Un aller pour la terre
«Tout est parfait. Pendant les secondes ou les minutes qui suivent, tout est parfait. Le smog éternel se crève pour laisser percer cette lumière divine annonçant le retour de l’espoir et de la paix dans le monde. L’espace d’un instant, la grâce, tout est vraiment parfait. C’est presque à chaque fois le même apaisement, la même délivrance, les mêmes chants mélanésiens d’une pureté qui recoud le monde et annonce une ère nouvelle. Et lui aussi, il s’allume. Une sérénité invincible l’envahit, il est quinze fois lui même, extralucide. Le moindre machin devient beau, le moindre mot raisonne de sens, sa vie brille putain. L’animal enfin rassasié accouche d’un philosophe pleinement conscient du vaste monde. Pendant quelques secondes, l’homme est réconcilié avec lui même, tout coule de sens. Cet instant, c’est un répit spatio-temporel, les quelques centièmes de secondes de lévitation que la gravité tolère au corps qui s’élance du plongeoir.
Et puis plouf, ça retombe. La pièce réapparait, les murs, les lumières, les meubles, l’odeur musquée de sexe sur le bout des doigts, les impératifs, les embrouilles, le bruit des bagnoles derrière les doubles vitrages, le bruit du temps qui passe, toutes ces choses qui ramènent à la réalité comme ces vagues trop fortes qui confisquent le large. Là, il est 4h16 du matin et il n’y a pas plus de bruit que de lumière. Tout le monde dort, sauf lui, qui se réveille difficilement le caleçon maculé d’illusions nocturnes. La paresse endormie succombe au constat qu’il vaudrait mieux s’en occuper maintenant, avant que ça sèche. Les yeux collés, les pupilles ivres, il démarre son corps pour le trainer vers une solution. Mais à cette heure là, il n’y a pas de bonne solution. Il y a juste cette tâche que ses 27 ans étaient sensés lui épargner et il y a le fait qu’il vit chez ses parents, ce constat implacable que sa vie sentimentale ressemble à la verdure sahélienne, que le robinet fait plus de bruit que les chutes d’Iguazu et que le parquet grince lourdement alors que la maison a le sommeil léger.»