Vers la fin du XVIe siècle, à Milan, un groupe de vitraillistes originaires des Flandres travaillait avec le plus grand acharnement à la décoration de la cathédrale. Les grands travaux publics, en Italie, avaient déjà tendance à s'éterniser, mais dans ce cas-là, la situation était plus critique que d'habitude, parce que la construction du Dôme a pris environ six siècles.
Le patron de la bande de vitraillistes, Valère des Flandres, s'était donc installé définitivement à Milan avec toute sa famille. Il savait peut-être, au fond de son cœur, qu'il n'allait plus jamais revoir ces jacinthes sauvages en fleur uniques à sa terre d'origine.
Cela dit, on ne se souviendrait certainement pas de lui ni de son nom si à ce moment-là, il n'avait pas organisé à Milan le mariage de sa fille. Valère des Flandres avait confié la cuisine à ses assistants, et en particulier à un jeune homme surnommé Saffraan, en référence à son petit crush pour le safran.
À l'époque, en Europe, l'épice était encore exclusivement considérée comme un colorant. Il paraît que Saffraan en mettait un peu partout quand il préparait les peintures. Quand il a fallu cuisiner pour les jeunes mariés, il a fini par mettre du safran dans le riz –histoire d'être sûr. C'est ainsi qu'est né le risotto à la milanaise.
Le safran est une épice extrêmement savoureuse, qui pousse quasiment partout et dans n'importe quelles conditions climatiques. C'est une plante très solide, qui ne demande aucun entretien. Les plantes se reproduisent toutes seules chaque année.
Pourtant, c'est de loin la plus chère des épices, pour une raison simple: elle est diaboliquement difficile à récolter. Personne n'a encore inventé une machine pour le faire, il faut donc le prélever à la main. On sépare les pistils un à un; dans chaque fleur, on en écarte cinq, qui n'ont pas de goût mais juste de la couleur, et on garde le sixième. Le prix exorbitant du safran, qui en fait l'or des épices, est dû à une seule chose: le temps, énormément de temps.
Risotto à la milanaise
Tommaso Melilli
Pour les variantes possibles, je renvoie à mon petit guide de préparation du risotto.
Pour 4 personnes, en plat
Pour le bouillon
Le bouillon n'est pas strictement obligatoire. Vous avez trois options, selon le temps que vous voulez y consacrer et vos préférences quant aux produits d'origine animale: un bouillon de volaille, un bouillon végétal (à savoir le bouillon de volaille sans la volaille) ou sinon, juste de l'eau chaude et salée.
Dans le cas du bouillon végétal, ne passez pas à côté des feuilles de céleri: la grande tradition gastronomique impose de les jeter, mais je trouve qu'elles donnent vraiment un goût en plus, au-delà de permettre de mettre moins de sel. Si jamais quelqu'un était en train de se poser la question, le bouillon cube n'existe pas.
- 2 branches et quelques feuilles de céleri
- 2 carottes
- 1 oignon
- 1/2 cuillère à soupe de gros sel
- 2 litres d'eau
- Quelques graines de poivre noir
- 1 cuisse de poulet (facultatif)
Placez tous les ingrédients dans une grande casserole et cuisez à feu doux pendant une heure si vous utilisez la volaille, sinon trente minutes suffiront. Le bouillon est prêt.
Pour le risotto
- 350 g de riz blanc (carnaroli, arborio ou vialone nano)
- 4 oignons nouveaux
- 3 cuillères à soupe d'huile d'olive
- 0,3 g de safran, en poudre ou en pistils
- Parmesan râpé
- 50 g de beurre demi-sel
- 1 litre de bouillon ou 1 litre d'eau bouillante avec 1/2 cuillère à soupe de gros sel
Portez à ébullition quelques litres de bouillon ou d'eau.
Si vous avez du safran en pistils: prenez une feuille de papier sulfurisé, pliez-la en deux et posez au milieu de la pliure les pistils de safran. Écrasez-les avec le dos d'une cuillère, puis mettez la poudre ainsi obtenue dans une tasse avec une louche de bouillon ou d'eau tiède.
Si vous avez du safran en poudre, limitez-vous à le faire fondre dans un peu de bouillon en début de cuisson.
Dans une autre casserole au fond épais et pour laquelle vous avez un couvercle, versez l'huile et les oignons nouveaux, entiers. Couvrez et cuisez à feu très doux pendant dix minutes, puis retirez les oignons et gardez-les de côté.
Dans cette même casserole (qui contiendra une huile qui sent l'oignon), versez le riz et saisissez-le en remuant vigoureusement: quand le bruit émis par le riz ressemblera à celui de petites cloches d'un minuscule carillon, versez-y une première louche de bouillon ou d'eau chaude. Remuez immédiatement, rajoutez rapidement le safran et du bouillon, et faites cuire pendant une quinzaine de minutes au moins, en rajoutant du bouillon au fur et à mesure que le riz l'absorbe.
Goûtez le riz: quand il n'y aura plus qu'une petite résistance sous la dent, enlevez-le du feu. Incorporez le parmesan râpé et le beurre, froid, en petits morceaux. Bougez la casserole d'avant en arrière avec énergie: le riz doit produire une vague.
Posez quatre cuillères de riz dans une assiette plate (les assiettes à risotto n'existent qu'en France) et tapotez doucement le dessous de l'assiette avec la paume de votre main, pour détendre le riz crémeux. Rajoutez un oignon nouveau rôti sur chaque assiette.
Risotto à la milanaise al salto
Tommaso Melilli
Il arrive souvent d'avoir des restes de risotto. La solution est le risotto al salto, une sorte de gâteau croustillant qui redonne vie à ces graines toutes collées et endormies.
La quantité dépend uniquement de la quantité de risotto qu'il vous reste: il serait donc inutile d'en donner.
Il vous faudra une poêle anti-adhésive récente –ou au moins une poêle anti-adhésive dont vous n'avez pas arraché le revêtement en le grattant furieusement avec la fourchette. La taille de la poêle doit vous permettre de couvrir tout le fond avec au moins un centimètre d'épaisseur de riz.
Cette dernière recette, contrairement au risotto crémeux, peut se préparer largement à l'avance. Elle convient donc très bien si vous organisez un dîner chez vous.
Versez une cuillère d'huile d'olive sur la poêle et étalez le risotto froid sur le fond. Cuisez dix minutes à feu vif, puis retournez sur une assiette plate. Retournez l'assiette plate dans la poêle, de façon à faire dorer l'autre côté. Cuisez encore dix minutes de ce côté, puis retournez à nouveau sur une assiette. Servez chaud, tiède ou à température ambiante.