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Après l'origine de sa vocation, ses voyages en Algérie et sa documentation somme toute assez anarchique, Alice Zeniter revient en détails sur la structure de son best-seller, la naissance des personnages, l'intérêt —ou non— de puiser dans sa mythologie familiale, le juste dosage du style, voire sa maîtrise secrète du vers classique français, cachée (du bon pied) sous les phrases de son roman L'Art de perdre.
«Ai-je oublié d'où je viens?», se demande Naïma, trentenaire parisienne en sévère gueule de bois. «Ma détresse n'aurait-elle pas la taille d'un pays manquant, d'une religion perdue?» Par sa voix, L'Art de perdre suit le destin d'une famille kabyle sur trois générations—des années 40 à nos jours, sur 500 pages, en trois parties. Il y a d'abord Ali, le grand-père, harki, c'est-à-dire «supplétif indigène au service de l'armée française» comme dit le dico, contraint de fuir ses montagnes avec femme et enfants face au FLN et ses «règlements de compte au milieu de la nuit», à l'heure de l'indépendance de 1962. La deuxième partie se focalise sur Hamid, le père, qui n'oubliera jamais leur installation dans «la France froide», dans ces camps d'accueil insalubres et surpeuplés des Bouches-du-Rhône, entourés de barbelés, dans le silence de ceux qui attendent, humiliés, parqués «dans le royaume de la boue», «comme des bêtes nuisibles» ; Hamid, qui se politisera et s'en sortira grâce à ses études, et qui épousera une Française. Il y a enfin Naïma, la petite-fille, qui cherche sa place dans cet héritage.
Sacré du Goncourt des lycéens et du prix du journal Le Monde, L'Art de perdre a beaucoup gagné: le roman se vend à plus de 580.000 exemplaires et décroche des récompenses en Espagne, en Suisse ou en Pologne, tandis que Barbet Schroeder obtient les droits d'adaptation au cinéma. Le succès critique n'a d'égal que sa reconnaissance publique, voire intime, lorsqu'au premier rang de certains festivals où Alice Zeniter est invitée, d'anciens harkis s'assoient parfois, en uniforme, la poitrine chargée de médailles, comme jadis son propre grand-père.
En partenariat avec Babelio.
Crédits:
Enregistrement: janvier-mars 2020.
Entretiens et découpage: Richard Gaitet.
Prises de son: Sara Monimart.
Montage: Antoine Larcher.
Réalisation, musique originale et mixage: Samuel Hirsch.
Illustrations: Sylvain Cabot.
Production: ARTE Radio.