Culture

Sexe et design, des Etrusques à Berlusconi

Temps de lecture : 2 min

A Milan, l'exposition «KAMA: sexe et design» interroge la place du sexe dans notre vie quotidienne – de l'Antiquité à l'ère Berlusconi.

Emmanuel Lacoste. Bijou "Langue", 2006 (copyright de l'artiste).
Emmanuel Lacoste. Bijou "Langue", 2006 (copyright de l'artiste).

Jusqu'au 10 mars, la Triennale, musée du design de Milan juxtapose sexe et design et «explore la présence du sexe dans les objets du quotidien, détaille la directrice du musée, Silvana Annicchiarico. Elle raconte comment la sexualité s'immisce dans les choses pour en faire des transmetteurs de savoir, pour les designers comme pour les utilisateurs». Rires gras, railleries et clichés accablants: c'est pour lutter contre les apanages du sexe de l'Italie berlusconienne qu'elle a choisi d'aborder le sujet en déroulant un fil historique, adoptant un regard d'ethnographe.

Plus de 300 objets sont organisés en catégories aux titres sans équivoque: Archétypes, Priape, L'origine du monde, Seins, Fesses, Orifices, Accouplements, Design culinaire érotique.

Le panorama débute avec des vases étrusques, des amulettes romaines et d'autres découvertes archéologiques évoquant le plaisir charnel, symboliques fétiches garants de santé vigoureuse et de pérennité.

Le titre de l'exposition, «KAMA: sexe et design», fait référence au dieu hindou du plaisir, de l'amour et du désir. «Avant Internet, il y avait une dimension un peu secrète, cachée, et donc sacrée de l'imagerie sexuelle. Aujourd'hui, qui dit sexe dit pornographie online.» Betony Vernon, grande prêtresse américaine du bijou érotique, est l'un des designers invités par Silvana Annicchiarico à réaliser des œuvres pour l'exposition, comme Andrea Branzi, Nacho Carbonell, Nigel Coates, Matali Crasset, Lapo Lani, Nendo et Italo Rota.

La «chaise-Origine» de Betony Vernon a été sculptée dans le marbre des carrières Henraux (elle trouve son toucher «proche de celui de la peau»), celles-là même qui avaient fourni Michel-Ange. «Dans chaque société, avant que le monothéisme s'impose, le sexe était considéré comme le moyen le plus sûr d'entrer en contact avec son Moi suprême, son partenaire, ou même le Divin.»

La «chaise-Origine» de Betony Vernon (photo Ale Mosso)/

« It's not vulgar, it's vulva ! »

Eros est réputé pour veiller à la fois sur l'amour et sur la puissance créatrice: la visite égrène dessins, estampes, sculptures (comme la Fallen Woman de Louise Bourgeois) et autres témoignages artistiques de la place du sexe dans l'histoire de l'humanité. Si «l'Origine du monde» de Courbet n'est pas au nombre des œuvres exposées à la Triennale, les 400 moulages de sexes féminins (de modèles âgés de 18 à 76 ans) formant le «Great Wall of Vagina» de Jamie McCartney se chargent «d'éduquer les visiteurs en montrant à quoi les femmes normales ressemblent réellement.» Et l'artiste britannique d'insister: «It's not vulgar, it's vulva!». L’artiste a d'ailleurs imaginé cette «sorte de “Monologues du vagin” version sculpture pour changer la vie des femmes, pour toujours.»

Ce polyptique aurait une vocation, donc, mais quid de la fonction ? On a vu le sexe, passons au design.

Certes, on peut s'asseoir sur le canapé Boca de Salvador Dalí, en hommage aux lèvres de la scandaleuse Mae West (1936); on peut chevaucher la croupe de bois de la Pony Girl Rocker de Peter Jakubik (2011), glisser une fleur dans le vase-pénis Shiva d'Ettore Sottsass (1973) comme dans les Ceram X de Pierre Charpin (2005), ou peut-être même tenter de boire un thé à même la «peau» de ces bols de silicone spécialement imaginés par Oki Sato du studio Nendo – si fins qu'ils tremblent et s'affolent sous la caresse du ventilateur placé à leurs côtés.

«Still Life» («nature morte, bouteilles d'emballage de produits cosmétiques), David Baskin, 2007 (copyright de l'artiste)

«Pony Girl Rocker», Peter Jakubik, 2011 (copyright de l'artiste)

«Shivering bowls», design Oki Sato/Nendo (photo Hiroshi Iwasak).

Salvador Dali, «Mae West Lips Sofa», 1936 (copyright Gufram)

Mais la fonctionnalité ne paraît pas être la qualité première des objets sélectionnés. Ici, la forme parfois spectaculaire aurait plutôt tendance à oblitérer le fond.

«Chacun d'eux montre que, loin d'être une matière à scandale, elle doit se vivre comme une pratique joyeuse et nécessaire à la vie», justifie la directrice du musée dans un entretien avec Mélina Gazsi. «Le design n'est pas la discipline qui résout uniquement des problèmes d'utilisation et de confort. Plus que l'objet lui-même, plus qu'une chaise pour s'asseoir ou une table pour manger et travailler, le design peut être une clé pour explorer des questions sociétales et existentielles.»

Elodie Palasse-Leroux

(Jusqu'au 10 mars 2013, Triennale di Milano)

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