Culture

Jane Austen récupérée par les conservateurs

Temps de lecture : 2 min

Jane Austen dessinée par sa soeur, Cassandra, vers 1810. Via Wikimedia / LicenseCC by
Jane Austen dessinée par sa soeur, Cassandra, vers 1810. Via Wikimedia / LicenseCC by

All Roads Lead to Austen, (Toutes les routes mènent à Austen), The Jane Austen Guide to Happily Ever After (Le Guide de Jane Austen pour vivre heureux et avoir beaucoup d'enfants), The Jane Austen Guide to Life (Le Guide de Jane Austen pour vivre bien)... Les livres publiés sur Jane Austen, se servant de l’œuvre de l’auteure d’Orgueil et Préjugés pour forger des théories de développement personnel, se multiplient. Se développe depuis quelques temps une tendance à chercher chez l’écrivaine des conseils de vie, raconte le Time:

«Cet engouement actuel pour Austen date de près de deux décennies, au moment de la vague d’adaptations de ses œuvres en films.»

Clueless en 1995, Orgueil et Préjugés en série pour la BBC la même année, Emma en 1996… Mais s’il s’agissait auparavant de reprendre les histoires d’amour, de se plonger dans la narration, l’inspiration suscitée par l’auteure britannique s’est depuis transformée.

Des valeurs anciennes

Désormais, selon les auteures des livres de développement se servant de Jane Austen, celle-ci est une source pour revenir à des valeurs qui manqueraient aux femmes de notre époque. Le Time explique:

«Selon Lori Smith, dont le Guide pour vivre bien est le second livre sur Jane Austen, cet engouement est dû au désir des femmes de trouver des modèles opposés à ceux des émissions de télé-réalité.»

Lori Smith et Elizabeth Kantor (Le Guide de Jane Austen pour vivre heureux et avoir beaucoup d'enfants) estiment que la compréhension de la féminité moderne a quelque chose d’erroné. Selon Kantor, qui publie dans une maison d’édition conservatrice, précise le Time, «énormément de choses qu’on a vendues aux femmes d’aujourd’hui comme censées les renforcer, ne leur donne pas plus de pouvoir en réalité». Et la conception de la féminité chez Jane Austen serait plus conforme à ce que cherchent les femmes.

Retour à l’ordre moral

William Deresiewicz, qui a également écrit un ouvrage sur Austen l’an dernier, estime qu’il s’agit moins d’une conception de la féminité que d’ordre moral.

«C’est un cliché, mais il n’en est pas moins vrai que nous manquons de toute clarté morale désormais. Toutes les sources traditionnelles d’ordre moral ont été considérablement affaiblies. L’écriture d’Austen enseigne un système clair, dans lequel la force de caractère est récompensée.»

Jane Austen, chantre de l’ordre moral? Là vous vous dites, hum, Elizabeth Bennet, héroïne d’Orgueil et Préjugés, qui refusait de se marier avec n’importe qui, qui se moquait des conventions sociales de la société de l'époque, ne peut pas être récupérée par les conservateurs. Bah si.

En réalité, la question de savoir si Jane Austen était réellement féministe ou non fait débat depuis les années 1970 –depuis le développement de la critique littéraire féministe. Dans un billet publié sur le Huffington Post, Amy Smith (Toutes les routes mènent à Austen) expliquait que les différents lecteurs voyaient chacun ce qui leur convenait, créant leur propre Jane:

«Les féministes célèbrent ses héroïnes aux fortes personnalités, et la satire sociale; les conservateurs adorent les “valeurs traditionnelles“ mises en avant dans ses familles champêtres; beaucoup de passionnés des histoires d’amour estiment qu’elle est tout à fait apolitique.»

Il serait bien dommage que, comme le préconise Lauren Henderson dans son Guide de Jane Austen pour les relations amoureuses, on s’inspire encore de ces schémas –où les femmes certes finissent souvent avec des mecs cools intelligents et sympas, mais attendent quand même beaucoup que les hommes veuillent bien agir. Dans cette vague d’édition récente de livres sur Austen penchant vers l’ordre moral, ce qui est instructif pour le monde contemporain, c’est peut-être moins les conseils de dating de Jane Austen, que notre perception actuelle de son oeuvre.

C.P.

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