Transfert
Quand Hugo, trentenaire parisien, emménage avec sa copine dans un nouvel appartement, à Belleville, s'installe en face de chez eux, au même moment, un autre couple. Même âge en gros, même milieu social –des «jeunes gens branchés». Hugo veut devenir ami avec eux. Mais ils se «refusent» à lui. C'est alors que son besoin d'entrer dans leur vie devient une obsession. Il veut tout faire pour y parvenir.
Internet VS le voyeurisme réel
On a beau tous espionner en ligne –moi la première– la vie de copains d'enfance, d'ex, de gens perdus de vue, dès que l'on adopte le même comportement sans écran interposé, cela devient suspect. Voire effrayant.
On a pourtant besoin, plus que jamais, du regard des autres, nourris que l'on est par les likes, les commentaires, les notifications, le besoin incessant de validation qui passe par le regard d'autrui sur notre activité en ligne. «Ce qui est important, c’est la transaction, à savoir les likes, les partages», expliquait à Slate le sociologue Olivier Glassey, spécialiste des réseaux sociaux, en novembre 2015. Il ajoutait: «Toutes ces petites marques sont autant de validation de notre existence».
Dans L'Être et le Néant, Sartre préfigurait en quelque sorte notre obsession du like en notant: «Autrui est le médiateur indispensable entre moi et moi-même. [...] Et par l'apparition même d'autrui, je suis en mesure de porter un jugement sur moi-même comme un objet, car c'est comme objet que j'apparais à autrui». Il parlait alors de la honte (si je vais tranquillou sur YouPorn pas de problème, si quelqu'un me voit, alors j'existe à mes propres yeux, ma conscience, en train de surfer sur YouPorn), mais cela marche pour tout. Sans le regard des autres sur mes actions, mes actions sont vaines. (À moins que vous ne soyez un être supérieur.)
Voisinage ou voyeurisme
Mais que se passe-t-il quand le regard en ligne ne suffit pas? Si les likes, commentaires et notifications ne nous remplissent pas assez? Ou bien s'ils génèrent des besoins de plus en plus grands, une avidité sans fond, que la virtualité ne satisfait plus?
Le voisinage est toujours le début d'un voyeurisme potentiel: une fenêtre entre des gens, parfois seulement un trou de serrure. Un verrou. Regarder, et chercher le regard de l'autre, son attention. En France, 12% des gens disent avoir déjà espionné leurs voisins, 19% même, pour les moins de 25 ans. Le voyeurisme peut paradoxalement devenir exhibitionnisme quand on cherche non seulement des informations sur les autres mais la denrée de luxe aujourd'hui: leur attention. Hugo fait partie de ceux-là. Ce qui l'a conduit à très largement «dépasser les bornes».
Le premier épisode de Transfert est signé Baptiste Etchegaray, réalisé par Lola Costantini.