«Ceux qui tiennent des journaux intimes font partie d’une autre catégorie de l’humanité: des ré-arrangeurs de choses solitaires et acharnés, des angoissés mécontents, des enfants affligés depuis leur naissance du pressentiment d’être en train de passer à côté de quelque chose.»
Joan Didion a écrit ces lignes il y a exactement cinquante ans, dans un long essai personnel sur le fait de prendre des notes, que l'on peut aujourd’hui retrouver compilé dans le magnifique Slouching Towards Bethlehem, malheureusement inédit en français mais que je vous conseille fortement de lire.
Beaucoup plus humblement, j’ai pris la semaine dernière mon courage à deux mains et je me suis mis à ranger de vieux cahiers. Je n’ai pas pu m’empêcher de les ouvrir. Et je me suis retrouvé plongé dans une petite fête foraine de projets d’écriture avortés, d’idées de recettes embarrassantes et de considérations existentielles que je suis très content de ne pas avoir retenues.
J’ai aussi appris –parce que je n'en avais aucun souvenir– qu’il y a six ans, j’avais décidé d’écrire un tonitruant dictionnaire amoureux du risotto. Je ne l’ai pas fait –heureusement, je crois–, mais j’avais commencé à rédiger les premières fiches, idéalement les plus essentielles et les plus basiques.
Comme d’habitude, pour quatre personnes, en plat:
- 300g de riz blanc du type carnaroli, baldo ou vialone nano
- 2 litres de bouillon de légumes, ou tout simplement d’eau salée
- 1/2 oignon
- 4 cuillères à soupe d’huile d’olive
- 200g de cèpes frais, ou d’autres champignons au choix
Ou 200g de radicchio (trévise) - 50g de parmesan rapé
- 50g de beurre demi-sel froid
L’oignon
Je vais essayer d’aller vite au sujet de l’oignon dans le risotto, parce qu'en Italie, on en discute avec acharnement depuis quarante ans.
On place un demi-oignon dans une casserole à fond épais, avec trois cuillères d’huile, on couvre et on cuit à feu doux pendant dix minutes, ou jusqu’à ce que l’oignon soit tendre. On retire alors l’oignon et on garde l’huile.
La tostatura
Il s’agit de saisir, de «toaster» le riz, à sec et dans une matière grasse: la technique permet de rendre le risotto crémeux comme il se doit d’être, mais aussi de préserver l’individualité singulière de chaque graine –sans quoi on se retrouve avec cette sorte de soupe farineuse que l'on appelle trop souvent, et à tort, risotto.
Dans la même casserole, dont on a donc retiré l’oignon, on pose le riz et on le fait chauffer, en mélangeant sans arrêt pendant deux minutes. Chaque graine doit devenir brillante et bien nappée d’huile.
La sfumatura
Il s’agit de mouiller le riz chaud à même la casserole avec un liquide, pour ensuite démarrer la cuisson proprement dite. Le plus souvent, on utilise du vin blanc, mais on peut aussi prendre du bouillon, ou pourquoi pas un autre alcool: quelques gouttes de pastis pour un risotto aux calamars, un gros verre de vin rouge pour un risotto à la saucisse, du madère pour un risotto aux foies de volailles, et ainsi de suite.
Littéralement, sfumatura veut dire «défumaison», parce que le liquide que l’on rajoute dans la casserole chaude s'évapore vigoureusement. On peut aussi dire «déglacer», c’est sensiblement la même chose.
Le bouillon (ou non)
Le grand blocage pratique du risotto est généralement le bouillon: non pas parce qu’il est difficile, mais parce que personne n’a jamais l’envie ou le temps de le faire. Un bon bouillon végétal est pourtant l'affaire de vingt minutes maximum: en rentrant des courses, on met une casserole d’eau à chauffer et on y glisse une branche de céleri avec ses feuilles, deux carottes, l’autre moitié de l’oignon de tout à l’heure, une cuillère de gros sel et une feuille de laurier.
Mais bon, c’est loin d’être obligatoire. Juste, si vous n’avez pas le temps, s’il vous plaît, pas de bouillon-cube ou d’autres saloperies de ce genre: on fait juste chauffer de l’eau, avec une cuillère de gros sel.
La cuisson
Revenons à la cuisson: on vient de déglacer le riz toasté dans une casserole. Dans une autre à côté, on a du bouillon ou de l’eau chaude. On rajoute une ou deux louches de liquide d'un coup dans le riz, qui sera frémissant, et on continue à mélanger, SANS ARRÊT.
On répète l'opération pendant quinze à vingt minutes, selon le type de riz –c’est souvent marqué sur le paquet.
La garniture (ou non, là encore)
Pendant ce temps, on rajoute la garniture. Je vous propose deux garnitures différentes qui interviennent dans la cuisson exactement de la même façon: des cèpes frais, nettoyés, coupés et poêlés (comme on l'avait expliqué ici) ou du radicchio, aussi connu en France sous le nom de trévise –du nom de la ville la plus réputée pour sa production.
Il s’agit d’une salade amère et souvent rouge: on la rince, la coupe en morceaux, la pôele deux minutes puis on la mouille avec une cuillère de vinaigre de vin rouge ou balsamique.
On prépare l’une des garnitures ou l’autre –ou les deux– et on la balance dans la casserole avec le riz, tout en continuant la cuisson.
Risotto au radicchio | Tommaso Melilli
La mantecatura
Entre-temps, on devrait largement avoir atteint les quinze-vingt minutes de cuisson. On arrête le feu, et on se prépare à terminer le plat avec le vrai grand geste qui sépare le risotto d'une soupe de riz: la mantecatura, du verbe mantecare, qui veut tout simplement dire «touiller».
On touille donc très énergiquement, pour englober de l’air, comme si on devait faire une mayonnaise ou monter une meringue. Mais avant, on rajoute du parmesan rapé et des petits cubes de beurre froid. On le regarde bien, quand on touille: il va devenir brillant, lumineux et crémeux.
On estime que la bonne texture d’un risotto doit être celle d’une vague, all’onda. On essaye de bouger la casserole en avant et en arrière et on regarde le riz. S'il ne bouge pas du tout, on rajoute un peu de bouillon; si la consistance est trop liquide, on attend simplement deux minutes. Et si on voit se lever la petite crête d’une vague, c'est bon. On goûte, on rectifie en assaisonnement et on s'attaque au dressage.
Le dressage
Vous voulez briller en société et servir votre risotto comme dans les restaurants étoilés italiens? Première chose, il faut laisser tomber les «assiettes à risotto»: ça n’existe pas. On prend des assiettes plates, idéalement un peu tiédies, et on pose trois cuillères de risotto au milieu.
Puis on soulève l’assiette, on la tient fermement avec une main, et avec l’autre, on tape gentiment mais avec conviction le dessous: et voilà que le monticule de risotto se transforme en une jolie pelouse de riz bien beurrée.
Si on fait le risotto aux cèpes ou au radicchio, on peut en déposer quelques morceaux crus au dessus du risotto, pour rafraîchir et enjoliver un peu l’affaire. Il ne reste plus qu'à servir et à manger immédiatement.