Les sales gosses
Dans la nuit du 7 au 8 janvier 2015, puis dès le petit matin, sont apparus les premiers articles titrés «Comment expliquer les attentats de Charlie Hebdo aux enfants» et qui avaient mobilisé force pédospychiatres et spécialistes du traumatisme. Si cela semblait urgent et essentiel d'aider les adultes (parents, enseignants...) à trouver les mots, c'est d'abord parce que nous étions collectivement aphasiques. La barbarie de cet attentat puis de celui perpetré dans l'Hyper Cacher nous ont en quelque sorte bâillonnés, en tout cas dans les premières heures. Or, il s'agissait bien de ne surtout pas laisser nos enfants se débrouiller avec les bribes d' informations collectées au détour d'une télé branchée sur BFM ou d'une conversation éplorée d'adultes.
Le défi était aussi de leur dire «pourquoi des gens sont morts. Pourquoi on meurt au travail. Pas à la guerre, pas dans un accident de voiture, pas parce qu'on est malade. Au travail, criblé de balles, entre la photocopieuse et la boîte de trombones». Ou dans un supermarché, alors que l'on fait ses courses. Sans les plonger dans le bain de la peur, du doute, de la terreur.
Ce qu'on ignorait alors, c'est que cela allait recommencer. Encore, et encore.
Et pourtant, nous leur avons dit, à ces enfants, avec la volonté ferme de ne pas se laisser terroriser, que cela n'arriverait plus. On a écrit «plus jamais ça» sur nos pancartes de la marche du 11 janvier. Il a fallu ensuite expliquer que les dispositifs mis en place (état d'urgence, agents statiques devant les écoles, interdiction de certains rassemblements...) n'empêcheront pas d'autres attentats; et même, au lendemain du 14 juillet, que des enfants peuvent en être les victimes.
On a déconnéCe que la menace terroriste impose aux adultes, c'est d'accepter leur propre anxiété tout en prenant garde à ne pas l'inoculer aux plus jeunes.
Or, disons-le clairement: on a parfois déconné. Les exercices anti-intrusions mis en place dans les écoles ont à juste titre été questionnés sur la qualité de leur organisation. La minute de silence imposées aux plus petits également. Quant à la parole politique, dont on sait qu'elle peut atteindre les plus jeunes, elle a, elle aussi, failli avec un premier ministre assénant que «nous sommes en guerre». On fait quoi de ça? De l'emphase guerrière alors que nous n'aspirons qu'à la résilience?
L'échec, c'est aussi d'avoir fait peu cas d'une autre population vulnérable: les adolescents dont ont s'est peu demandé comment ils réagissaient à cette série d'attentats, alors même qu'on sait que certains d'entre eux ont désormais le reflexe de chercher les images d'événements sur internet, aussi atroces et répulsives soient-elles.
Hélène Romano, docteur en psychopathologie et auteure de Après l'orage (Editions courtes et longues) a été largement sollicitée sur ces questions-là. C'est qu'elle a reçu comme patients, des victimes directes et indirectes des attentats, et a experimente au quotidien le caractère essentiel de la parole. Nous avons tenté, ensemble, dans ce podcast, de définir ce qu'est cette génération attentats: des enfants,des ados, de jeunes adultes, qui auront grandi et évolué au sons des sirènes et au rythme des éditions spéciales «France under attack».