France

Qui mieux que la gauche pour une profonde réforme de l’Etat?

De la même façon que les impôts ne sont pas l’apanage des socialistes, le redimensionnement de l’Etat n’est pas le pré carré de la droite.

Manuel Valls et François Hollande, le 4 avril 2014. REUTERS/Charles Platiau
Manuel Valls et François Hollande, le 4 avril 2014. REUTERS/Charles Platiau

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Un vent nouveau serait-il en train de souffler? A droite comme à gauche, le ciel des réflexions semble en effet s’éclaircir et sortir des ornières traditionnelles. Si la nomination de Manuel Valls à Matignon semble confirmer et accélérer l’inflexion entamée par le gouvernement précédent vers une politique de l’offre et vers la nécessité d’une réforme de l’Etat, plusieurs voix classées libérales s’élèvent, en France et dans le monde, pour témoigner des effets néfastes que de trop grandes inégalités font peser sur la croissance.

 

De telles inflexions plus consensuelles sont bienvenues tant les réformes de fond ne pourront être portées en France que par des acteurs à priori à contre-emploi. En particulier, il y a fort à parier qu’une profonde réorganisation de l’Etat ne pourra être réalisable que par la gauche.

De la même façon que les impôts ne sont pas l’apanage des socialistes ─dans son ouvrage traitant des inégalités (Le Capital au XXIe siècle), Thomas Piketty rappelle qu’à la sortie de la Première Guerre mondiale, c’est la droite française qui avait pour la première fois porté le taux supérieur de l’impôt sur le revenu à 50% et qu’en 1945, le gouvernement provisoire du général de Gaulle avait institué un impôt de solidarité nationale avec un prélèvement exceptionnel sur la valeur de tous les patrimoines à des taux allants jusqu’à 20% pour les patrimoines les plus élevés, et que les Etats-Unis avaient, de leur côté, été les premiers à créer un impôt confiscatoire, avec un taux supérieur de près de 90%, et ceci de 1942 jusqu’au milieu des années 1960!─ le redimensionnement de l’Etat n’est pas le pré carré de la droite.

Dans La France au défi, Hubert Védrine, ancien ministre des Affaires étrangères du gouvernement Jospin, évoque la remise en question du modèle social allemand réalisée par un gouvernement social-démocrate et, chose moins connue, les réformes en profondeur de l’Etat initiées ou poursuivies par des partis de centre gauche au Canada et en Suède.

S’il y a eu toujours eu de vraies volontés réformatrices en France, elles ont globalement été portées par le ressort binaire: réforme par la fiscalité à gauche et par le redimensionnement de l’Etat à droite. C’est entendu, la vraie volonté de transformation de la puissance publique, notamment sa partie providence, est voulue par la droite.

De l'intérêt du contre-emploi

Véritable cheval de bataille, elle est claironnée par ses représentants (entre autres Raymond Barre, Alain Juppé et Nicolas Sarkozy), avec un courage indéniable. Malheureusement, ces velléités se sont à chaque fois atomisées sur le mur de la réalité, probablement en raison d’un regrettable manque de finesse, mais surtout car la réputation pro-bourgeois et anti-fonctionnaires de la droite inspire aux parties concernées (fonctionnaires, intermittents du spectacle etc.) une réaction épidermique et pavlovienne.

Le bien-fondé des réformes, la prospérité des générations futures ne sont que peu de choses face à la sourde certitude que ces propositions sont assurément mauvaises, car libérales.

Parallèlement, de l’autre côté de l’échiquier politique, les hausses d’impôts récentes, et leur porte-étendard à 75%, ont connu un crash massif. Mais pouvait-il en être autrement quand ces réformes étaient promulguées par un gouvernement dont le Président, selon ses propres mots, «n’aime pas les riches»? Dans un tel contexte, la réforme fiscale n’avait aucune chance de passer pour nécessaire. Elle apparaissait au contraire comme une mesure idéologique, de classe et «contre» les riches, et a fini par liguer contre elle l’ensemble de la population.

Afin d’éviter de buter sur ces «délits de faciès», il est donc préférable que les réformes soient portées par des hommes et des femmes «a priori à contre-emploi».

Bonne nouvelle, des points de vue précédemment irréconciliables semblent, en ce début d’année, trouver quelques terrains d’entente. Tandis que du côté de la pensée libérale internationale une vraie réflexion sur l’impact contre-productif des inégalités est en train de s’imposer –Jean-Marc Vittori, éditorialiste du journal Les Echos, décrit remarquablement dans son article «Quand les inégalités torpillent la croissance» l’aggiornamento actuellement à l’œuvre au sein de la communauté des économistes: trop d’inégalités seraient finalement contre-productives et nuiraient à la sacro-sainte efficacité économique et in fine à la croissance. Il appuie notamment son propos sur une étude récemment publiée par une équipe de chercheurs du FMI. De son côté, l’hebdomadaire anglo-saxon The Economist, icône libérale mondialisée, pose depuis plusieurs mois la question du risque que ces inégalités font peser sur l’équilibre du monde et plus directement sur la croissance ─de l’autre côté de la barrière, on sent poindre un volontarisme encourageant chez les hyper-réalistes de la gauche française.

L'inflexion des idées ne suffit pas

Il y eut bien sur des actes esseulés par le passé, avec Claude Allègre, ancien ministre de l’Education, et son explosif «dégraissage de mammouth», mais cette tentative était probablement trop brutale pour avoir la moindre chance de nourrir le logiciel socialiste.

Plus récemment, Matthieu Pigasse, banquier d’affaires de gauche, tentait, dans son livre Révolutions sorti en 2012, d’infléchir et de moderniser la pensée économique et la relation au monde de ses comparses politiques. Las, sur la question de la nécessaire réduction des déficits européens, le choix des mots «baisse de la masse salariale des administrations publiques» trahissait encore la difficulté de dire les choses telles quelles sont, c’est-à-dire la nécessaire réduction des effectifs.

Dans son dernier ouvrage, Eloge de l’anormalité, le même Matthieu Pigasse ose plus et précise quelques grandes réformes de l’Etat qui permettraient de réduire son poids, avec la suppression des départements et une solidarité plus ciblée, tout en continuant d’éviter de toucher au sacro-saint corps électoral de la gauche.

Mieux, dans Le Capital au XXIe siècle, Thomas Piketty, économiste de gauche, rappelle l’importance de remettre en question constamment l’Etat, ses prérogatives et sa structure organisationnelle. Détaillant son poids toujours grandissant et notant qu’il est absurde de vouloir le «retour de l’Etat» quand «le poids de la puissance publique n’a jamais été aussi élevé», il se refuse néanmoins à préciser que ces remises en question impliquent la capacité de faire mieux et plus avec, donc, moins de fonctionnaires.

Enfin, Hubert Védrine décrit dans son dernier livre, sans ambages et dès les premières pages, l’énormité de la sphère publique, de ses charges, de son faible rendement par rapport aux autres pays. Il est une des rares voix à gauche à s’élever contre cette habitude toute française de chercher ailleurs la responsabilité de nos problèmes et contre cette échappée suicidaire vers une troisième voie censée protéger l’exceptionnalisme français. Ce livre, assez enthousiasmant quant à sa volonté de présenter les choses telles qu’elles sont (une constance chez son auteur), n’y va pas par quatre chemins: la réforme doit passer notamment par la réduction de la taille de l’Etat et donc du nombre de fonctionnaires.

Bien sûr, seule, l’inflexion des idées ne suffit pas. Elles doivent être appliquées par des acteurs qui sauront les expliquer et convaincre dans la durée, tout en progressant avec cran malgré la multiplication des blocages qui ne manqueront pas. Manuel Valls saura-t-il porter cette nécessaire modernisation de l’Etat?

Si seul le temps permettra de répondre à cette question, on peut noter sa relativement ambitieuse déclaration de politique générale ─même si un horizon plus court aurait été souhaitable─, la transversalité gauche/droite de certaines de ses idées, notamment au niveau économique, couplée à un vrai courage politique et à un talent de communiquant éprouvé.

Toujours est-il que le monde bouge, et nous aussi. Et cela fait du bien.

Jean-Benoît Roquette

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