Que vous évoque ce plat communément nommé «cordon bleu»? Une escalope molle, glauque et néanmoins régressive servie à la cantine de l’école primaire? Une troisième garniture énergétique chez O’Tacos? Une boîte de dix spécimens surgelés achetée par des étudiants affamés? Le «Moi, j’aime bien les cordons bleus, là» d’Emmanuel Macron, dans le restau d’autoroute L’Arche, le jour du premier tour de l’élection présidentielle?
Rarement associé à la fine fleur de la gastronomie (ceci dit, selon Paris Match, le chef de l’Élysée Guillaume Gomez prépare désormais des mini cordons bleus pour les cocktails du palais), le nom de ce mets vient pourtant certainement de l’expression désignant une personne qui cuisine très bien. D’après Claudine Brécourt-Villars dans Mots de table, Mots de bouche, ce terme fait référence au «large ruban bleu qui servait d’insigne aux cent chevaliers de l’Ordre du Saint-Esprit, institué par Henri III en 1579. Cette filiation curieuse s’explique par le fait que, sous Louis XV, les grands seigneurs titulaires de cet ordre royal étaient si réputés pour la richesse de leur table qu’on disait alors, parlant d’un excellent dîner: “C’est un repas digne des Cordons Bleus”».
Le Grand Larousse gastronomique propose une autre explication: «L’analogie est sans doute née du rapprochement entre le ruban en sautoir des chevaliers et les rubans du tablier bleu de la cuisinière». Par contre, le lien entre l’as de la cuisine et le mets à base de viande et de fromage demeure très flou. Est-ce juste une recette inventée par un cordon bleu?
Ce qui est sûr, c’est que plusieurs recettes traditionnelles européennes ressemblent au cordon bleu: le poulet à la Kiev (roulé autour de beurre à l’ail et aux herbes puis pané), l'escalope viennoise (escalope de veau panée), l'escalope milanaise (cousine de la viennoise, avec souvent du parmesan en plus dans la chapelure) et tout un tas d’escalopes farcies et panées. La version appelée «cordon bleu» est sans doute une réinterprération de ces vieilles recettes, apparue dans les années 1950 ou 1960.
Ultra-transformé
Le cordon bleu est souvent dégusté dans sa version industrielle. Autrement dit, un petit plat au contenu généralement peu reluisant. Dans cet extrait de l’émission «Enquête de santé» (France 5), consacrée aux aliments industriels, Raphaël Haumont, enseignant-chercheur en physico-chimie et cofondateur du Centre français d’innovation culinaire (CFIC), décortique un cordon bleu et ses ingrédients:
La composition n’est pas très alléchante: 25% de chapelure, un jambon bien élastique, de la viande «complètement re-fabriquée» (un «filet» reconstitué avec de la dinde, de l’eau, du sel, des protéines –de gluten ou issues de blancs d’œufs en poudre), un fromage non identifié et des arômes et conservateurs. Au total, il compte une trentaine d’ingrédients! Le site Open Food Facts permet en effet de constater que les listes de composants sont particulièrement longues, comme par exemple chez Casino, Père Dodu ou Le Gaulois.
Une fine viande
Mais un cordon bleu fait maison ou préparé par un artisan n'a absolument rien à voir: c'est une préparation beaucoup plus simple et savoureuse. D’abord, il s’agit de trouver une bonne viande de base. «Le cordon bleu est souvent réalisé avec une escalope de poulet. Certains le font plutôt avec de la dinde. Un cordon bleu avec une escalope de veau peut être très bon aussi, mais plus haut de gamme car cette viande est plus chère!», constate Stéphane Duval, formateur référent charcuterie-traiteur au Ceproc (Centre européen des professions culinaires).
Prenons donc une escalope de poulet bien choisie. Il faut commencer par l’ouvrir «en portefeuille» avec un couteau bien aiguisé, une manipulation qui va dédoubler le morceau de viande et le rendre ainsi plus fin. Vous pouvez demander à votre boucher-charcutier de vous préparer l’escalope.
Au restaurant L’Écluse, à Bienne (Suisse), le chef Nicolas Richon prépare un fameux «cordon bleu géant». Pour cela, il utilise une viande moins classique pour cette recette, «du filet de porc, coupé en papillon» (même principe que le portefeuille!). Pour cet imposant spécimen servi avec des pommes-frites et des légumes, il faut compter 200 à 220 grammes de porc.
Quelle que soit la viande, vous pouvez l'aplatir un peu pour l’affiner encore plus: «Je tape avec une batte à viande, ce qui permettra de la plier plus finement». Les chefs et les bouchers ont en effet du matériel spécial, comme un aplatisseur à viande, une sorte de gros tampon en inox assez lourd. «À la maison, un fond de casserole peut servir à aplatir. Dans ce cas-là, saisissez directement la casserole, pas le manche. Un sachet sous vide ou du papier cuisson permet de protéger la viande des deux côtés», ajoute le chef de L'Écluse.
N’oubliez pas d’assaisonner légèrement. «Je sale et poivre les filets au début; mais pas trop, car le jambon et le comté ajoutés ensuite sont déjà salés», explique Julien Denjean, charcutier-traiteur à Aix-les-Bains et Meilleur ouvrier de France (MOF) 2015.
Garniture généreuse
Dans cette fine et large escalope, on dépose alors un morceau de jambon blanc, puis des tranches de fromage, plutôt de l'emmental ou du comté, ou encore du gruyère comme à L'Écluse.
Petite idée de variante crémeuse: «Je prépare une crème de comté: je fais bouillir la crème, et j’ajoute le même poids de comté. Je mélange bien et je laisse refroidir pour épaissir… Et je tartine le jambon posé sur le filet», indique Julien Denjean.
Ensuite, il y a plusieurs façons de façonner le cordon bleu. «On replie l’escalope, comme si on faisait un chausson aux pommes. On peut aussi le mouler dans un moule... Dans ce cas-là, le cordon bleu peut être rond. On refroidit pour que toutes les parties du cordon bleu se collent bien: au frais à 3°C pendant trente minutes, ou alors au congélateur pendant quelques minutes», dit Stéphane Duval.
On peut aussi «rouler» le cordon bleu, comme le fait le MOF Julien Denjean: «Ainsi, le résultat final ressemble plutôt à un boudin. Quand on le découpe dans l'assiette, chaque tranche est une spirale. Pour bien le consolider et faire durcir la crème au comté, j'enroule le cordon bleu dans du papier film et je le fais refroidir pendant trente minutes au frigo».
Paner à l’anglaise
Il ne reste plus qu’à paner le cordon bleu pour former la croûte croustillante. On parle plus précisément de «panure à l’anglaise»: on roule d’abord le cordon bleu dans la farine, on tapote pour retirer l’excédent. Puis on le trempe dans l’œuf battu, et enfin dans la chapelure.
Vous pouvez facilement fabriquer de la chapelure maison en mixant du pain rassi ou grillé… «Vous pouvez aussi ajouter un peu d’ail dans votre chapelure. Ou préparer une chapelure à base de fruits secs, de noisettes ou de sésame», dit le formateur Stéphane Duval.
Julien Denjean choisit «de la chapelure japonaise appelée panko, qui ressemble plus à des flocons. Cela donne un résultat plus croustillant… Et je l’utilise d’ailleurs aussi pour d’autres recettes comme les nuggets ou les cromesquis».
Une double cuisson
Pour la cuisson, plusieurs options: «J’aime bien commencer par faire dorer le cordon bleu à la poêle, puis terminer la cuisson au four, pendant environ un quart d’heure à 150°C. Si on cuit le cordon bleu uniquement à la poêle, il risque de trop colorer», conseille Stéphane Duval.
Nicolas Richon fait la même chose pour son cordon bleu géant: un passage à la poêle puis au four. «Quand le cordon bleu sort du four, il est bien gonflé par l’humidité et la vapeur du fromage. Si, en pressant, on sent que c’est bien liquide à l’intérieur, généralement c’est que c’est bien cuit.»
Autre méthode, la friture, chez Julien Denjean: «Je cuis les cordons bleus dans une casserole remplie d’huile à mi-hauteur, pendant environ dix minutes. Je les fais tourner, il faut qu’ils soient bien dorés. Pour savoir si c’est cuit, j’ai une sonde (la température à cœur doit être de 65°C). Mais ça cuit assez vite, donc si visuellement c’est bien doré, croustillant, c’est prêt».
Le bon cordon bleu
Bien sûr, pour que cet assemblage finalement assez simple soit bon, il faut «bien choisir les matières premières. Un bon filet de volaille, pour que la viande soit goûteuse et pas sèche… Un bon fromage, un vieux gruyère ou un comté… Un bon jambon de la charcuterie, et non pas un jambon industriel qui va rejeter de l’eau», dit Stéphane Duval.
Veillez à ce que le cordon bleu soit «bien doré, ni surcuit, ni sous-cuit. Idéalement, il faut que tout soit dedans et que le cordon bleu ne soit pas troué! Et quand on sert, juste à la sortie du four, on découpe le cordon bleu et le fromage coule...», ajoute Nicolas Richon.
Voilà une recette de cordon bleu et la promesse d'une assiette très loin des vieux souvenirs de cantine: une croûte croustillante et appétissante, une volaille moelleuse, un fromage goûtu et bien fondu.
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La recette
Ingrédients
Pour deux cordons bleus:
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2 belles escalopes de poulet
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1 grande tranche de jambon
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80 g de comté
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1 œuf
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farine
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chapelure
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sel et poivre
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beurre pour la cuisson
Recette
Ouvrez les escalopes de poulet en portefeuille. Protégez la viande avec deux morceaux de sachets de congélation (entre la planche et la viande; entre la viande et la casserole). Aplatissez les escalopes en tapant plusieurs fois avec un fond de casserole. Plus simple et efficace, vous pouvez aussi demander à votre boucher de réaliser ces opérations avec son matos de pro!
Salez et poivrez légèrement les escalopes. Coupez la tranche de jambon en deux. Sur chaque escalope aplatie, déposez un morceau de jambon, puis des fines tranches de comté. Repliez chaque cordon bleu en deux. Mettez-les au frais pendant 30 minutes.
Préparez la panure. Versez un peu de farine dans une assiette creuse. Battez un œuf dans une autre assiette creuse. Dans une troisième assiette creuse, versez de la chapelure. Roulez le premier cordon bleu dans la farine. Ôtez l'excédent. Trempez-le ensuite dans l'œuf. Enfin, roulez-le généreusement dans la chapelure. Faites la même chose avec le second cordon bleu.
Préchauffez le four à 150°C. Faites dorer les cordons bleus à la poêle avec un peu de beurre. Quand ils ont une jolie couleur, mettez-les dans un plat allant en four, et enfournez pour 10 à 15 minutes.
Cet article vous est proposé en partenariat avec Phamily First et les Magasins généraux à l'occasion de la sortie du livre CANTINE GÉNÉRALE. Du réfectoire de l’école primaire à la cantine d’entreprise en passant par les batailles de boulettes des années lycée et en tentant d’éviter la case prison, le plateau de cantine se pose à votre table tout au long de votre vie en collectivité.
Retouvez une autre recette du cordon bleu, celle du chef Walid Sahed dans Cantine générale, le 1er livre pop-culturel sur le sujet de la cantine.
Une édition des Magasins généraux, centre de création grand parisien fondé part BETC.