Culture

Dr House, diagnostic de fin (11): Mort to be wild

Temps de lecture : 4 min

Gregory 1er, pape et phénix de la médecine occidentale va-t-il mourir dans les flammes de nos enfers?

TF1/Universal.
TF1/Universal.

Attention, cet article contient des spoilers et raconte certains passages des deux derniers épisodes de la dernière saison de Dr House.

Il ne faut jamais trop attendre de la fin. De la nôtre comme de celle des autres. Cela ne se passe, dit-on, jamais comme prévu. Et rarement comme on en rêvait. Et ne pas trop attendre non plus du dernier épisode de la plus plus belles des séries. On veut dire ici la série qui nous raconte les morts. Morts qui avec un peu de chance auraient pu être les nôtres. Reste bien sûr à savoir où se situe précisément la fin. La question toujours un peu plus douloureuse à l’approche de Pâques et plus encore peut-être au moment de l’Ascension.

Christ boiteux, notre héros ne choisira pas la voie verticale vers les azurs. Il prendra celle, plus humaine, de la fuite, à cheval sur une moto. Avec son confrère cancéreux, plein gaz, direction l’ouest et les verts paradis enfantins. Deux cavaliers de l’Apocalypse pétaradants et revisités Disney. Blouses blanches au rancart. Ils n’ont pas la cinquantaine, sont sortis de l’enfer et ont encore quelques belles heures devant eux. Auparavant on aura pleuré House, aperçu l’urne noire, écouté ses amoureuses en chaire. Seule Cuddy la directrice manquait à l’appel. On n’est certes pas surpris mais on aimerait quand même savoir pourquoi.

Plaindre House et Wilson? Certainement pas. Cela sentait décidemment trop le roussi au Princeton Plainsboro. Au point que cet hôpital n’était pas sans faire songer, par instant, à la maison-mère de L’Imprécateur de René-Victor Pilhes (dont on attend toujours, quarante ans après, le prochain roman). Les eaux usées avaient remplacé les fissures, l’halitose gagnait, le ranci aussi. Qui plus est l’audience s’effritait. Ce n’est jamais de bon pronostic dans les entreprises de spectacle. Cela ne l’est pas non plus dans les affaires médicales. Il faut alors, la mort dans l’âme dévisser sa plaque de cuivre et vendre sa clientèle —s’il y a encore preneur. Puis cultiver son jardin— si on en possède un.

Cinq mois à vivre ou à survivre?

Et, surtout, ne rien espérer de ses anciens patients qui sont des gens bien ingrats. Il arrive même qu’ils vous mentent quand vous ne vouliez que leur bien moyennant des honoraires raisonnables. Le Dr Wilson en sait quelque chose: House a embauché des acteurs qui jouent le rôle de malades sauvés par cet oncologue devenu cancéreux. «Sauvés» est un bien grand mot. C’est généralement celui de «rémission» qui est utilisé. Car en cancérologie comme en alcoologie, rien n’est jamais gagné: les crabes et les bouteilles sont là, dans l’ombre ou à la cave, qui n’attendent qu’un geste de votre part. Mais cela ne concerne généralement que les patients, rarement les soignants. Tel n’est plus le cas.

Pour l’heure, les bouteilles sont de sortie. Il ne manque que les étiquettes des bordelaises pour connaître l’origine précise, médoc ou pas, des ivresses préterminales de notre couple médical. Le dilemme est limpide: cinq mois à vivre sans chimio versus le double sans cheveux, sans appétit et pratiquement sans garantie. Wilson choisit la première option. Il le fait comme nous le ferions tous dans un souci évident de dignité affichée. Puis les choses lui apparaissent soudain plus compliquées.

A commencer par ce House qui entend le maintenir en vie. Coûte que coûte. Qui fait preuve ici d’un machiavélisme inégalé. Et ce ne serait pas spoiler que de confier que le prix à payer se révèlera au final assez coton. Assez pour que les deux diplômés déménagent à la cloche de bois de leur maison hospitalière.

«Cinq mois sur Terre»? Nous ne verrons donc pas les derniers. Et c’est heureux. Car les soins palliatifs ne se donnent pas en spectacle sans une forte dose de perversité. Contrairement à ce que nous avons pu lire –et peut-être même tenté d’écrire– House n’est pas un véritable pervers. Misanthrope à coup sûr (et encore). Antéchrist par moment, drogué grave, c’est acquis. Mais pervers jamais. Du moins pas le vrai, celui qui depuis Sade (1740-1814) prend raisonnablement plaisir à la déraison de son désir. Car le pervers ne souffre pas, jamais, c’est même à ce trait qu’on le reconnaît.

Le presqu'inhumain savoir

Or Gregory House souffre. Il le cachait mal, avec ses opiacés. Il l’avoue maintenant que la maison brûle. Et il le fait avec des accents de sincérité que nul pervers ne pourrait simuler. «Vivre c’est avoir mal», hurle-t-il dans les couloirs de l’hôpital. Et il confesse publiquement avoir toujours eu envie, au fond, «de tout bazarder». Un patient hospitalisé a tenté de se suicider? Il va aussitôt tenter de l’étouffer. Pour lui faire grand mal et grande peur: non, on ne quitte pas ainsi le navire des vivants. On met un mouchoir sur ses coups de blues. On se tient debout, que diable. Au pire on boit et on titube. Mais on ne se pend pas. Ou, au pire, on ne demande pas la corde à son médecin. Il est là pour vous aider, par pour pleurer sur votre sort et le sien. Pour durer. Et tant pis si la souffrance peut avoir des effets rédempteurs.

Au final, le message du Dr Gregory House est peut-être là, pleinement paradoxal. Cet interniste de l’urgence est certes l’archétype de la médecine occidentale. Cette médecine qui débite le malade en tranches, le regarde de haut, ne le touche plus. Cette médecine qui mécanise à outrance ses diagnostics et ses thérapeutiques, qui se perd dans le labyrinthe des syndromes mais qui, au final, peut être redoutablement efficace et remettre d’aplomb des cortèges moribonds.

House ordonne sans voir, méprise ceux qui ont la chance de travailler à ses côtés, comprend mieux que ses confrères les dérèglements organiques des corps souffrants qu’on lui offre pour réparations. Il est le médecin devenu inhumain à force de trop savoir. A dire le vrai «inhumain» est peut-être un peu trop fort. «Presque inhumain» serait plus juste. Ou presque humain. Sa fin sauvera cet agnostique. Ecoutez : ses ennemis prient déjà pour lui.

Jean-Yves Nau

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