Un aller pour la terre
«Savoir ce qu’on ne veut pas est simple, c’est savoir ce qu’on veut qui est coton. Quitter la ville, fuir les bureaux, les jobs à la con et les loyers c’était décidé mais il lui restait maintenant à se pencher sur ce qui venait après. Comme pour toute bonne recherche, ça commençait par la page d’accueil d’un navigateur : une fenêtre de texte avec curseur qui clignote, comme lui, comme pour dire « vas-y ». Oui mais où ? On lui demandait souvent si il avait un coin qui l’attirait plus qu’un autre. À part un amour de vacances pour la montagne, il n’avait aucun lien à la terre à se mettre sous le doigt, pas une ascendance paysanne assez proche pour être crédible, la carte était plate comme la Beauce.»
«Partir de zéro, tout faire lui même depuis le commencement, ça lui disait trop rien. Il partirait de trop loin et il n’était que moyennement emballé par le mythe du pionnier qui bâtit sa vie sur un terrain vague. Comme beaucoup de ruraux en fermentation, il avait commencé prudemment par tâter le terrain du wooffing, c’est à dire en troquant la force de ses bras contre des repas bio et un matelas à l’abri de la pluie. Ça lui avait bien plu de travailler en touchant autre chose que des touches, de finir ses journées en s’écroulant à table cassé par le vrai travail. Il avait pris ça pour une confirmation, les trottoirs ne lui manquaient pas trop. Pour la première fois de sa vie, il avait passé un peu de temps avec des paysans, des vrais, c’est à dire des gens avec des mains dures, séchées à l’argile et cornées aux outils, des mains qui serrent fort, qui se remarquent sur une table, des paluches. Le soir, au lit à 21h30 avec ses mains de pianiste derrière la tête, il pensait à ses hôtes. Il les admirait parce qu’ils gagnaient leur autonomie avec une passion dénuée de week end, en cultivant la noble cause de nourrir la terre et les hommes.»