Les sales gosses
«C'est terrible quand même, l'histoire de tes parents». C'est par ces mots, prononcés imprudemment par un oncle, que Philippe Grimbert a découvert qu'il ignorait à peu près tout de l'histoire de ses parents, de leur rencontre, de leurs erreurs. Il découvre surtout que ce lourd secret, entretenu pendant des années avec la complicité de l'ensemble de sa famille, lui a dérobé son identité.
Il en a fait un livre, largement autobiographique, Un Secret (Grasset), lui-même porté à l'écran. Ce secret de famille finalement révélé a dicté, d'une certaine façon, sa décision de devenir psychanalyste (d'écouter des histoires) et écrivain (d'en écrire).
Bien sûr, tout le monde n'a pas la chance, ni le talent, de faire de ses secrets de famille un objet culturel, de les transcender, de les digérer et surtout de les découvrir. Mais tout le monde a des secrets de familles, tus, ignorés, ou révélés. Toutes les familles secrètent du secret.
Le dévoilementDes personnages illustres ou fictionnels ont découvert tardivement que leurs propres parents les avaient élevés dans le mensonge. Aragon a découvert à 20 ans, quand il partait à la guerre, que sa soeur était en réalité sa mère, par la seule grâce de la volonté paternelle motivée par des raisons bien égotistes:
«Mon père força ma mère à me dire qu’elle n’était pas ma sœur parce qu’il ne voulait pas que je pusse être tué sans savoir que j’avais été une marque de sa virilité.»
Le comédien Daniel Prévost a appris à 35 ans l'identité de son père: un Kabyle bouté hors du cercle familial et surtout loin de son fils par la branche maternelle. Il passera de longues années à reconstituer le puzzle et sa filiation, parfois dans la douleur et l'autodestruction de cette identité enfin retrouvée. Le cinéma et la littérature regorgent de ces affaires de réglements de comptes avec sa famille puis avec soi-même, quand un non-dit ne l'est plus.
Chacun de nous connait un proche, collègue, voisin, qui a un jour soulevé le tapis et découvert tout ce que les générations précédentes a bien pris soin d'entasser dessous. Ces secrets ne sont pas forcément graves et lourds, pas forcément douloureux quand ils sont mis à jour, mais toujours porteurs du poids du passé.
Pourtant, il y a quelque chose d'anachronique à asséner que les secrets de famille sont partout quand tout n'est que transparence et expression de soi. De parfaits inconnus peuvent savoir ce que j'ai mangé hier au gré d'une de mes photos instagram. La télé fourmille de programmes qui ambitionnent de «percer les secrets», «briser les tabous» ou de «révéler la face cachée». Une émission a collé des politiques sur un sofa et sous la lumière chaude de lampes Maison du monde pour les faire dégorger tout ce qu'ils peuvent de leur intimité, encouragés dans leur entreprise par une animatrice prenant des airs de confesseurs à la supposé neutralité bienveillante. Il n'en demeure pas moins, que dans les foyers, pourtant soumis aux mêmes injonctions du «tout dire, ne rien cacher», serpentent toujours des secrets de famille, qui parfois, font davantage souffrir les instigateurs du mensonge que les victimes.
Les mots du corpsIl arrive aussi que le corps parle. Que le secret suinte. Pour moi, ça va être cet oeil droit qui gonfle à chaque drame familial, peut-être parce qu'il veut se fermer sur ce qui devait rester caché. Pour d'autres, il va s'agir de maux de dos, de peau, de troubles du sommeil, voire de pathologie plus graves.
C'est que le secret de famille doit s'exfilter, de gré ou de forcé, par tous les moyens. Et que la parole, dont ont dit tant qu'elle peut être libératrice, peut en effet soigner ces plaies sur lesquelles on a accumulé les mensonges, comme autant de pansements. Phillipe Grimbert nous a raconté ses propres secrets, ceux d'autres, et toutes les manières dont ils pèsent de tout leur poids.
Ecoutez ici notre podcast sur les secrets:
Vous vous intéressez aux secrets de famille? Découvrez l'histoire de Nicolas, qui a un jour reçu un mail qui a changé sa vie, dans Transfert, l'autre podcast de Slate.fr