La semaine dernière, j'ai lu d'une traite le dernier roman de mon prestigieux homologue à Libération, Jacky Durand. J'aime particulièrement ce qu'il fait, pour une raison que je vais essayer de résumer: quand on écrit sur la cuisine, de manière générale, on se retrouve à parler beaucoup de produits, de plats, de restaurants. C'est très bien, mais c'est un peu embêtant aussi: parce que les plats, les restaurants et les produits sont des choses qui s'achètent, qui se payent, et donc l'écriture gastronomique risque de se transformer en un long commentaire client.
Jacky a toujours vu les choses d'une autre façon, et je dirais qu'il n'écrit pas vraiment sur la cuisine, mais plus volontiers sur les gens qui cuisinent et des gens qui mangent. En plus d'être un sujet de discussion gratuit, c'est bien plus intéressant. Mais je parlais de son roman, paru l'année dernière, et qui s'appelle Le cahier des recettes (Stock). Le roman a très bien marché et a vite été traduit en plusieurs langues.
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L'idée, en soi, est très simple: un fils recompose l'histoire de la relation avec son père, qui est le patron et cuisinier grincheux du Relais fleuri, un bistrot devant la gare d'une petite ville.
Il y a des mystères, des souvenirs de la guerre d'Algérie, parsemés aux lecteurs et lectrices comme des miettes de pain aux pigeons dans les grands jardins; il y a les mains brûlés par les casseroles, les milliers de Gitanes fumées devant les fourneaux et, on s'en doute un peu, il y a un cahier de recettes. Julien, le fils et le narrateur du roman, a vu plusieurs fois ce cahier quand il était petit, mais quand le père meurt, le cahier disparaît.
Julien rêve en secret de devenir cuisinier comme son père, mais le père, Henri, ne veut pas. Il veut l'éloigner de ce métier pénible et qu'il devienne prof. Vers la moitié du roman, Julien doit rendre un devoir à l'école. Il doit raconter une expérience, une petite histoire, devant toute la classe. Ses camarades racontent leurs vacances en Italie et d'autres anecdotes du genre.
Julien, lui, se met à raconter la recette de la mousse au chocolat de son père: «Tu fais voltiger ton cul de poule en montant les blancs en neige. Ils sont si fermes que ton fouet tient debout. Je raconte ça à voix haute en mimant tes gestes. Tout comme je décris la crème épaisse que tu incorpores à la mousse. C'est ton petit secret à toi, qui fait demander aux clients pourquoi ta mousse est si onctueuse. Tu souris mais ne dis rien, même aux plus fidèles. J'explique que certains viennent au Relais fleuri rien que pour tes pommes sautées et ta mousse au chocolat. Je répète ta phrase favorite: “La cuisine, c'est de la générosité”.»
La maîtresse n'apprécie pas du tout et s'énerve. Elle dit qu'elle avait demandé un devoir de français, que l'exercice consistait à raconter une histoire, et ça, ce n'était pas une histoire, juste une recette. Le petit Julien voudrait crier que, dans cette recette, il y a mille histoires, mais n'arrive pas à répondre, et il ne s'excuse pas non plus. Cet épisode déclenchera toute une série d'événements désagréables qui amèneront à la disparition du cahier.
Ce goût-là
En lisant cette scène, j'ai pensé deux choses: la première est que, moi aussi, j'essaie de crier depuis des années que les recettes sont des histoires; l'autre chose que j'ai pensé est que –allez savoir pourquoi– moi aussi, j'ai toujours mis en peu de crème dans ma mousse au chocolat, et mes client·es se demandaient aussi ce qui donnait ce goût-là.
De la glace? Non, de la mousse! | Tommaso Melilli
C'est une recette qui se prête aussi aux tartes ou compositions variées: ce n'est pas trop mon truc, mais la recette fonctionne très bien.
- 3 œufs entiers
- 80g de sucre
- 300g de chocolat noir en morceaux
- 125g de beurre
- 300g de crème liquide (30% de matière grasse, à garder au frigo)
- Fleur de sel
Fouettez les œufs entiers avec le sucre pendant au moins dix minutes, jusqu'à ce qu'ils soient mousseux. Entretemps, faites fondre le chocolat et le beurre au bain-marie. Le mélange ne doit pas dépasser les 60°, sinon la chaleur fera tomber la mousse: si vous ne disposez pas de thermomètre de cuisine, pensez à enlever le mélange quand il sera juste fondu.
Mélangez donc le chocolat aux œufs battus dans un grand bol. Ensuite, fouettez la crème: elle doit rester légèrement liquide (quand vous soulevez le fouet, vous devez pouvoir observer un filet qui marque une ligne à la surface et disparaît après cinq secondes).
Incorporez délicatement la moitié de la crème fouettée dans les œufs au chocolat, puis rajoutez l'autre moitié. Couvrez et réfrigérez pendant au moins cinq heures. Pour servir, mouillez une cuillère à quenelle dans de l'eau chaude, et récupérez une boule comme si c'était de la glace. Posez quelques flocons de fleur de sel si vous voulez et mangez.