Attention, cet article contient des spoilers et raconte certains passages des épisodes 15 et 16 de la saison 8 de Dr House.
René Leriche fut un très grand chirurgien. Il naquit à Roanne en 1879 et mourut à Cassis en 1955. Il fut l’un des premiers au monde à mettre au point une chirurgie «douce», «sans douleur». Il y parvint grâce à l’immense boucherie de 1914-1918 et avant la suivante, elle qui donna naissance aux premiers médicaments anesthésiants.
La France a généralement oublié le nom de Leriche; comme nombre de ses confrères, le grand Leriche n’eut pas le courage de résister, de 1940 à 1942, aux sinistres sirènes vichyssoises. De lui on retient encore, parfois, sa définition de la santé:
«La vie dans le silence des organes.»
Elle date d’une époque où, dans la foulée expérimentale de Claude Bernard, les organes étaient les rois. Le foie tout particulièrement.
Dr House ne fait pas une croix sur les organes. Deux siècles après la naissance de Claude Bernard, ces derniers ont retrouvé leur place, plus modeste: à «un» organe ne correspond plus «une» maladie. La vérité a changé d’échelle. L’anatomopathologiste la débusque à l’échelon des cellules. Le biologiste va droit à la molécule et le généticien-scaphandrier descend jusqu’à l’ADN. Puis Gregory House fait la synthèse comme jadis Sherlock Holmes, Joseph Rouletabille ou Jules Maigret.
Les médecins ont aussi appris que les organes se parlent entre eux. Pour le bien de tous ils échangent des informations via les hormones ou la lymphe, cette belle inconnue. Les deux grandes guerres XXe siècle ont vu naître et prospérer le système immunitaire et ses métaphores militaires. Le corps se débrouille comme il peut pour lutter contre tout ce qu’il perçoit comme lui étant étranger. Pas de métissage! Toutefois quand cette xénophobie longtemps salvatrice devient pathologique, la médecine et la chirurgie sont là qui rétablissent généralement le calme durant la bataille. Ou qui signent l’acte de reddition.
De quoi souffre donc House?
Au Princeton-Plainsboro, les organes sont là: ils brillent et palpitent sous la lumière des caméras. Et on entend bien des bruits dans les soutes organiques. Cela se traduit à l’extérieur par des vapeurs, des haleines fétides, des hémoptysies, des peaux qui partent brutalement en lambeaux; syndrome de Lyell comme parfois après la prise d’allopurinol, un médicament contre une maladie qui fait hurler ceux qui en souffrent et claudiquent (quand elle siège au gros orteil): la goutte. Allopurinol pour lequel une nouvelle alerte vient d’être lancée en France par la vigie officielle, l'ANSM.
Gregory House, qui ne se plaint jamais, claudique mais sans goutte. Dans ce quinzième épisode de la saison ultime, l’homme semble atteint d’un autre mal, nettement plus pernicieux.
Les médecins goûtent généralement cet exercice qui consiste à porter des diagnostics chez ceux de leurs confrères qui ne vont pas fort. On sait que dans l’entourage de House, il y a pléthore. Et de même qu’il est plus facile de découvrir l’origine d’un vin en jetant un œil sur l’étiquette, de même le diagnostic est-il plus aisé quand on connaît les (mauvaises) habitudes de celui que l’on ausculte. Or, nous savons –depuis le temps– que notre héros ne parvient à faire taire ses organes que grâce à des doses massives de Vicodin.
Mais voilà: depuis peu il tremble, il est ailleurs. Son temps de réactivité hors pair, son génie en sautoir deviennent peau de chagrin. Bref, il se laisse aller.
Pourquoi sucerait-il à l’envi des bonbons à la menthe si ce n’était pour masquer son halitose? C’est dit, «il a le foie qui lâche». Ou plus précisément, c’est une réaction en domino: le cerveau patine parce que le foie n’assure pas, n’assure plus.
Les hommes en blanc parlent ici d’«encéphalopathie hépatique» (EH) ce qui, somme toute, est assez explicite. Une «EH, stade 2», avec hyperactivité psychomotrice et palilalie. Presqu’un stade 3 avec émergence des troubles de la vigilance, état stuporeux, somnolence marquée et discours inappropriés. Signe de Babinski, expressions extrapyramidales et anomalies papillaires.
Avoir du nez, sinon du flair
Page 1.230 de sa quatrième édition, le Godeau-Herson-Piette (Flammarion), qui ne se trompe jamais, nous le dit. Ce traité-bible détaille ainsi une sous-catégorie de l’halitose, le «fetor hepaticus»:
«C’est une odeur douceâtre de l’haleine. On la perçoit surtout quand on entre dans la chambre du malade. Le fetor est dû à des substances aromatiques [des mercaptans] d’origine intestinale, normalement détruites par le foie (…) ces substances passent dans la circulation générale et sont éliminées par le poumon car elles sont volatiles.»
Ce fetor n’est certes pas pathognomonique mais il permet aux plus affûtés de porter le diagnostic au nez comme jadis on le faisait celui du diabète sucré via les urines. Un privilège généralement réservé au patron lors de la visite.
Or les grands patrons, émanation suprême des grandes équipes, ne meurent jamais. Ils peuvent avoir tous les défauts de la Terre, ils demeurent, sur la durée, toujours les plus forts. Inoxydables. C’est d’ailleurs précisément à ça qu’on les reconnaît.
House fait partie de ces néo-mandarins à qui les élèves donnaient jadis du monsieur. Et House aura aujourd’hui à l’endroit de ses servants cette formule ridicule si elle n’était, chez lui, christique:
«Je connais mon corps.»
Toujours plus fort. Il confessera avoir pris du millepertuis pour simuler les symptômes biologiques et fera observer qu’il ne présente pas l’ascite des alcooliques en route vers la fin.
Cette fin, il le sait pourtant bien, sera pour après-demain. Est-ce pour conjurer les souffrances terminales qu’il fait croire à Wilson qu’il est père, qu’il lui fait connaître son fils que la mère lui avait caché et qu’elle gardait en captivité depuis treize longues années? Un fils factice comme l’était son foie en fausse flanelle. En saurons-nous plus durant le temps, qui nous est désormais compté, sur l’origine de ces rapports entre le House sado et le maso Wilson? Ou l’inverse.
Jean-Yves Nau