Mais il avait écrit une vingtaine de livres et reçu le Renaudot. L'homme à qui l'on promettait, quand il était à peine majeur et publiait Samedi, dimanche et fêtes, un avenir de grand écrivain, avait plutôt choisi d'être un grand éditeur.
Ne pas disparaître
Son second dernier livre fut Belle et Bête, de Marcela Iacub. Il en était l'éditeur, chez Stock qu'il dirigeait, et où il avait fondé la collection bleue après être passé au Seuil, au Mercure de France puis chez Fayard. Une partie de la presse (notamment le Nouvel Obs et Libération) avait adoré ce livre, l'autre non. Il avait envoyé paître ceux qui n'étaient pas de son avis, pris le temps de défendre son auteure dont il évoquait «l'audace et le courage». Il expliquait:
«Elle s'est engouffrée dans un univers qui n'était pas fait pour elle. Elle a travaillé avec la volonté délibérée de faire un roman.»
L'essayiste était devenue romancière. Il avait tenté ce «coup».
Il était connu pour ça, lui, éditeur d'Hervé Guibert, Philippe Claudel, Vassilis Alexakis, Jean-Louis Fournier, Simonetta Greggio, Didier Decoin, Christine Angot: pour ses coups médiatiques, pour les feux d'artifice qu'il suscitait, pétards d'admiration et de colère. Il voulait être «le meilleur éditeur possible». Il confiait récemment:
«En fait, je dois avouer que j’aime bien énerver les autres, et ne pas disparaître.»
A croire que Belle et Bête devait aussi servir à cela: l'empêcher de disparaître.
De L'Inceste, roman d'Angot, qui (uniquement) en termes de retentissement médiatique fut sans doute sa Iacub de l'époque, il disait avant sa sortie, à l'été 1999, que c'était «le livre que tout le monde attend»; que lui-même attendait depuis dix ans qu'on attende un livre autant.
Il disait: «C'est un livre dont je ne vous dirai rien, un livre que je vous demande de lire, un livre qui ne ressemble qu'à Christine, un livre qui aujourd'hui va manifestement terriblement plaire ou terriblement déplaire. Mais ceux qui ne l'aimeront pas, je ne les aimerai pas. Ceux qui feront la gueule, j'aurai presque envie de leur casser la gueule. Et pourtant je suis calme. Il faut arrêter avec les livres qui rassurent, qui provoquent un consensus.» Il aura respecté jusqu'au bout ce dogme littéraire.
C.P.