Antoine Augustin Parmentier était un agronome, nutritionniste et pharmacien militaire. Son nom aujourd'hui nous reste dans quelques recettes, et quelques avenues. La raison pour laquelle on se souvient de lui est une affaire de patates.
Avant Parmentier, on ne mangeait pas de pommes de terre en France: elles étaient considérées non-comestibles, voire toxiques.
À 20 ans, Parmentier avait été fait prisonnier en Prusse, lors de la guerre de Sept Ans. Pendant ce temps-là, il avait goûté de la bouillie de pommes de terre, qu'il n'avait pas trouvé dégoûtante. Revenu en France en homme libre, il consacre deux décennies de son existence à convaincre ses compatriotes de se nourrir de patates.
La tâche n'était pas facile, parce qu'une vieille loi interdisait carrément d'en cultiver: on estimait qu'elles apportaient la lèpre, la peste et d'autres fièvres de l'époque. Mais cette méfiance pour les tubercules avait des origines lointaines: le modèle philosophique, remontant à l'âge classique, de la scala naturæ, organisait les choses du monde entre le haut et le bas. Plus on était proche du ciel, plus c'était bon, et inversement. Ce qui poussait sous la terre ne pouvait qu'évoquer la mort et d'autres trucs mauvais. En plus, la pomme de terre était tellement facile à cultiver que, dans une culture aussi pénitentiaire, ce qui était facile ne pouvait que cacher un problème: on appelait la pomme de terre «le fruit du diable».
Mais Parmentier est déchaîné, et il a une mission: il écrit et publie des livres de recettes de patates, il organise des cooking show tubéreux pour Louis XVI et Marie-Antoinette, et petit à petit convainc les experts et les gouvernants que ses thèses sont vraies et que les pommes de terre sont bonnes.
Il devait toutefois convaincre les véritables destinataires de ce «pain des pauvres», à savoir très précisément les pauvres, donc le peuple, qui n'en voulait pas. La règle est toujours la même et les solutions changent à chaque fois: «Il ne suffit pas qu'un aliment soit bon à manger, encore faut-il qu'il soit bon à penser», disait Claude Lévi-Strauss.
On mangeait des pommes de terre depuis plusieurs décennies en Allemagne, dans l'Europe du nord, et quelque part en Italie. Mais très peu en France. Comment persuader les Français·es que cet aliment était très bon? Comment le rendre «bon à penser»? Simple: on leur fait croire que c'est un truc très rare, cultivé exclusivement pour le roi.
Parmentier avait eu droit à un champ de patates, où il faisait ses essais, dans les jardins de la plaine des Sablons: selon la légende, il décide alors de faire surveiller ce jardin par l'armée, pour faire passer le message: c'est précieux. Sauf que la nuit, les militaires partent, et qui voulait piquer les pommes de terre pour les goûter pouvait le faire tranquillement, tout en se sentant très malin·e. Parmentier est donc le premier grand spin doctor publicitaire de l'histoire du secteur agro-alimentaire.
Pendant les siècles suivants, des centaines de recettes de pommes de terre sont nées en France, et parmi celles-ci, il y en a une qui est à tort oubliée: celle des pommes Anna.
N'essayez pas d'y mettre moins de beurre, vous mangerez léger la prochaine fois.
La recette aurait été inventée juste un siècle après le grand coup de la plaine des Sablons, par le chef Adolphe Dugléré, qui lui donna ce nom en l'honneur de la courtisane Anna Deslions.
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Recette des pommes Anna
- 4 pommes de terre à chair ferme de moyen calibre
- 150g de beurre demi-sel
- Sel non raffiné
Pelez les pommes de terre et coupez-les en tranches de 2 millimètres d'épaisseur, au couteau ou à la mandoline. Faites fondre la moitié du beurre dans une poêle plate et antiadhésive pour laquelle vous avez un couvercle, jusqu'à mouiller toute la surface de cuisson. Quand le beurre est juste fondu retirez la poêle du feu et disposez les tranches de pommes de terre en couronne, en faisant chevaucher une tranche sur l'autre. À chaque couche terminée, salez légèrement et rajoutez des petits flocons de beurre. Enchaînez les couches de pommes de terre jusqu'à épuisement des tranches.
Pressez délicatement, posez sur un feu très doux et couvrez. Après 20 minutes, pressez à nouveau. Secouez légèrement la poêle pour détacher les pommes de terre des bords et pour vérifier que l'amidon soit bien en train de coller les tranches les unes aux autres, les transformant en une sorte de gâteau. Quand les tranches de pomme de terre seront tendres, cuisez encore 10 minutes sans couvercle. Éteignez le feu, laissez reposer encore 5 minutes, puis renversez comme une tarte tatin.